La décoration ethnique du sobre bureau de l’avocat donne le ton, Maître Ludovic Rivière aime les voyages qui satisfont sa curiosité des autres cultures. Né il y a 50 ans en Seine-et-Marne, il vit à Toulouse avec ses deux enfants et plaide un peu partout en France. Nerveux, il tire sur une cigarette électronique tout en massacrant son chewing-gum. Il tape un texto, nous donne la réplique et : « Pas de photos aujourd’hui, hein ? lance-t-il en vérifiant sa pochette, j’ai l’air d’un sac ». Ce qui est faux, mais inutile d’argumenter. Nous étions prévenus : « Ludo, c’est quelqu’un qui peut vous lancer un cordial “salut !” ou tout simplement ne pas vous calculer, laissant une désagréable impression de mépris. » Vu son accueil, il faut croire que nous avons eu droit au bon côté de la médaille. Il sait ce qui se dit des avocats qui aiment les médias pour se faire mousser ou avancer leur carrière. « Si j’accepte ce portrait, c’est pour servir la cause, pas l’ego », assume-t-il. La cause, c’est celle des enfants enfermés avec leurs mères dans des camps au nord de la Syrie que des avocats français épaulés par l’association Avocats sans frontières tentent de faire rentrer en France. Les femmes sont pourtant toutes sous le coup d’un mandat d’arrêt international d’un juge antiterroriste français. Depuis bientôt trois ans, plus de 200 enfants français, 600 européens (pour la plupart âgés de moins de 6 ans) sont prisonniers dans les camps du Rojava contrôlés par les Kurdes, dans des conditions dramatiques décrites par les observateurs et ONG qui ont pu se rendre sur place. Des collègues interrogés ne sont pas étonnés de ce combat. Jean-Marc Lacoste, de l’Union des Jeunes Avocats, parle d’un « homme rigoureux, très engagé pour les Droits de l’Homme ». L’avocate Claire Dujardin qui l’a connu à l’occasion de dossiers relatifs au droit des étrangers le voit comme « un très bon avocat et un grand humaniste. Je ne suis pas surprise qu’il se soit intéressé aux familles françaises retenues en Syrie et se soit engagé dans leur défense. Il a déjà montré qu’il était touché par les gens en détresse. Et puis, c’est un défi juridique. Et il aime les défis qui le stimulent intellectuellement. » Féru de géopolitique depuis toujours, avec un père militaire qui voyageait dans les régions les plus chaudes où s’exerce l’influence française, Ludovic Rivière prend un grand soin à expliquer la situation. Tout en gardant un œil sur une appli qui détaille en temps réel les conflits de la zone concernée, il brosse pour nous le décor de sa mission. Les autorités kurdes du Rojava ou Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) ont demandé très officiellement le rapatriement des prisonniers de guerre par les autorités étrangères de leurs ressortissants respectifs : eux n’ont aucun intérêt à maintenir ces camps. La réponse de la France, par la voix de Laurent Nuñez, conseiller spécial et coordonnateur national du renseignement, soit un proche du Président de la République, est qu’il n’est pas question de rapatrier ces femmes et ces enfants autrement qu’au cas par cas. « En choisissant les enfants qu’elle décide de sauver, [35 retours à ce jour], en refusant l’accès à ces camps à des grands-parents français, à des avocats, à des parlementaires, le gouvernement de la France se rend complice », mentionne le texte déposé auprès de la procureure de la Cour pénale internationale le 30 mars dernier. Mes Dozé, Rivière et Tcholakian assistés de deux doctorantes en droit public y dénoncent « les crimes de guerre dans le nord-est de la Syrie pouvant mettre en cause la responsabilité du Président Macron en sa qualité d’auteur et complice. » Ils demandent l’ouverture « d’une enquête sur les crimes de guerre en train de se commettre sur les enfants français et leurs mères dans les camps et sur l’éventuelle responsabilité pénale du chef de l’État français. »
Le recours à la CPI apparaît, à ce stade, comme une façon de contraindre le président de la République à permettre le retour en France de tous les enfants français en danger et celui de toutes les femmes françaises poursuivies par la justice française. Tout pour plaire à Ludovic Rivière. Lui qui se présente comme un modeste avocat dont le quotidien est occupé par des affaires de droit social et droit commercial, qui a commencé « en défendant des banques », ne recule pas facilement. Il est sûr de lui et ça ne date pas d’hier. « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être avocat. D’ailleurs, je ne sais pas ce que j’aurais pu faire d’autre ! » C’est dans les cas dont il s’empare pro bono (c’est à dire en jargon judiciaire, gratuitement) qu’il se révèle : « Mon premier cas perso, en tant que tout jeune avocat, a été de défendre un Algérien réfugié en France au moment des attentats perpétrés par le GIA dans son pays. Pas facile », commente-t-il sobrement. C’était un pied dans le droit des étrangers qui l’a amené à défendre régulièrement des demandeurs d’asile. Quitte à se faire remarquer en 2015 quand il obtient l’acquittement d’un ancien militaire rwandais résidant en France et accusé de génocide. « Les affaires concernant les Rwandais sont délicates, juge-t-il, parce que dès le moment où la personne mise en examen est Hutu, on imagine d’emblée qu’elle a participé au génocide. »
