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BOUDU

Daniel Rougé, l’atout social de Moudenc

Quand Jean-Luc Moudenc présente Daniel Rougé à la presse le lundi 7 octobre 2013, le mundillo médiatico-politique toulousain ne s’en émeut pas. Ce n’est pourtant pas innocent si celui qui vient d’achever son second mandat de doyen de la faculté de médecine de Rangueil est le premier nom issu de la société civile dévoilé par celui qui veut retrouver son fauteuil au Capitole. « Un universitaire exceptionnel et un atout maitre pour Toulouse », voilà comment est qualifié l’homme aux tempes grisonnantes et au regard perçant qui affiche, en effet, un impressionnant CV. De l’aveu même de l’entourage de Pierre Cohen, le maire sortant, il s’agit d’ « une belle prise ». Mais le grand public n’a d’yeux, à ce moment-là, que pour la rivalité entre Christine de Veyrac et l’ancien maire de Toulouse. Et puis ce biterrois de naissance s’est jusqu’alors tenu éloigné des radars de la politique.

Un élève moyen Fils unique, il grandit dans la sous-préfecture de l’Hérault dans une famille où le père change fréquemment de métier et où l’on n’a pas pour habitude de faire de longues études. Aussi lorsque le jeune Daniel annonce son intention de s’inscrire en médecine, « parce que je trouvais intéressant ce que racontaient les médecins qui venaient jouer au club de tennis de mon père », le scepticisme est de mise : « J’étais un enfant studieux mais moyen. Je n’étais pas assez fort en maths pour faire Bac C. Donc je sentais ma famille dubitative sur mes chances de réussir. » Il lui donne tort en franchissant la 1e année à la première tentative : « La matière m’a tout de suite plu, justifie-t-il. Contrairement au secondaire où je n’étais pas très bon parce que les choses m’étaient imposées, dès qu’il a fallu que je m’organise, j’ai su tout de suite m’imposer des charges de travail importantes. » Après un début de cursus à Montpellier, il migre à Toulouse pour préparer l’internat, la spécialité qui l’intéressait, la chirurgie réparatrice, n’étant pas proposée à la faculté héraultaise. Une envie guidée par l’attirance que le jeune médecin éprouve (déjà) pour la nouveauté, ce qui est alors le cas de cette discipline à la fin des années 1970. Après l’internat, Rougé suit un clinicat en chirurgie plastique à Rangueil dans le service du professeur Costagliola où il se découvre une véritable passion pour les soins aux grands brûlés, « des drames de vie », qui le conduisent à publier abondamment sur le sujet et à être moteur dans l’ouverture d’un centre dédié à Lamalou-les-Bains dans l’Hérault. L’homme enchaine les diplômes, principalement les CES (certificat d’étude secondaire, ndlr), une façon de « concrétiser une connaissance. Je prenais du plaisir à le faire. » Et à transmettre aussi comme le souligne Jean-Louis Grolleau, un de ses anciens élèves : « C’est lui qui m’a appris le métier. Il était exigeant mais si vous étiez au rendez-vous, il donnait beaucoup. » Pour celui qui est désormais directeur de clinique en chirurgie réparatrice, il ne faisait guère de doute que Rougé ne se contenterait pas d’un chef de clinicat : « Cela ne lui aurait pas suffi d’être un brillant chirurgien. Il lui fallait une carrière universitaire. »

boudu-57 Daniel Rougé

@Rémit Benoit


Une âme de défricheur Un avis partagé par Elie Serrano, son successeur au poste de doyen de la faculté de Rangueil : « Lorsque nous nous croisions à l’occasion de gardes aux urgences, il donnait l’impression de savoir où il voulait aller. Son ambition hospitalo-universitaire était déjà forte : il visait l’excellence. » Ce que le principal intéressé va effectivement réussir… dans une discipline, la médecine légale, émergente dans les années 1980. Une aubaine pour Daniel Rougé qui devient maitre de conférences en 1989 puis part aux Etats-Unis pour faire une thèse sur la détermination du sexe et de l’âge à partir des restes osseux dans les nécropoles du bas-empire et du haut Moyen âge. « Changer de spécialité, ce n’est pas courant, éclaire Elie Serrano. Mais il a un tempérament de défricheur. » à son retour en France, il abandonne définitivement la chirurgie pour développer la médecine légale dont il devient professeur en 1993. « J’abandonne le bistouri pour le stylo », résume-t-il. Pour Norbert Telmon, professeur agrégé de médecine légale, c’est Daniel Rougé qui a façonné l’institut de médecine légale : « En France, il a été un pionnier de son intégration dans l’hôpital. » C’est d’ailleurs durant la décennie 1990 que se crée l’unité d’hospitalisation inter-régional à Rangueil, dont il prend la responsabilité, « une avancée sociale car on améliorait la qualité des soins des détenus », et l’Unité mixte d’anthropologie à Jules-Guesde, « un des fers de lance de la recherche en médecine légale ». Mais la nature ayant horreur du vide, l’homme a le sentiment, à l’aube de l’an 2000, d’avoir (un peu) fait le tour de la question. Aussi lorsque l’opportunité d’intégrer le Conseil d’administration de la faculté de Rangueil, puis de devenir vice-doyen se présente, il ne s’en prive pas. Et c’est (presque) naturellement qu’il postule à la succession du doyen Guy Lazorthes en 2004… et qu’il est élu à l’unanimité. « En tant que vice-doyen, il était apprécié de tous. Il était très charismatique, raconte Elie Serrano. C’était donc une évidence pour tout le monde qu’il prendrait la suite du professeur Lazorthes. » Et ce d’autant qu’il ne néglige rien pour parvenir à ses fins, notamment pas de mener campagne, en allant rencontrer les profs, les maitres de conférences, pour leur présenter son programme. Une fois aux commandes, le (jeune) doyen de la faculté de médecine de Rangueil veut faire bouger les lignes.

