« On commence ou on attend encore un peu ? » Un brin fébrile, Jessica Bir hésite un instant avant de lancer la soirée. Ce soir d’hiver a valeur de test pour la coordinatrice de l’asso Comme un poisson dans l’art. À la médiathèque L’AlphaB de Castelmaurou, une quarantaine de personnes, majoritairement des femmes, venues découvrir ce nouveau modèle de circuit-court culturel. Par abonnement annuel ou au coup par coup, chaque contributeur reçoit tous les trimestres une épuisette (un panier) garni de CD, livres ou places de spectacles. L’inspiration vient des AmACCA (Associations pour le Maintien des Alternatives en matière de Culture et de Création Artistique). Un réseau né après l’inauguration en 2009, à La Ciotat, de la première initiative de ce système de micro-mécénat, où les citoyens consommateurs deviennent coproducteurs.
Je trouve ça génial d’aller voir des spectacles qu’on ne choisirait pas spontanément.
Comme dans les Amap, dont ces paniers culturels sont inspirés, on ne connaît pas à l’avance le contenu de l’épuisette. La chose ne dérange pas Adèle et Laurence. Venues de la commune voisine, elles découvrent leur panier et, par la même occasion, l’existence d’un événement culturel organisé dans un bar de Lavalette. Le projet n’est pas neuf, puisque dès 2012 une association d’artistes haut-garonnais, Art n’Cie, tentait, en amateur, de lancer une première forme de panier culture à Toulouse. Une idée qu’a reprise et s’est appropriée Comme un poisson dans l’art, en 2014. Après s’être fait connaître avec les jolies vitrines du jeudi dans leur ancien local, rue de la Colombette, l’association a fait vivre pendant deux ans le concept en centre-ville, avant de déménager aujourd’hui au nord-est de la métropole. Dans une de ces zones périurbaines où de plus en plus de jeunes Toulousains déménagent à la recherche d’une vie plus calme. Julie a fait spécialement le déplacement et se réjouit de la renaissance du service : « Je trouve ça génial d’aller voir des spectacles qu’on ne choisirait pas spontanément. C’est une façon ludique de s’ouvrir à d’autres formes d’art, et une occasion de rencontrer des artistes ». Jessica Bir mise précisément sur cette soif de découverte et de lien social : « C’est un projet à tiroir. Il permet à la fois de produire des artistes dont le projet ne correspond pas aux financements traditionnels, et encourage la rencontre des contributeurs avec les artistes ».
Utile et fragile Reste à rentabiliser cet échange de bons procédés. Pour l’heure, le poste salarié est financé par les fonds de l’ex-réserve parlementaire et les subventions de collectivités. Auparavant, l’association avait obtenu la bourse Toulous’up récompensant les projets innovants. Ainsi, les 45 euros que coûte un panier pour une personne chaque trimestre (60 pour deux) sont intégralement reversés aux artistes. Soit en moyenne 9 euros par artiste pour chaque panier, avec une cinquantaine d’épuisettes distribuées chaque trimestre. La plupart des artistes sont directement issus du réseau de l’association. Quant à l’organisation des soirées, elle repose sur la collaboration des lieux partenaires et l’énergie de la vingtaine de bénévoles de l’association. Modèle proche de celui des Amap, qui suppose de limiter les coûts de structure pour payer les paysans au prix juste. Mais si dans ces dernières, l’objectif consiste à favoriser l’agriculture paysanne, il s’agit ici de partager le plus largement la culture et d’encourager les échanges. Ce soir, Michel Théron, ancien instit et auteur local est venu donner lecture de son dernier ouvrage Tant va la vie à l’eau, recueil de souvenirs d’enfance, offert en bonus du panier. « J’ai déjà vendu assez de livres, l’important c’est de faire vivre la culture », déclare-t-il. Au milieu des toiles de l’illustratrice toulousaine Anaïs Barrachina, l’animation musicale est assurée par le Commando Nougaro, ce soir-là en formation acoustique, et qui se réjouit « d’avoir une salle et un public ». Un ensemble de détails qui font le charme de ce petit système utile et fragile, que ses responsables ne voient pas nécessairement croître, pour éviter « qu’il devienne un groupement d’achat, et garder cette proximité », résume Scan, bénévole. Charge à d’autres de reprendre et diffuser l’idée et d’aller créer leur propre panier culturel et de rejoindre la dizaine de projets de ce type en France.