La crise sanitaire du Covid-19 avait agi sur eux comme un formidable accélérateur de particules. Mais depuis le début de l’inflation, les producteurs qui ont fait le choix de travailler en circuit court font grise mine. Leur planche de salut ? Les pouvoirs publics dont ils attendent de l’aide pour offrir des débouchés et structurer les filières.
Le monde agricole est dans le dur. Après une décennie de progression constante et un pic exceptionnel pendant la période Covid, les paysans français paient un lourd tribut au contexte inflationniste qui touche le pays. En particulier ceux qui ont fait le choix de travailler en circuit court. Jean-Louis Cazaubon, vice-président du Conseil régional en charge de la souveraineté alimentaire, ne nie pas l’évidence. Et déplore qu’en période de hausse des prix, le consommateur se détourne des produits de qualité : « C’est eux qui ont perdu des parts de marché, qu’il s’agisse du bio, qui s’écroule, ou des produits locaux. Il y a ce réflexe d’acheter le moins cher pour les produits alimentaires. Ils ne vont pas regarder combien coûte l’iphone mais pour l’alimentaire, si. Et ce n’est pas que le fait des ménages modestes. La Mercedes peut très bien être garée devant chez Lidl. » Un constat partagé par l’ensemble des acteurs politiques comme Sébastien Vincini, président du Conseil départemental de la Haute-Garonne à l’origine du premier forum des circuits courts le 6 novembre dernier pour tenter d’endiguer le phénomène : « Le monde agricole a besoin que les pouvoirs publics prennent ce sujet à bras-le-corps. Parce que le circuit court, c’est gentil quand on est consommateur au marché Saint-Aubin ; ça l’est moins quand on est producteur au fin fond du Comminges. On doit enclencher des changements radicaux, accélérer, sortir de l’incantation et passer dans du concret. » Un volontarisme qui s’est traduit, dès le début du mandat de l’ancien bras droit de Georges Méric, par l’affichage d’un objectif ambitieux : 100 % local, fait maison et au maximum bio dans les assiettes des collégiens haut-garonnais à l’horizon 2027. « On a un rôle fondamental à jouer parce que l’on sert 50 000 repas par jour ce qui représente, aujourd’hui, 12 millions d’euros de denrées alimentaires achetées par an. » Une puissance financière sur laquelle il mise pour structurer la filière et trouver des débouchés aux agriculteurs de son département. Même s’il n’ignore rien de l’ampleur du chantier vu qu’il s’agit, au fond, de reconstruire ce qui a été déconstruit au cours de ces 30 dernières années : « N’oublions pas qu’avant, il y avait une cantinière dans chaque établissement. Et puis dans les années 2000, il a fallu normer pour des raisons sanitaires légitimes. Donc on a fermé les petites cantines dans les écoles au profit de la restauration collective. On a tourné le dos au goût et par ricochet à la production locale. Mais ce courant-là allait de pair avec l’intensification et la transformation de l’agriculture enclenchée dans les années 70. N’oublions pas que Toulouse disposait d’une grande plateforme de maraîchers… Aujourd’hui, on essaie de travailler à l’effet inverse. »
Le département de la Haute-Garonne n’est pas le seul à s’employer à inverser la tendance. À la Région, on a également conscience du problème. Déjà en pointe au moment du Covid avec la mise en place express de la plateforme Solidarité Occitanie Alimentation qui référençait 3 500 produits, Occit’Alim, qui lui a succédée, revendique désormais 10 000 références (voir encadré p.20). Et ambitionne d’élargir le dispositif à tout le monde pour mettre en place « une sorte de grand magasin virtuel où l’on retrouverait tous les produits », dixit Jean-Louis Cazaubon. Pour séduire aussi bien des cuisines d’entreprises comme Airbus que les particuliers. « L’objectif, c’est vraiment d’ouvrir des débouchés aux circuits courts », résume le vice-président du Conseil régional. Des initiatives louables qui se heurtent néanmoins toutes à l’écueil de la logistique. « Individuellement, un producteur coûte plus cher. Quand vous partez avec 10 kg de marchandises pour 300 kilomètres, forcément, c’est plus onéreux qu’une centrale qui livre la viande, les légumes et les desserts. Il faudrait vraiment arriver à centraliser les produits dans un endroit avant de les dispatcher. »
