En août 2021, la procréation médicalement assistée a été légalement étendue aux femmes en couple avec une femme et aux femmes célibataires. Depuis, le nombre de consultations et le délai d'attente pour une prise en charge ont augmenté. La PMA demeure parfois pour ces femmes en quête de maternité, un chemin long et douloureux.
Depuis le 2 août et la promulgation de la loi relative à la bioéthique, les femmes en couple avec une femme et les femmes seules peuvent prétendre à la procréation médicalement assistée (PMA) en France. Les décrets d’application de cette promesse de campagne de 2017 d’Emmanuel Macron ont été publiés fin septembre 2021. Selon l’Agence de la biomédecine, entre le 1er janvier et le 31 mars 2022, ce sont plus de 5100 nouvelles demandes de premières consultations de la part de couples de femmes et de femmes seules en vue d’une PMA avec don de spermatozoïdes qui ont été enregistrées en 2021. Dont 47 % formulées par des couples lesbiens et 53 % par des femmes célibataires.
Emilie Batut, Albigeoise de 32 ans, est l’une d’entre elles. Déterminée, cette jeune femme blonde aux ongles rose détaille sans tabou : « J’ai toujours voulu un enfant, et peut-être qu’inconsciemment, l’idée de le faire seule était là depuis longtemps. » Après plusieurs problèmes de santé sérieux, maladie gynécologiques et maux de dos, cette cavalière s’interroge : « On commençait à parler de la PMA pour toutes. Cela m’a fait réfléchir.» Hors de question de faire un enfant avec le premier venu, ni de partir à l’étranger pour tenter une PMA. « Si cela n’avait pas été autorisé en France, j’aurais attendu. »
Cet été, après quelques recherches sur Internet, elle prend contact avec l’Institut de la fertilité Croix du Sud, à Quint-Fontsegrives. Dès octobre, les rendez-vous s’enchaînent. étapes obligatoires dans un parcours de PMA : gynécologue, psychiatre et psychologue (comme le prévoit la loi pour tout receveur de don), généticien… Les examens ne révèlent aucun problème de fertilité. « À chaque nouveau résultat, c’est un soulagement, mais tout de suite après viennent de nouveaux doutes », reconnaît Emilie Batut. Seule, mais accompagnée par sa famille et soutenue par son entourage professionnel, elle franchit les étapes. Désormais, elle peut officiellement prétendre à un don de spermatozoïdes. « Je me suis demandée si je ne prenais pas la place de quelqu’un de stérile. S’il y avait une liste d’attente, je l’aurais entendu.»
Prioriser les dons de sperme ? Interdit en France. Couples hétéros, lesbiens ou femmes seules, raisons médicales et sociétales, les dossiers rejoignent la même pile et sont traités officiellement par ordre d’arrivée. Prochainement, c’est au tour d’Eloïse, bientôt 42 ans, de recevoir des paillettes (spermatozoïdes récoltés lors d’un don de sperme). Au téléphone, sous couvert d’anonymat mais sans épargner aucun détail, elle raconte son parcours entamé il y a plus de dix ans.
« Je souffre d’endométriose (une maladie gynécologique chronique ndlr) et à 31 ans, j’ai appris que ma réserve ovarienne était très basse ». Un « coup de massue » pour cette professionnelle de l’aéronautique qui espérait alors « avoir un bébé, comme tout le monde». En 2014, elle décide de faire vitrifier ses ovocytes afin de conserver un maximum de chance de pouvoir procréer. « Cela a l’air simple, mais en réalité, pas du tout. » Stimulations ovariennes, rendez-vous matinaux, ponctions sous anesthésie, le chemin est long et douloureux. Finalement, douze de ses ovocytes sont mis à l’abri du temps.
« J’étais fière de moi ! Puis les années passent, et je ne rencontre personne. » Pas simple d’avoir des rapports intimes lorsqu’une muqueuse colonise votre utérus. Légalement, avant la loi bioéthique d’août 2021, Héloïse ne pouvait utiliser ses gamètes qu’en étant en couple avec un homme depuis deux ans minimum. « Je ne voulais pas avoir fait tout cela pour rien ». Extrader ses ovocytes en Espagne ? Compliqué. Entamer un parcours de PMA à l’étranger ? Elle n’en a « pas la force physique ni psychologique ».
