En ce samedi de juin, ils ne sont pas les seuls, à l’aéroport de Toulouse-Blagnac, à prendre l’avion pour aller soutenir leur équipe de rugby favorite. Sauf que dans ce petit groupe composé d’une soixantaine de personnes, les couleurs arborées ne sont ni le rouge, ni le noir. Le match de barrage du Top 14 entre le Stade Toulousain et le Racing 92 a beau être programmé le soir même au stade Yves-du-Manoir de Colombes, leur destination finale n’est pas Paris mais Newcastle dans le Nord-Est de l’Angleterre. Car eux, c’est au Kingston Park qu’ils ont rendez-vous, le lendemain, pour soutenir les treizistes bleus et blancs du TO XIII.
Et la différence est perceptible immédiatement. Dans la file d’attente pour enregistrer les bagages, tout le monde se connaît. Joueurs, entraîneurs, dirigeants et supporteurs se mélangent sans distinction. Ça discute, ça prend des nouvelles, ça plaisante dans une ambiance qui rappelle étrangement le rugby à XV d’antan, où discuter avec un joueur n’était pas un privilège.
Pour la première fois de la saison, toute la famille bleu et blanc fait le déplacement pour soutenir l’équipe fanion. Explications avec son président, Bernard Sarrazain :
« Après avoir gagné deux championnats de France consécutifs, nous avons fait le choix de nous inscrire en League One pour nous confronter à un niveau supérieur. Jouer contre les Anglais, ça donne l’impression de jouer dans une autre dimension. » Un avis partagé par le capitaine, Sébastien Planas, 10e saison au club : « Les Anglais, ce sont nos meilleurs ennemis. Ils sont coquins, ils ont le vice dans la peau. Jouer contre eux nous fait progresser. »
La croisière s’amuse
Pour l’occasion, le club a affrété un avion. Autant dire que dans les rangs des supporteurs treizistes, les sourires sont de mise. Et l’ambiance dans l’appareil,
joyeuse. Comme dans n’importe quelle colonie de vacances, on se lève pour aller discuter avec les copains. Et on joue pour tuer le temps. Bref, la croisière s’amuse. Et c’est sous des applaudissements nourris que l’appareil atterrit à l’heure prévue à Newcastle, où un temps so british attend les Frenchy.
Ça discute, ça prend des nouvelles, ça plaisante dans une ambiance qui rappelle étrangement le rugby à XV d’antan, où discuter avec un joueur n’était pas un privilège.
À l’aéroport, le groupe se scinde néanmoins en deux : pendant que les joueurs prennent la direction de l’hôtel pour se préparer en vue de la rencontre du lendemain, le reste de la troupe monte dans le bus pour une première visite insolite : le plus grand centre commercial couvert d’Europe, le Gateshead. Ambiance potache dans le car. « Il prend le rond-point à l’envers ! », s’amuse un supporteur. Arrivés au mall, plusieurs groupes se forment : pendant que certains cèdent à la fièvre consumériste, d’autres mettent à profit ce temps libre pour descendre les premières pintes. Puis, le périple se poursuit jusqu’à l’Angel of the North, une sculpture contemporaine d’une hauteur de 20 mètres devant laquelle le groupe se dépêche, entre deux averses, de se faire photographier. L’excursion touristique touche (déjà) à sa fin, il est temps de rejoindre l’hôtel. À l’arrivée du bus, et avant que chacun ne vaque à ses occupations, le président du TO XIII, Bernard Sarrazain rappelle le programme : apéro dînatoire gascon à 19h. « On va vous offrir le meilleur repas anglais que vous puissiez manger ! ».