boudu-57 Daniel Rougé

@Rémit Benoit


Visionnaire À son crédit, notamment, la mise en place d’une licence-master-doctorat en paramédical et l’universitarisation de la médecine générale, deux réformes « sociales » visant à revaloriser le rôle des infirmières et des médecins généralistes. À son débit la responsabilité sociale des facultés de médecine qu’il ne parvient pas à imposer à ses collègues doyens. « La mesure aurait pourtant évité une désertification médicale » regrette-t-il. Pour Elie Serrano, son successeur à Rangueil, il n’est tout simplement jamais bon d’avoir raison avant tout le monde : « Il a fait beaucoup avancer l’Université, notamment avec la création de l’école paramédicale. C’est un homme fédérateur, qui a un sens politique aigu, mais son côté visionnaire l’a parfois desservi. » Sa fonction de doyen le conduit à approcher de près les politiques, en la personne de Martin Malvy, avec lequel il met en place les enseignements distanciels à l’école d’orthophonie de Cahors. « J’ai le sentiment qu’on se comprenait, avance prudemment Daniel Rougé. Son sens de la mesure m’impressionnait beaucoup, alors que moi, parfois, je parle trop. » Il découvre surtout un monde qu’il juge plus ouvert sur le monde que le monde hospitalo-universitaire « magnifique mais aveuglant ». « Quand on est dedans, on voit tout par ce prisme-là. L’alpha et l’omega, c’est le CHU et l’université. C’est d’ailleurs ce que je dis à certains de mes collègues : “Regardez par la fenêtre, il se passe beaucoup de choses en dehors de l’hôpital.” » La politique, Daniel Rougé s’en est pourtant toujours tenu à distance respectable. D’abord par choix, ses études de médecine accaparant tout son temps ; ensuite par obligation, la fonction de doyen imposant un devoir de réserve. Celui qui dit ne s’être jamais senti proche d’un parti parce qu’il voyait « dans l’engagement partisan, quelque chose qui pouvait réduire ma liberté », accepte néanmoins, au crépuscule de son second mandat, de déjeuner avec Jean-Luc Moudenc sur les conseils de son ami Stéphane Oustric. L’actuel président du Conseil de l’ordre des médecins de Haute-Garonne ne fait pas mystère de l’intention de sa démarche : « Daniel, c’est un bâtisseur qui veut créer et qui a horreur de l’injustice sociale. Vu que c’est quelqu’un qui attache plus d’importance à une personne qu’à un parti, j’ai pensé que la rencontre pourrait être fructueuse ». Et elle le fut, tant du côté de l’ancien maire de Toulouse, séduit par « la dimension du bonhomme, expérimenté, habile, porté par des convictions humanistes très fortes », que de Daniel Rougé qui ne cherche pas à cacher son admiration pour l’animal politique qu’est Moudenc : « Le personnage m’intéresse d’emblée. Sa résilience après la défaite de 2008 m’impressionne. La façon qu’il a de présenter ses arguments en fait, pour moi, un intellectuel capable d’avoir une vision à long terme. Ensuite c’est un modéré. Et la modération me convient. J’ai eu tout de suite confiance en lui. » Séduit par la volonté de Moudenc d’ouvrir largement sa liste à la société civile, celui qui se définit comme « non latéralisé politiquement » accepte d’y figurer sans condition. Une assertion à laquelle Jean-Louis Grolleau, son ancien élève, a un peu de mal à croire : « S’il y est allé, c’est qu’il savait qu’il allait pouvoir faire avancer les choses, apporter des idées. C’est tout sauf une potiche. » Avec le recul, Daniel Rougé avoue qu’il a sans doute eu également peur du vide. « Je disais à tout le monde que je ne m’ennuierais pas en quittant mon poste de doyen alors que j’étais assez terrorisé à l’idée de ne pas avoir une activité aussi soutenue. »