Ou à les regrouper dans un grand magasin. Longtemps accusées de tous les maux, les grandes et moyennes surfaces (GMS) semble en effet désormais constituer une partie de la solution. Jean-Louis Cazaubon décrypte : « Si l’on veut atteindre la souveraineté alimentaire, il faut faire feu de tout bois. Et embarquer la GMS avec nous. N’oublions pas que 62% des produits alimentaires que l’on consomme sont achetés en grande distribution (source Insee). » Pour y parvenir, la Région Occitanie organise depuis deux ans les assises de la distribution durable. Tout sauf une sinécure : « Au début, ce n’était pas évident parce qu’elles n’en voulaient pas. On a vraiment insisté sur le fait que l’on voulait voir la part des produits issus du circuit court progresser dans leurs rayons. On a même organisé des salons où les producteurs et les enseignes se rencontrent, une sorte de speed-dating de l’alimentation. Aujourd’hui, elles s’y mettent mais ça prend du temps. Car il faut avoir la capacité de les approvisionner. Seul, un paysan ne peut pas y arriver. Il faut essayer de se regrouper, sous la coupe, par exemple, de filières territorialisées comme le Roquefort ou le Laguiole qui livrent tous du même endroit. »
À la Métropole toulousaine, Jean-Jacques Bolzan, adjoint au Bien-Manger œuvre dans la même direction. Parce que sur le terrain, cet ancien fils d’agriculteurs s’est rendu compte que les mentalités ont changé : « Quand je vais dans les territoires ruraux, je rencontre des paysans qui me disent vouloir travailler avec les GMS. » Mais l’élu a trop d’expérience pour se nourrir de promesses : « C’est bien d’avoir l’oreille de la grande distri. Mais ce n’est pas suffisant. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’action. »
De l’action qui se matérialise par cette charte soumise à Carrefour dans laquelle l’enseigne s’engage à permettre à des producteurs d’accéder à ses magasins sans passer par des centrales d’achats. « Même si cela ne concerne, au début, que deux ou trois producteurs, l’important, c’est d’enclencher la mécanique. » Et de ne pas se limiter à la seule métropole : « Le terrain de jeu, c’est l’Occitanie. Si on ne s’adresse qu’à des paysans de la Métropole, on va finir comme des petits Biafrais. Pour le bien manger, je travaille sur tout le territoire. On a signé des contrats de réciprocité avec les Hautes-Pyrénées, l’Ariège, le Comminges, le Gers, etc. La Métropole, c’est le bassin de consommation. Donc notre rôle, c’est de gérer le pack de la gastronomie. » En faisant fi des étiquettes politiques. « Il faut travailler avec tout le monde. En matière d’alimentation, il n’y a pas de politique. Sinon on ne s’en sort plus ».
Un avis partagé par ses confrères des autres collectivités comme Sébastien Vincini, pour qui il faut aller encore plus loin : « Jusqu’à maintenant, chacun faisait les choses un peu dans son coin. On a commencé à en parler. C’est bien. Mais il faut aller plus loin pour gagner en efficacité. D’autant que c’est dépolitisé : qui peut être contre le fait de manger mieux ? » Certainement pas Jean-Louis Cazaubon qui rappelle comme un mantra qu’il en va de la survie de nos territoires : « Quand je dis que nos emplettes sont nos emplois, c’est une réalité ! »
Destins croisés
Il existe 1001 manières de vivre le circuit court. La preuve avec Hélène Delmas et Victor Alicot.
Lorsque Victor Alicot s’installe à Daumazan en Ariège pour devenir maraîcher, il vend ses produits aux habitants de sa rue. Insuffisant pour en vivre. Sauf que les maraîchers dans le coin, ce n’est pas ce qui manque. Il décide donc de s’inscrire sur un drive fermier, cagette.net, « pour ne pas leur marcher sur les pieds ». Une fois par semaine, le mardi, il livre place Damloup ses clients toulousains… encore trop peu nombreux à ses yeux. « En moyenne, j’ai 5-6 réservations par semaine. Heureusement que je livre aussi des restaurateurs sinon cela ne vaudrait pas le coup. Ce n’est pas évident de trouver de nouveaux clients ici. Les Toulousains ont leur habitudes… »
Productrice de volailles bio dans le Lauragais et porte-parole de la Confédération paysanne 31 depuis 2019 « pour montrer qu’une autre agriculture est possible », Hélène Delmas décide de créer, au début du confinement, avec plusieurs fermes, l’association DirectPaysans. Le principe est simple : mutualiser les coûts pour gagner en efficacité. Si les marchés de plein vent continuent de représenter 60% de son chiffre d’affaires, elle aimerait voir cette nouvelle activité progresser. Pour y parvenir, l’association a rouvert un point de distribution à Paul-Sabatier en plus des casiers automatiques de l’avenue de Muret et des Halles de la Cartoucherie. « La vente directe, c’est le plus chronophage. J’ai d’ailleurs arrêté la vente à la ferme parce que les gens ne respectaient pas les horaires d’ouverture. Mais pour que notre drive se développe, il faut que les producteurs s’unissent pour offrir une plus grande variété de produits au consommateur. »