Nourriture 100% française
Si l’heure respecte la tradition britannique, sur les tables, en revanche, il est inutile de chercher un produit insulaire : jambon, saucisson, fromage, vin, pain, tout vient de France. Pour l’exotisme, on repassera… « Quand on se déplace à l’étranger, c’est bien d’avoir quelques repères », justifie un bénévole. Les repères, les joueurs n’en manquent pas. À les observer, rigolards, disponibles pour discuter, prendre des photos, on a du mal à réaliser qu’ils défieront dans quelques heures les Newcastle Falcons. Question de culture pour Jeannot, l’une des figures du club : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le XIII, c’est une religion. C’est au rugby à XV ce que le catharisme est au catholicisme ! On forme une famille où la notion d’entraide est fondamentale. On connaît tous les joueurs depuis leurs débuts. » Des joueurs qui semblent ne pas bouder leur plaisir d’être ainsi entourés, comme le reconnaît le capitaine, Sébastien Planas : « C’est important de se sentir soutenu et que vous puissiez voir ce que l’on vit tous les 15 jours. » Pas question, toutefois, pour les joueurs d’accompagner les supporteurs dans les nimbes de la nuit anglaise. Alors avant de voir le cortège monter dans les taxis pour les pubs, le capitaine exprime une requête : « Ne faites pas de bruit en rentrant. »
Jambon, saucisson, fromage, vin, pain, tout vient de France. PouR l’EXOTISME ON REPASSERA
À voir les mines concentrées mais reposées des athlètes au réveil le lendemain matin, les noctambules ont visiblement respecté la consigne. À quelques heures du coup d’envoi, l’ambiance n’est cependant plus tout à fait la même. Sur les visages se lit l’importance de la rencontre à venir. L’enjeu est de taille, comme le rappelle le
président : « L’objectif, dans les trois ans, est de monter en Super League. Et la montée en Championship est quasiment obligatoire, dès cette saison. » Une perspective bien engagée… à condition de bien négocier ce délicat déplacement à Newcastle, dont les dernières performances inspirent au staff la plus grande méfiance. À l’arrivée au stade, le Kingston Park, un homme truste tous les pans de mur : Johnny Wilkinson, l’enfant du pays, qui a débuté et longtemps défendu les couleurs des Falcons avant de se laisser tenter par la douceur de la Côte d’Azur et de migrer à Toulon. À cela, une explication : le stade est partagé par le XV et le XIII. Ce qui explique en partie la qualité des infrastructures. Envieux, le président Bernard Sarrazain se languit de voir son vieux stade Arnauné rénové : « C’est l’outil indispensable pour gravir les échelons. Cela fait partie du cahier des charges pour accueillir des équipes de Super League. »
« Partout où nous sommes ensemble, c’est notre maison »
En attendant, les joueurs et le staff, indifférents à ces considérations matérielles, s’engouffrent dans le vestiaire, aussi rudimentaire que le bar est flamboyant. Certainement une question de culture… Le mode de préparation est variable : certains, casque sur les oreilles, écoutent de la musique ; d’autres s’étirent ou lisent la Bible ; quelques joueurs enfin se strappent les uns les autres, signe du supplément d’âme de cette équipe. « Le fait de jouer devant personne à l’extérieur renforce les liens du groupe, éclaire Sylvain Houlès, l’entraîneur, adepte de la responsabilisation des joueurs. On partage beaucoup avec les joueurs pendant la semaine. Du coup, le jour du match, ils se gèrent comme ils le sentent. Le principal est qu’ils soient performants. » Pour donner un aspect plus familier au lieu, le stratège du TO XIII colle des affiches évocatrices sur les murs : « Partout où nous sommes ensemble, c’est notre maison », « Être meilleur qu’hier ». À quelques minutes du coup d’envoi, le coach prend brièvement la parole pour un petit point tactique. Mais aussi pour leur rappeler de prendre du plaisir.
Ne faites pas de bruit en rentrant. Sébastien Planas, capitaine
« Toulousains, toulousains ». Un étage plus haut, les supporteurs et les dirigeants, grimés en bleu et blanc ont fait irruption dans le bar du club, des caisses de victuailles à la main, en donnant de la voix. Tout est en place lorsque l’arbitre siffle le début de la rencontre sous un léger crachin. Robert, bénévole au club avec sa femme, a un mauvais pressentiment : « Ça va être dur aujourd’hui, ils alignent quelques joueurs de la Une ». Bien vu Robert, car à la mi-temps, les Toulousains, malgré les encouragements sonores de leurs supporteurs, regagnent le vestiaire sur un score de parité 12-12.
40 minutes plus tard, le tableau affiche : 32-22 en faveur du TO XIII. Félicitations du président : « Vous avez fait plaisir à vos supporteurs. On va pouvoir rentrer le cœur léger à Toulouse ». Ce soir, le club est seul en tête du championnat. Et si les cœurs sont effectivement légers dans l’avion du retour, ils sont également un peu lourds à l’idée de retrouver la solitude dans quinze jours : « C’est important de se sentir soutenus, confie le capitaine. Maintenant c’est à nous de faire le job pour monter. » En cas d’accession, le président l’a promis, le club pourra affréter des avions pour les déplacements à l’extérieur. Avant peut-être, un jour, de voir le championnat de France retrouver de sa superbe. Un vœu que n’ose faire le président, en guise de conclusion : « J’aimerais que les gens viennent nous voir jouer, ne serait-ce qu’une fois, pour qu’ils se rendent compte que le XIII, c’est très spectaculaire. Il y a 70% de temps de jeu supplémentaire par rapport au XV. » En parlant du XV, on en aurait presque oublié de s’enquérir du résultat du Stade Toulousain, la veille, contre le Racing 92. Défaite 21-16, à l’issue d’un match « so boring », comme diraient les Anglais.
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