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Caballet – Kader Belarbi

Comment l’idée d’un ballet sur Toulouse-Lautrec a-t-elle germé ? J’ai une passion pour la peinture. Je peins depuis que je suis enfant et je suis resté un peintre amateur. Toulouse-Lautrec, lui, est un peintre par défaut, un danseur enfermé dans un corps empêché. Comme la maladie dont il souffrait l’empêchait de danser, il a projeté le mouvement dans sa peinture. La danse est partout dans son œuvre.

Comment passe-t-on du mouvement figé des toiles et des affiches, aux corps en mouvement des danseurs de ballet? Très naturellement. Même dans les gestes figés de ses toiles, Toulouse-Lautrec parle du mouvement a priori et a posteriori. Sa peinture est toujours dans l’élan. Tout chez lui est rapide et animé. Il est porté par son époque, celle des débuts du cinéma, de l’industrie, de la photographie, où tout va vite, ou tout n’est que mouvement.

Quel est le sujet du ballet ? La vie du peintre ou sa peinture ? Je voulais à tout prix éviter le biopic. Ce qui m’intéressait c’était partir de ce corps usé par un homme gourmand, amoureux, fou, alcoolique, qui consommait sa vie. Pas un récit de vie linéaire, donc. Plutôt un collage composé de tout ce qui fait l’univers de Toulouse-Lautrec. Sa vie tient lieu de ligne générale, mais la forme, qui s’apparente à une revue, permet une nouvelle rencontre avec le personnage.

Pourquoi tant de professionnels du cinéma autour de vous pour ce ballet ? Musique de Bruno Coulais (Microcosmos, Les Choristes), costumes d’Olivier Bériot (Le roi danse, Adèle Blanc-Sec, Anna, Taken 3), scénographie de Sylvie Olivé (récompensée à la Mostra de Venise en 2009 pour Nobody) ? D’abord parce que j’ai l’habitude de m’entourer de compagnons de travail issus d’univers autres que la danse ou le théâtre. Ensuite parce que ma vision de la chorégraphie est à dimension cinématographique. J’essaie de retirer de la danse la pantomime et les surjeux du XIXe siècle, pour aboutir au même résultat que le cinéma : laisser parler le corps.

Toulouse-Lautrec dépasse même le cinéma, puisque vous annoncez y expérimenter une nouvelle forme de ballet augmenté par la réalité virtuelle. De quoi s’agit-il exactement ? Les spectateurs ont le choix entre un billet classique et un billet avec réalité virtuelle. Ceux qui optent pour la réalité virtuelle sont invités à enfiler des lunettes une douzaine de fois au cours du spectacle. Les images qui défilent devant leurs yeux, enregistrées au préalable, les placent tantôt au milieu des danseurs, tantôt au ras du sol… Parfois même dans une situation différente de celle qui se déroule sur scène.

Par exemple ? Au cours d’une scène entre Toulouse-Lautrec et sa mère, illustrant, pour le spectateur classique, l’amour maternel, le spectateur en réalité augmentée assiste avec exactement la même musique, la même ambiance sonore, à une scène de conflit entre la mère et son fils. Cela crée un trouble et raconte une autre histoire.

N’est-ce pas un comble d’enfiler un casque de réalité virtuelle dans une salle de spectacle après tout ces mois de confinement et de fermeture des théâtres ? Pour le spectateur, la réalité virtuelle est optionnelle, et j’y tiens. Je suis resté vigilant à ne jamais quitter le spectacle vivant ni l’émotion directe. J’étais conscient du risque de noyade dans le virtuel. Malgré tout, bien utilisée, la réalité virtuelle permet de penser à 360 degrés, d’immerger le spectateur au cœur des danses, de le placer dans des situations où il est regardé par les danseurs ou incorporé à la danse. On éprouve avec ce procédé des sensations inédites. Le résultat est sensationnel. Il change le rapport au corps et à la danse. Il permet au public de faire partie du spectacle comme dans les cabarets du temps de Lautrec, où n’existait aucune frontière entre la scène et la salle.

Les spectateurs classiques profiteront-ils eux aussi de cette porosité entre scène et salle ? Le spectacle sera partout grâce à un proscenium, des balcons, et la présence des danseurs dans la salle (dans le respect des contraintes sanitaires…) Il s’agit de créer une agitation véritable, de donner tantôt dans l’onirique, tantôt dans le réaliste, mais toujours dans le cabaret. Pour laisser un témoignage dingue du corps, du mouvement, de la crudité, et de la vie.


Boudu magazine Kader Belarbi

© David Herrero


Kader Belarbi 1962 : Naissance à Grenoble 1975 : Entrée à l’école de danse de l’opéra de Paris 1989 : Danseur étoile, prix Nijinsky 2008 : Adieux à la scène 2012 : Nommé directeur du ballet du Capitole

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