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Sébastien Vaissière

Coup de chaud – La Ferme aux ânes

Dernière mise à jour : 18 janv.

L’été 2022 n’as pas fait qu’échauder les vergers de la vallée de la Garonne et le raisin des vignerons du littoral. Il a aussi perturbé l’activité pastorale pyrénéenne, en tarissant les sources et jaunissant les prés. Ce fut le cas autour de la Ferme aux ânes, une exploitation agricole et touristique ariégeoise où paysans, animaux et végétaux ont fait ce que le rural et la nature savent faire de mieux : s’adapter.



On a cru l’été invincible, mais in fine l’automne a eu sa peau… au bout du suspense, et après prolongations. Ce matin, à Tarascon, on sent bien que l’hiver n’est pas loin : les carreaux s’embuent, les passants se mouchent, la lumière est grise et les platanes roux. À l’heure du café, rue de la République, la brasserie du Donjon embaume déjà le civet. Plus au sud, à Appy, à mille mètres d’altitude, la Ferme aux ânes apparaît dans un concert de braiments. De longs bâtiments ouverts abritent du foin, un tracteur et des bêtes. Leurs toits seront bientôt couverts de panneaux solaires. « On les a commandés, mais la demande est telle que les délais s’allongent » explique Laurence Rousseau dans un sourire timide et une polaire bleue.


Laurence Rousseau, la Ferme aux ânes. Photo : Rémi Benoit
Laurence Rousseau, la Ferme aux ânes. Photo : Rémi Benoit

Avec deux associés, elle élève un troupeau de gasconnes (une cinquantaine de mères) et 67 ânes des Pyrénées. Les bêtes ici sont rarement au box. Libres de leurs mouvements, elles évoluent entre 700 et 1400 mètres, sur des parcelles éclatées gérées par une asso foncière pastorale. L’été, elles rejoignent d’autres troupeaux en estive à Luzenac et Appy, pour faire le plein d’herbe grasse et de paix. La viande bovine bio est écoulée en vente directe. Les ânes, pour leur part, randonnent aux beaux jours avec les estivants. Chaque activité rémunère la ferme à part égale. Cerise sur le gâteau, à l’automne, les pommes des vergers éparpillés aux alentours, donnent un jus sucré qui se vend bien. « D’habitude, on fait 2000 litres. Cette année, c’est dix fois moins ». Ce n’est pas, loin de là, le seul stigmate de cet été brûlant. On a beau être en Haute-Ariège, pays d’estives herbues, de neige et de torrents, on n’en subit pas moins les affres du climat quand il part en sucette. Sous le regard impassible de Ralph, taureau placide et puissant qui rumine, l’éleveuse confie ses tourments estivaux : « La plupart de nos bêtes étaient sur l’estive de Luzenac. C’est une vacherie conséquente avec 200 mères, leurs veaux et une cinquantaine de juments. Début août, c’était tellement sec qu’on a compris qu’on n’arriverait pas à tenir. On a pris collectivement la décision de rapatrier les veaux âgés de 6 mois sur nos fermes, plutôt que de se voir obligés de descendre le troupeau tout entier deux semaines plus tard. »


Photo : Rémi Benoit
Photo : Rémi Benoit

Des citernes Sans leurs veaux pendus aux pis, les vaches ont vu leurs besoins alimentaires baisser. La ressource en herbe en a été préservée, et l’estive a pu se prolonger comme prévu, par la grâce de petites pluies tombées début septembre. Les veaux, eux, ont été sevrés et nourris au foin dans des parcours. Par chance, cette année, il était de très bonne qualité, motif de satisfaction pour l’éleveuse : « Les conditions ont été excellentes pour les paysans ariégeois à qui on achète le foin. Ils ont fauché tôt cette année. Malheureusement, il n’y a pas eu de repousse. » Quelques semaines plus tard, quand les mères ont retrouvé la ferme, elles avaient brouté jusqu’au dernier brin disponible en estive. Elles n’en ont pas souffert pour autant. La gasconne est une race autochtone et rustique. On la reconnaît facilement à sa robe grise et à ses yeux de biche qu’on croirait maquillés. C’est un animal solide, débrouillard, parfaitement adapté à la rudesse du climat et au relief montagnards.


Sur les parcours où, en temps normal, les vaches trouvent de quoi boire tout l’été, les sources se sont taries.


