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Il faut nous faire confiance

Développer les circuits courts, Sébastien Albouy y est évidemment favorable. Mais pour le jeune président de la Chambre d’agriculture de Haute-Garonne, le monde paysan a besoin des pouvoirs publics.



Que représentent les circuits courts en Haute-Garonne ? C’est très difficilement quantifiable. Environ 20 % des  5 000 agriculteurs du département en font, mais ils ne sont qu’une petite centaine à en vivre à 100 %.  Ce sont souvent de petites exploitations mais on trouve toutes les tailles. 


Comment ce mode de distribution évolue-t-il ? Il est en progression avec une accélération non rationnelle pendant le Covid. Le chiffre d’affaires de la plateforme Produit sur son 31 (créée par la Chambre d’agriculture en 2011, ndlr) a par exemple quasiment doublé pendant cette période. Depuis, on est revenus à des chiffres équivalents à 2019. 


Pourquoi ? Les gens avaient le temps et l’envie, pendant le Covid, de manger local, de se faire plaisir. Et puis mine de rien, ils se déplaçaient moins. Sans compter que les comptes en banque ne se sont jamais aussi bien portés qu’à ce moment-là. Puis la vie a redémarré. On a accusé une baisse dès la réouverture. Et l’arrivée de l’inflation n’a rien arrangé aussi bien pour le consom’acteur que pour le producteur. 


Est-ce inquiétant ? Oui et non parce qu’il s’agit d’un mouvement de fond qui va continuer. Ce qui est inquiétant c’est que pendant le Covid, tout le monde s’est donné les moyens d’aller au marché sans regarder les coûts. Parce que l’objectif était de répondre à la demande. Sauf que pour livrer, tout le monde a acheté une camionnette, développé ses plateformes, etc. Et aujourd’hui avec la contraction de la demande, l’augmentation des charges, et l’inflation, ça ne passe pas. 


Que faire ? Ma bataille, c’est de demander aux organismes publics, au-delà des opérations de promotion des circuits-courts, de participer à la structuration de cette filière. Il faut arriver avec les acteurs en charge de l’agriculture et les institutions en charge de la grosse commande publique (Région, Département, Métropole) à se mettre autour de la table pour partager la logistique. Ce n’est pas sexy mais c’est essentiel. Si le consommateur veut manger du lait et des œufs de ma ferme, il se fiche de savoir si je me suis regroupé avec d’autres pour baisser les coûts. Même si on a amélioré l’impact carbone. Il faut être capable de rationaliser les coûts et de permettre au producteur de livrer un seul point. 


Pourquoi le circuit court va-t-il dans le sens de l’histoire ? On est tous habitants d’un territoire et je crois qu’il y a, philosophiquement, une logique à ce que les citoyens consomment local pour mieux vivre ensemble. Ensuite il y a l’objectif à atteindre de la neutralité carbone. Aujourd’hui, le rayon d’alimentation d’une ville se situe autour de 700 kilomètres. Ce n’est plus possible. Dans un monde à neutralité carbone, on consomme local. Mais il y a un virage à prendre, aussi bien de la part du monde agricole que des pouvoirs publics. 


Quel virage ? On a calibré nos modèles pour ce que le consommateur de l’époque, celui de l’ère de la mondialisation, voulait. Notre blé dur part en Italie pour faire des pâtes, nos veaux partent en Espagne pour être engraissés, etc. En Haute-Garonne, on n’a pratiquement aucune usine de transformation. Comment faire pour changer ? Il faut une volonté de changement de tous les acteurs. Y compris du monde agricole qui peut avoir des hésitations avant de renverser un système qui, sans être parfait, lui permet encore de vivre. Prenons l’exemple de la Brique rose : quand on a créé cette association avec huit producteurs de lait et qu’on a déposé notre lettre de démission à notre laiterie pour commercialiser notre lait, on ne faisait pas les fiers. Mais ces démarches-là, il faut les encourager !


Comment ? La demande existe mais elle doit se matérialiser par des contrats. Pour rassurer la création d’offres…et le banquier ! Prenons l’exemple du veau : pourquoi ne pas remonter nos bêtes nées dans les Pyrénées sur les fermes céréalières du Nord du département vu que l’on sait que l’avenir passe par la polyculture ? Cela permettrait à nos céréaliers de diversifier leur rotation tout en ayant du fumier. Sinon qu’aujourd’hui, personne n’a l’habitude d’acheter du jeune bovin français. Faut-il prendre le risque de garder 2 000 broutards que je ne suis pas certain de vendre ? Si par contre, la commande publique s’engage à me les prendre, la pompe est amorcée. Il faut nous faire confiance. Mais on a besoin d’un coup de pouce financier. 


Le salut ne peut donc pas venir du citoyen ? Si le consommateur n’était pas venu à la ferme ou sur le marché, il ne se serait rien passé. Mais l’enjeu n’est plus à son niveau. La transition aura lieu, c’est une certitude. Aujourd’hui, personne ne peut dire qu’il préfère qu’une viande ait fait 10 000 kilomètres plutôt que 50. La question est de savoir comment faire pour que cela se fasse plus vite, mieux, et que cela coûte moins cher au consom’acteur et en toucher un maximum. Y compris dans les classes les plus modestes. Et les filières courtes ont tout leur sens à ce niveau-là. 


Quelle différence entre circuit court et filière courte ? Dans une filière courte, l’acte de transformation ne se déroule pas sur la ferme. C’est par exemple le cas de Brique rose où notre lait est collecté avant d’être amené à Toulouse où il est transformé dans une usine avant de partir dans les magasins. Il y a une logique un peu industrielle mais dans le sens noble du terme. Dans Brique rose, on arrive à rationaliser les coûts de collecte et logistique ce qui nous permet de payer correctement les producteurs et de laisser de la marge pour le distributeur. Et la GMS (grandes et moyennes surfaces) a toute sa place dans ce processus. 


Pourquoi la GMS ? Autant le circuit court n’est pas adapté pour ces magasins qui ont besoin d’un produit un peu standardisé avec un certain volume, autant ils peuvent participer au développement des filières courtes… à condition d’être raisonnables sur leurs marges.  Ce qu’ils ont tendance à ne pas faire sur les produits locaux parce qu’ils ont compris que pour une certaine catégorie de consommateurs, le prix importe peu sur ce segment. Alors que s’ils appliquent leur taux de marge normal, cela permettra de toucher plus de clients, donc de faire plus de volume et de convertir davantage de producteurs. Il faut absolument qu’ils sortent d’une vision très court-termiste et qu’ils comprennent l’intérêt de s’inscrire dans un cycle long. Comme on le fait, nous, les agriculteurs.

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