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BOUDU

Toulouse : Les universités se cherchent

« C’est un encouragement fort, la reconquête du label Idex est aujourd’hui possible, c’est une priorité pour l’excellence universitaire de Toulouse ». Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse, ne cache pas son enthousiasme. Et avec lui l’ensemble du monde universitaire. En ce 15 mars, le commissariat général à l’investissement vient en effet de donner son feu vert à l’Université de Toulouse pour une nouvelle candidature au label Idex. Cela fait près de dix ans que la communauté universitaire se débat pour décrocher et conserver la précieuse distinction. Le projet est initié en 2010 par Gilbert Casamatta. Le tandem Sarkozy-Fillon vient de lancer un grand programme d’investissements pour faire repartir la croissance française, et celui qui est alors président du Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) de Toulouse, y voit une opportunité pour la ville rose de faire briller ses chercheurs et ses formations. Parmi une batterie de nouveaux dispositifs, l’Idex, label créé pour distinguer une dizaine de grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche, et les aider à émerger à l’international. À la clé, une généreuse enveloppe de l’État de 20 millions d’euros par site et par an.

Très vite, Toulouse s’engage dans la course aux projets et présente une candidature. « Notre site souffrait de sa réputation, se souvient Gilbert Casamatta. Il y avait un décalage entre nos possibilités scientifiques et notre image de site individualiste. » Il garde en mémoire une remarque de Jean Therme, ingénieur physicien réputé, alors de passage à Toulouse. « Il nous avait dit : “C’est bizarre, au pays du rugby vous construisez vos équipes avec des joueurs de tennis”. » Une manière de pointer le manque de jeu collectif des établissements toulousains. Les regrouper en un seul pôle d’enseignement et de recherche s’avère en effet titanesque, tant les institutions ont des spécialisations et des fonctionnements différents. « Il y a une diversité d’établissements à Toulouse que l’on ne retrouve pas ailleurs, précise Gilbert Casamatta. C’est une complexité indéniable, mais aussi une force. »

Des hauts et débats En juin 2011, un premier projet est rejeté par le jury international indépendant : il faut clarifier la gouvernance. Autrement dit : revoir la façon dont les établissements vont se coordonner pour prendre des décisions et travailler ensemble. Fin 2011, un nouveau projet, avec une université fusionnée, est présenté. Cette fois, il est accepté, labellisé avec une promesse de financement de 25 millions d’euros par an.

Mais au printemps 2012, une conjonction d’évènements va porter un sacré coup au dossier toulousain. L’université du Mirail, Paul-Sabatier et l’Institut national polytechnique (INP), c’est-à-dire trois des principaux établissements, changent d’équipes dirigeantes. « Les campagnes se sont faites pour ou contre le volet gouvernance du projet Idex, et ceux qui étaient contre ont gagné », rappelle Marie-France Barthet, alors directrice exécutive du Pres. Fraîchement élus, les nouveaux présidents souhaitent renégocier le projet Idex au travers d’un processus plus démocratique. « Il avait été élaboré en chambre close pour des raisons de calendrier et de confidentialité par rapport aux autres pôles académiques en compétition », reconnaît-elle.

Sur le plan national aussi, l’heure est au renouvellement. François Hollande et la gauche arrivent au pouvoir, et sont embarrassés par l’Idex. Faut-il le modifier, le supprimer ? À Toulouse, Gilbert Casamatta laisse alors son bureau à Marie-France Barthet. « J’ai été élue en pleine situation de crise, se souvient-elle. Il n’y avait pas d’autre candidat, on est venu me chercher ! » Elle met en place une large consultation. La gouvernance est retravaillée, et un nouveau projet finit par être adopté avec la signature du gouvernement et du commissariat général à l’investissement. Il prévoit l’abandon de la fusion au profit d’un modèle fédéral, plus précisément une Communauté d’universités et d’établissements (CoMUE), créée par la loi Fioraso de 2013. En juillet de la même année, la convention attributive des fonds Idex est finalement signée. Les programmes peuvent démarrer, avec un an de retard sur les autres sites labellisés. L’évaluation est prévue trois ans plus tard.

Retour à la case départ Coup de théâtre le 29 avril 2016, l’Idex de Toulouse est arrêté. Pour le jury indépendant, l’objectif Idex est impossible à atteindre « sans une dynamique nouvelle et des mesures de rupture ». Au Pres, devenu CoMUE Université fédérale de Toulouse, c’est la grosse claque. « Honnêtement, je trouvais qu’on n’allait pas assez loin dans la structuration, se souvient Marie-France Barthet. Mais je pensais que Toulouse aurait une deuxième période probatoire, comme Paris-Saclay. » L’État finit par accorder un sursis de 18 mois et une enveloppe de 7 millions d’euros à la communauté toulousaine pour revenir avec un projet plus fédérateur. Marie-France Barthet, en fin de mandat, est remplacée par Philippe Raimbault, directeur de l’IEP de Toulouse, élu à la tête de l’Université fédérale le 1er juillet 2016.