Devant les conditions nouvelles de l’été 2022, les gasconnes de Laurence Rousseau se sont donc adaptées : « Leur comportement a été très différent des années passées, analyse-t-elle. Dès le mois d’août, elles sont allées chercher, dans les bordures et les zones humides, des choses qu’elles ont l’habitude de ne manger qu’à l’automne. Elles ont pâturé tout ce qu’elles ont pu trouver. Elles manquaient de vert, ça se voyait ! Elles se jetaient sur des herbes qu’elles ne mangent pas d’habitude ». Dans les parcours, plus bas, même combat. D’ordinaire, le troupeau ne voit pas le moindre brin de foin avant la mi-septembre. Cette année, il y a eu droit un mois plus tôt.

Mais pour un élevage, il y a pire que le manque d’herbe : il y a le manque d’eau. Sur les parcours où, en temps normal, les vaches trouvent de quoi boire tout l’été, les sources se sont taries. À défaut de celle des torrents, les bovins ont donc bu l’eau du robinet : « On s’est retrouvé coincés. On pouvait seulement amener les vaches dans les parcours accessibles où l’on conduisait la citerne. L’eau, c’est crucial. Une vache, quand elle allaite, en boit 50 litres par jour. » Pour les ânes, l’été n’a pas été aussi éprouvant. L’animal est moins accro à l’herbe et son organisme est plus résistant. Aux beaux jours, le troupeau est divisé en deux. D’un côté les bons pour le service qui accompagnent les familles sur les sentiers de randonnée, dans des périples de 2 à 8 jours en bivouac ou en refuge. De l’autre les trop jeunes ou les trop vieux, qui profitent à leur guise des parcours de montagne. « J’ai une gestion sentimentale du troupeau, reconnaît Laurence Rousseau. Je n’imagine pas vendre les ânes retraités, ni en faire quoi que ce soit ». Même cette ânesse agaçante qui rechigne à tout et s’est échappée dix fois en quelques semaines, a droit à tous les égards. Tout juste si Laurence peste quand elle parle d’elle. D’autres l’auraient depuis longtemps changée en saucisson ou vendue à un voisin qu’ils détestent.


Photo : Rémi Benoit
Photo : Rémi Benoit


Photo : Rémi Benoit
Photo : Rémi Benoit

Des questions Pendant la saison des randos, Laurence Rousseau a d’abord pris soin des familles, considérant que « ce qui est bon pour les randonneurs est bon pour les ânes ». Les horaires de départ ont été avancés pour épargner les organismes et éviter les moments les plus chauds de la journée. Les parcours ont été modifiés pour contourner les sentiers en plein cagnard, privilégier les zones forestières et proposer des étapes sur des spots de baignade. D’habitude, les itinéraires traversant Montaillou, la réserve d’Orlu, le pays d’Aillou ou les Vallées d’Ax, réservent d’agréables pauses casse-croûte sur des points d’eau potable. Rien de tout cela cette année… Bien sûr, le bilan de l’été n’est pas mauvais du tout. Les animaux sont en pleine forme, vaches et veaux ont sur le dos le gras qu’il faut, les randonneurs étaient ravis et les réservations au rendez-vous… mais avec cette canicule, la Ferme aux ânes a senti le vent du boulet. Cette préoccupation s’ajoute désormais aux autres : « On se pose des questions. Il y a la sécheresse, la consommation de viande qui diminue dans la population… On sait depuis toujours qu’il faut se diversifier. La crise de la vache folle a montré qu’on n’est à l’abri de rien quand on tire ses revenus d’une seule activité. Avec les randonnées d’un côté et la vente directe de viande bio aux particuliers de l’autre, on assure déjà un bon équilibre. Mais on sent bien qu’il faut rester vigilants », prévient Laurence Rousseau. En prononçant ces mots, elle montre du regard les terrains au-dessus, penchés, escarpés, rocailleux : « Dans les zones comme celles-ci, il est difficile de faire autre chose que de l’élevage. On ne va quand même pas monter à 1400 mètres pour planter des pommes de terre !


« D’habitude, on fait 2000 litres de jus de pomme. cette année, c’est dix fois moins »

C’est un choix de vie. On a choisi de s’installer ici, de travailler cette terre et de la mettre en valeur. Au XIXe siècle, les gens cultivaient des légumes en terrasse là-haut, là où les bêtes pâturent aujourd’hui. Ils le faisaient parce qu’ils crevaient de faim. Peut-être que dans 50 ans, la génération qui vient remettra ces zones en cultures… » Pour l’heure, chacun ici mange à sa faim. Sauf les retardataires de la Brasserie du Donjon à Tarascon, où le civet de sanglier, victime de son succès, est parti en moins d’une heure.


Photo : Rémi Benoit
Photo : Rémi Benoit

Photo : Rémi Benoit
Photo : Rémi Benoit

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