©Alain PITTON
Pourquoi cette empathie pour les étrangers ? « Peut-être parce que je me sens partout chez moi », hasarde-t-il. « Parce que ma grand-mère était réfugiée italienne à une époque où, dans notre pays, on menait des pogroms contre les Italiens » Sans doute l’image de son arrière grand-père, résistant, mort en déportation à Birkenau compte-t-elle aussi. « Dans l’hôtel qu’il tenait en banlieue parisienne, il cachait des juifs et des étrangers. Il a été dénoncé… Et puis, le droit des étrangers est complexe, il permet de faire du droit international privé, du droit de la famille, du pénal, un peu de droit administratif. C’est aussi une défense d’urgence, qui est liée à la précarité des situations. C’est très formateur.» Technicien, chercheur, enquêteur, il cache mal sa fierté d’avoir bouclé avec succès des affaires qui lui tenaient à cœur. Ainsi quand il décrit par le menu la défense en appel de Louise Lourdou, présidente d’Act Up sud-ouest en 2017, accusée par La manif pour tous d’injures publiques pour les avoir traités d’« homophobes assassins et de complices du SIDA ». Il a prouvé que la manifestation de la liberté d’expression par Louise Lourdou « n’a pas dépassé les limites admissibles à la liberté d’expression et d’opinion ». S’il connaît bien la culture du slogan choc et des actions trash d’Act Up, c’est aussi parce qu’il y a milité occasionnellement « pendant ces années 1990 où on balançait des poches de sang sur les ministres », mais aussi parce que deux membres de sa famille sont morts du VIH.
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Inutile de préciser qu’en défendant de tels cas, il est arrivé à l’avocat de recevoir des menaces. Cela ne l’empêche pas d’aller plus loin. « Programmer une mission exploratoire humanitaire d’urgence dans les camps du Rojava en Syrie, en temps de pandémie, c’est niveau 2 ». Il entreprend un premier déplacement avec sa consœur Marie Dozé, en décembre 2020. Mais impossible de sortir d’Irak pour entrer en Syrie. Au consulat français d’Erbil, on les dissuade lourdement de continuer « pour des raisons de sécurité ». La seconde mission comporte en plus des avocats, quatre députés et eurodéputés français : Mounir Satouri, Frédérique Dumas, Hubert Laferrière et Sylvie Guillaume. « L’accueil cette fois-ci se fait en grande pompe, la diplomatie parlementaire joue en notre faveur. Les médias sont présents. » Mais, arrivés au poste frontière de Semalka, c’est un nouveau refus. « À force de faire du bruit dans la presse et sur les réseaux, nous sommes finalement reçus de l’autre côté. Et là, le ministre des Affaires étrangères du Rojava nous dit : ” Je ne peux pas faire ça à la France [vous laisser passer]. Je ne peux pas déplaire à la France” ».Tout est annulé. La déception est grande. « Alors nous avons laissé la priorité aux députés et à la parole politique. Il fallait faire du bruit, attirer l’attention. Nous, avocats, nous sommes juste des techniciens du droit, nous ne faisons pas de politique ». Le gouvernement, qui s’était engagé à répondre aux questions des députés se dédit, embarrassé car porteur de la doctrine du rapatriement au cas par cas. Bien sûr, il y a eu des critiques, « mais je m’en fous », balaye-t-il. « Mon moteur dans cette affaire ? Je ne comprends pas que mon pays abandonne des enfants aussi jeunes. C’est fou et inédit pour la France de laisser des enfants dans des camps ! On bafoue les valeurs démocratiques. Je suis en outre persuadé que, pour combattre le terrorisme, il faut faire l’inverse de ce que nous faisons. Les terroristes veulent provoquer la haine, c’est dans leur idéologie. Et que fait-on en refusant à des enfants, des innocents, de revenir ? C’est un message de haine aussi. On a peur des femmes qui reviendraient ? Alors ils ont gagné. » Il attire aussi l’attention sur l’effet potentiellement désastreux de regrouper dans le même lieu marqué par les traitements dégradants des femmes qui ont été longtemps en contact avec l’État islamique. « Que l’on imagine ce que cette éducation va donner sur des enfants nés là-bas et abandonnés par leur propre pays. C’est extrêmement dangereux. Pour lutter, la seule réponse est démocratique, c’est à dire un procès dans lequel l’accusé peut se défendre. » Prochaine étape le 29 septembre avec une audience devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Maître Rivière y sera, en soutien. Et puis, délaissant une minute l’aridité des dossiers, Ludovic nous montre l’écran de son smartphone. On y voit des dessins d’un enfant. C’est une petite fille qu’il défend qui les a fait. Il y a une maison, le mot « maman ». « Voilà, dit-il, c’est des enfants. » Rien d’autre, et ça suffit.
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