Le rendez-vous a été fixé à l’ancienne chapelle des Lazaristes, 18 Grande rue Saint-Michel. Le lieu n’aurait pas pu être mieux choisi. Inaugurée en grande pompe en mars 2016, la nouvelle salle communale est l’un des emblèmes de la mobilisation riveraine dans le quartier. Promise à un promoteur, c’est sous la pression des habitants, dont le comité de quartier Saint-Michel et son très persuasif président Guillaume Drijard, que la chapelle a finalement été rachetée par la Ville. En ce soir de septembre, les riverains ont rendez-vous pour un atelier de concertation sur la transformation prochaine de la Grande rue Saint-Michel. Au centre de la salle, les urbanistes ont déroulé une photo satellite de la rue, de quatre mètres de long. En terrain conquis, les habitants sortent les calepins sur lesquels ils ont consigné le fruit de leurs réflexions. Alors qu’alignés le long d’un mur, les « officiels » semblent, eux, se demander à quelle sauce ils vont être mangés.
Les officiels semblent se demander à quelle sauce ils vont être mangés.
Dans la lumière bleutée des vitraux, la socio-urbaniste Céline Loudier-Malgouyres explique à la vingtaine de riverains aux tempes majoritairement grises les règles du jeu de cette soirée particulière. Ils ont 35 minutes montre en main pour noter leurs suggestions sur le plan satellite pour que le projet des urbanistes colle au mieux à leurs attentes. Une fois le temps écoulé, tous sortiront pour « une marche exploratoire » à travers le quartier.
Le compte à rebours est lancé. Très vite, le plan est annoté, barré de flèches et de grands traits. Ici on épingle un trottoir trop étroit pour les poussettes, là, un passage piéton dangereux la nuit venue. Pourquoi ne pas planter des arbres ici ? Et « pourquoi les toulousaines occupées par des kebabs sont placardées de PVC alors que les proprios doivent respecter un code couleur strict pour leurs volets ? ».
« C’est fini ! on range les feutres ! ». Après les travaux pratiques, l’heure est venue d’aller se frotter à la réalité du terrain sur les sept points les plus commentés. Premier arrêt au bout de quelques pas, devant le castelet de l’ancienne prison Saint-Michel. Dans le vrombissement des motos et des voitures, les index se tendent en tous sens et les suggestions fusent. « Si on abattait cette enceinte, on pourrait étendre le marché des producteurs et créer une belle esplanade », « On pourrait installer des bancs pour les personnes âgées qui font le marché ». Luttant contre les bourrasques de vent, un urbaniste note les propositions sur un grand plan en noir et blanc.
La marche, ponctuée de quelques « En vélo, c’est suicidaire ici ! » ou « Ici, c’est tellement merdique qu’il n’y a pas d’accident tellement les gens font gaffe ! », continue point après point. S’enfonçant parfois dans les ruelles adjacentes pour suggérer la création d’un chemin piétonnier sur un futur projet immobilier. Le soleil s’est couché et le groupe se délite. « Il ne reste que des associatifs », remarque Guillaume Drijard. Arrivés devant la fontaine de la place Lafourcade après presque deux heures de marche, certains riverains sont satisfaits d’avoir été entendus. D’autres sont plus perplexes. « Ils s’étonnent devant des problématiques qu’ils connaissent déjà puisqu’on leur en a déjà parlé. J’ai comme l’impression qu’ils jouent les naïfs pour nous donner le sentiment de nous écouter… »
Découvrez la suite de notre dossier sur le pouvoir des riverains à Toulouse avec notre enquête : Le riverain, un voisin qui vous veut du bien. Et notre interview : Loïc Blondiaux : « Sans conflit, pas de démocratie ».