Tous les dirigeants semblent alors d’accord : il faut conserver l’Idex. Ne serait-ce que parce que le label représente 33 % des recettes de l’Université fédérale, selon le rapport du haut conseil (HCERES) chargé de l’évaluer. Une dynamique a aussi été enclenchée, des programmes de recherche lancés… Mais c’est le retour à la case départ, ou presque, avec en ligne de mire décembre 2017. « On a pris conscience que certaines critiques pouvaient être fondées, et qu’il fallait faire évoluer la gouvernance », estime Philippe Raimbault. La nouvelle équipe se met alors au travail et se dote d’un comité d’orientation stratégique pour se comparer avec les sites ayant obtenu la validation. La feuille de route de reconquête de l’Idex, rendue publique le 9 janvier 2017, dessine une université à deux vitesses, avec en son centre, un noyau dur amené à devenir un grand établissement du nom de l’Université de Toulouse. En son sein : les universités Jean-Jaurès (anciennement le Mirail), et Paul-Sabatier, l’INP et l’Institut national des sciences appliquées (INSA). Quatre institutions appelées à perdre leur personnalité juridique ainsi qu’à centraliser leurs finances et la gestion des ressources humaines. Les diplômes et la recherche seront mis en commun avec le deuxième cercle d’établissements, composé de l’UT1, Isae-supaero, l’Enac et l’ENVT, qui pourront, s’ils le souhaitent, intégrer le noyau. « Un très bon avant-projet, estime Marie-France Barthet. J’aurais rêvé pouvoir le faire mais il n’y avait pas encore eu le choc du retrait du label. À mon époque, les acteurs n’étaient pas prêts à aller aussi loin dans l’intégration. »

idex manifestation toulouse jean-jaures

Jean-Jaurès conteste Restait toutefois à obtenir l’approbation des conseils d’administration des établissements concernés. À Jean-Jaurès, le CA, qui devait avoir lieu fin janvier, a été bloqué par des syndicats du personnel et des étudiants. Reporté au 10 février, il a été délocalisé au rectorat par crainte d’un nouveau blocage, et placé sous protection policière. Une centaine de personnes, étudiants et syndicalistes, avait fait le déplacement, mais la feuille de route a tout de même été adoptée.

La crainte des opposants ? Que Jean-Jaurès soit laissée de côté au profit des sciences dites « dures », et notamment de Paul-Sabatier. « La feuille de route de reconquête de l’Idex prévoit une technopole scientifique et technique réunissant les trois établissements du noyau dur mais pas le Mirail. Qu’est ce qu’on fait là ? », s’interroge Sylem. Étudiante en licence de philosophie à Jean-Jaurès, elle a monté un site, « Stop Fusion », avec des amies. « On s’est retrouvées avec d’un côté des gens qui voulaient récupérer les subventions, et les syndicats qui parlaient d’une baisse de moyens et de la disparition de filières. On a voulu se réapproprier la problématique. » Ce qu’elles redoutent avant tout, c’est un modèle unitaire, inspiré des universités anglo-saxonnes et pourtant plébiscité par le jury international. « L’Université de Toulouse va décider des sujets de recherche, des subventions, et nous avec nos sciences humaines et sociales, avec nos professeurs d’occitan, dans quelle mesure on va obtenir des trucs ? »

L’université comme usine à compétences Elle n’est pas la seule à estimer que l’Université de Toulouse va petit à petit privilégier les filières universitaires à fort potentiel économique. Pour Véronique, du syndicat Ferc Sup CGT, « les formations vont être de plus en plus tournées vers le bassin d’emploi ». Un argument que réfute le président de l’Université fédérale : « L’objectif c’est plutôt de créer des filières innovantes qui mixeraient les sciences sociales avec ce qu’on appelle les sciences dures. On souhaite créer une offre plus attractive, on fait ça pour les étudiants ! ». Pour Gilbert Casamatta, le site toulousain doit évoluer pour rester dans la course et attirer les meilleurs chercheurs et étudiants étrangers. « La France fait partie des dix premières puissances mondiales, et pour les universités, où est-on ? Le pays est quasiment absent des classements internationaux ! » En ce sens, l’Idex est indispensable, et les chances de le reconquérir réelles pour celui qui est désormais président de l’Institut de recherche technologique (IRT) Saint-Exupéry : « Je sens une équipe motivée, il y a de vrais enjeux et il faut qu’ils

soient partagés par tout le monde ». Suite au feu vert du CGI, le dossier toulousain devrait être déposé début octobre pour un nouveau passage devant le jury international, sans doute début 2018. « De l’eau a coulé sous les ponts, analyse Philippe Raimbault. Toulouse n’est pas la seule à chercher un modèle alternatif. Il y a aussi Lyon, Paris-Saclay, Rennes… J’espère qu’il y aura un effet de comparaison et que le jury comprendra que c’est compliqué de faire une fusion sans perdre des acteurs essentiels. »

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