L’espoir revient en 2020, lorsque la PMA pour toutes est mise sur les rails parlementaires en France. Dès cet été-là, la quadra se lance seule. Dans le secret, par pudeur, mais aussi par crainte. Peur de ne pas avoir l’évolution professionnelle qu’elle espère, peur des critiques. « Je n’assume pas mon âge. J’aurais souhaité être mère plus tôt. La vieillesse d’un parent peut être lourde à porter pour un enfant. Mais là, c’est ma dernière chance ». Elle avertit : « Celles qui pensent que tout cela est facile ne sont pas prêtes… »
Selon l’Agence de biomédecine, au 31 mars 2022, le délai de prise en charge pour une PMA avec don de spermatozoïdes était en moyenne de près de 14 mois (soit une augmentation d’1,6 mois comparé à fin 2021), avec de fortes disparités sur le territoire national. Ce délai dépend notamment des bilans de fertilité réalisés ou non par certaines patientes avant l’ouverture de la PMA pour toutes. à l’hôpital Paule-de-Viguier (CHU de Purpan), il faut compter en moyenne six à huit mois entre la première consultation avec un gynécologue du service et l’attribution d’un échantillon de sperme. Envie béton et volonté de fer. C’est ce qui caractérise Marion et Sophie « Deltagnes » – contraction de leurs deux noms de familles. En 2019, ces deux Aveyronnaises se sont lancées dans un projet d’adoption et ont obtenu un agrément. Au coin du poêle à bois, un dimanche après-midi hivernal et pluvieux, elles confient : « Quand on a découvert qu’il fallait attendre au moins 7 ans pour adopter, on a décidé de fonder une famille autrement. » Ce sera donc une PMA avec don de sperme. Devant elles, un classeur compilant tous les examens médicaux subis par Marion les deux dernières années. La discrète Sophie, elle, tient un carnet dans lequel elle répertorie toutes les grandes dates de leur parcours vers la maternité.
Marion et Sophie
Prévenues par leur gynécologue à Rodez « qu’ils ne seraient pas prêts tout de suite » après l’ouverture légale de la PMA pour toutes, les deux femmes optent pour l’étranger. « D’abord, l’idée qu’un enfant « coûte » me dérangeait, se souvient Sophie. L’anonymat du donneur, la question des origines (et l’impossibilité pour l’enfant d’avoir des réponses) me questionnaient. Nous avions envie d’un enfant maintenant, en France ce n’était pas possible. On a revu nos priorités ». Proximité géographique, recommandations d’amies, recherches sur internet… Elles choisissent finalement une clinique espagnole et tentent une première insémination en avril 2021. « Les piqûres, les effets secondaires des hormones, les départs précipités en Espagne… Tu n’as aucune idée de la difficulté avant de l’expérimenter, reconnaît Marion. Innocemment, tu penses que tu es meilleure que les autres ». Jusqu’à ce que l’échec s’invite au programme. Et qu’il se multiplie. « Il n’y a qu’une chance sur quatre que cela fonctionne, souligne Sophie. Chaque fois, tu espères, tu t’emballes. Et la descente est difficile. » Après ces mois d’ascenseur émotionnel, les deux femmes se racontent pourtant plus complices que jamais. En décembre dernier, elles se se rapprochent du service d’AMP à Paule-de-Viguier et décrochent un rendez-vous en juin. Cette fois-ci, c’est Sophie qui se lance. En parallèle, elles ont fait un dernier essai en Espagne. Camille*, rare sage femme aveyronnaise habilitée à faire des échographies de suivi dans les parcours de PMA, témoigne : « Je vis avec mon temps. Ces femmes sont courageuses. Jusqu’à maintenant elles devaient mettre un médecin traitant dans la boucle pour obtenir des ordonnances valables. Certaines ont eu recours à des donneurs trouvés sur Internet ou dans leur entourage ». Si elle refuse de juger ces méthodes artisanales, la professionnelle de santé prévient : « Attention aux motivations du donneur : rien ne garantit qu’il ne demande pas une reconnaissance de paternité dans dix ans. Le risque c’est aussi qu’on ne connaît ni sa sérologie ni ses antécédents médicaux. Il était temps que la PMA pour toutes arrive. » Elodie, 33 ans, confirme. Depuis deux ans, avec sa compagne, elles tentent d’avoir un enfant, « la suite logique de notre histoire ». Pour elle, « ce n’est pas le sang qui fait qu’on est parent ». L’adoption était sa première option. Mais l’envie viscérale de sa partenaire de porter un enfant l’a emporté. Première tentative de PMA en août 2021 en Espagne. « C’est un échec. En tant qu’accompagnante, je me suis sentie complètement inutile. J’en ai voulu à la clinique. Il faut bien trouver un coupable… » Elles entendent alors parler d’un site danois qui propose la vente des paillettes. Sur catalogue, ici, les femmes peuvent choisir le donneur. Échantillons de sa voix, calligraphie, photos de lui petit, concentration de spermatozoïdes, etc. La facture est proportionnelle au nombre de critères demandés. Pour laisser « un peu de place au hasard », Elodie et sa compagne ont opté pour le minimum. « On connaît seulement le poids, la taille, ses antécédents médicaux, son groupe sanguin ». Côté physique, le donneur a le même morphotype qu’Elodie : caucasien, brun aux yeux marrons. Montant de la commande : 700€ (dont 200€ remboursés en cas d’échec). En parallèle, le couple a dû convaincre un gynécologue français d’accepter de pratiquer dans son cabinet une insémination. Ces spécialistes sont rares car la pratique est illégale. En France, la manipulation de don est très encadrée. « 48 heures avant l’insémination. Les Danois envoient une grosse cuve avec le sperme cryogénisé par transporteur chez le médecin. C’est à nous ensuite de renvoyer le matériel. » Le couple essuie deux échecs, le dernier en janvier. Installée dans son canapé, la Toulousaine martèle : « Tu galères, tu mets de l’énergie pour rien. Tu as de la haine. » L’envie d’avoir un enfant reste là, forte et pressante. Désormais, le couple est suivi à Toulouse. Pourquoi témoigner ? « Dans ma tête, j’ai toujours cru que c’était simple d’avoir un enfant. Si cela arrive un jour, ce ne sera pas par accident ! C’est important de montrer que la PMA existe, de la démocratiser. Mais avoir un enfant reste un parcours »
Des réserves de sperme bientôt à sec ?
Quid des stocks de spermatozoïdes disponibles ? Pour l’heure, ils sont suffisants pour répondre à la demande. Cependant, la loi bioéthique prévoit qu’à partir de septembre 2022, tout donneur devra consentir à ce que l’enfant issu du don puisse avoir accès à des données dîtes non-identifiantes (âge, caractères physiques…) ou à son identité. Cette levée de l’anonymat fait craindre une baisse du nombre de donneurs. Pour prévenir toute pénurie, l’Agence de biomédecine a lancé une campagne de promotion du don de gamètes, notamment auprès des jeunes. Résultat : 600 hommes ont donné leurs spermes en 2021. Un record. Dans le même temps, les hommes – tout comme les femmes donneuses d’ovocytes – qui ont réalisé un don avant l’adoption de la loi bioéthique doivent spontanément se rapprocher des centres de dons et donner leur consentement pour la levée d’anonymat. Sans quoi, les centres devront détruire leurs dons non-utilisés. « Pour l’instant, nous n’avons pas enregistré de baisse de dons, affirme le Dr Marie Montagut, médecin biologiste de la reproduction à l’Institut de la fertilité Croix du Sud. Nous avons anticipé en recueillant le consentement des nouveaux donneurs. Septembre 2022 sera une étape. Constituer nos stocks a pris des années. On ne sait pas ce que l’on aura ensuite. Les couples qui sont en demande de dons sont les meilleurs ambassadeurs. » Pour le Dr Florence Lesourd, gynécologue obstétricienne et cheffe du service AMP de la maternité Paule-de-Viguier au CHU de Toulouse, c’est la culture du don qui doit être questionnée. « Elle est plus développée en Espagne, une indemnisation d’environ 900 € par don est prévue. » Un business, la PMA ? « Je ne crois pas. Les cliniques espagnoles travaillent parce que nous, en France, nous n’étions pas capables de le faire. Recevoir un don de sperme en Espagne coûte un millier d’euros. C’est à peu près équivalent en France. » À la différence que de ce côté des Pyrénées, cela est remboursé : « Les femmes sont reconnaissantes du système français, poursuit le Dr Lesourd. Nos équipes ont fait le choix de ne pas sortir d’une prise en charge médicale. Nous regardons le devenir des grossesses. Ce sont des enfants qu’il y a derrière. Nous sommes très attachés à ne pas banaliser ces parcours. »