La peur du vide Ce choix de se lancer dans l’arène politique ne surprend toutefois pas outre mesure ses confrères du monde médical : « Quand on gère la fac, on fait déjà de la politique, assure Elie Serrano, son successeur à Rangueil. Il sait prendre des décisions, les expliquer, prendre des coups, mais aussi en donner dans la mesure où c’est dans l’intérêt général. » Sauf qu’avant d’entrer dans le vif du sujet, il reste une campagne électorale à gagner face à Pierre Cohen, le maire socialiste sortant. Un exercice totalement inédit pour Daniel Rougé, qui le découvre avec gourmandise : « Le groupe, la camaraderie, le contact direct avec les citoyens, ça me plait beaucoup. Je fais du tractage en sortie de métro, sur la voie publique, il y a des gens qui me reconnaissent qui se demandent ce que je fais là. » L’ancien grand ponte de la médecine sort de sa zone de confort et trouve ça « rafraichissant ». En outre, il se prouve qu’il a eu raison de se faire confiance et pas « à l’image que j’étais devenu, une sommité, une sorte d’institution. Car il n’y avait pas de sommité chez moi. Je ne tenais pas particulièrement à cette image. » Un cheminement qui le conduit d’ailleurs à accepter facilement de passer du rôle de décideur à celui de suiveur. « Mon ego n’en a pas du tout souffert parce que Jean-Luc Moudenc m’est tout de suite apparu comme étant le patron. » Durant la campagne, il met en application les recettes qu’il connaît le mieux : « Un médecin a pour habitude d’observer, pour tirer des principes et des actions qu’il va mettre en œuvre. Pendant la campagne, je me suis dit qu’il fallait que je sois un soldat de cette petite armée, que j’observe et que j’emmagasine le plus vite possible. » Et de tout évidence, le jeune apprenti apprend vite car sitôt élu, il se voit proposer le poste de 3e adjoint, en charge du champ de la solidarité. Un choix motivé pour le nouveau locataire du Capitole par sa volonté de « donner une connotation sociale forte à notre équipe et à notre action. » Arrivé aux affaires, le bizut ne déroge pas à sa ligne de conduite : d’abord on observe le fonctionnement de l’administration avant d’exposer à ses troupes ses principes et le cap. « Je tiens au cadre et à la ligne. Et je crois beaucoup à la loyauté réciproque. Si on veut être respecté, il ne faut pas être pris en défaut. C’est ma façon de faire. » Une méthode peu conventionnelle qui semble plaire aux principaux intéressés comme Corinne Haimart. La directrice de la direction des solidarités et la cohésion sociale à la mairie de Toulouse se souvient en particulier de la première visite de Daniel Rougé dans le service « plein d’humilité et de respect pour l’administration. Il a tout de suite fait preuve d’une attitude constructive en cherchant à comprendre ce qui avait été fait précédemment. » Une impression partagée par Serge Dolcemascolo, responsable de la mission égalité/diversité à l’Espace des Diversités qui se rappelle également avec précision de sa première rencontre avec Daniel Rougé : « Lors de notre premier rendez-vous, il est arrivé avec 20 minutes d’avance. On sentait qu’il était vraiment curieux de découvrir l’endroit. Et quand on a commencé à parler, il a écouté très attentivement tout en noircissant son carnet de notes. On n’a pas l’habitude de voir les élus agir ainsi. » Sur le terrain, le ressenti est le même d’autant, comme le reconnaît sans peine Thomas Couderette, l’un des cofondateurs du collectif d’entraide et d’innovation sociale CEDIS, que l’élection de Jean-Luc Moudenc au Capitole n’avait pas fait naître un grand vent d’optimisme dans le milieu associatif : « Quand il a entendu dire que nous squattions un bâtiment de la ville quai Saint-Pierre (Science Po, ndlr) et que nous avions de bons rapports de voisinage, il s’est rapproché de nous pour comprendre. Ça nous a permis de démarrer immédiatement du bon pied. »

boudu-57 Daniel Rougé

Maraude avec le Secours catholique, hiver 2021 @Orane Benoit


L’inclusion, le maitre mot Passé le temps de l’observation, l’homme ne se contente pas d’accompagner les projets existants. Obsédé par l’idée de trouver des solutions, il innove, comme avec le groupe Errance qu’il met en place pour établir un dialogue constant avec les associations. « L’idée était qu’on n’en reste pas aux griefs mais que l’on trouve des solutions d’où qu’elles viennent », justifie-t-il. Un bon résumé, selon Thomas Couderette, du CEDIS, de la « méthode Rougé » : « Peu importe la personne mais il faut lui proposer des choses. Il a plus de mal avec ceux qui sont tout le temps en train de se plaindre… Il est vraiment dans une logique de co-construction. C’est un pragmatique humaniste qui n’a pas envie d’instrumentaliser le sujet et qui essaie de trouver des solutions pour qu’il y ait moins de gens à la rue. » Pour y parvenir, rien ne semble faire peur à l’ancien médecin qui n’hésite pas, dès son arrivée, à s’attaquer à l’épineux sujet de la résorption des camps. Avec une conviction chevillée au corps : le moment est venu de changer de paradigme : « Avant, quand on évacuait un camp, c’était pour en reconstruire un ailleurs. Mais au fond, on ne faisait que déplacer le problème. Avec l’hébergement diffus, on fait de l’inclusion sociale par le travail. » L’inclusion, le maitre mot, le cheval de bataille de Daniel Rougé, « parce que c’est la seule compétence que peut prendre la Ville. Il ne faut pas observer les gens dans un bocal en faisant semblant de les aider. Il faut les amener vers l’inclusion. C’est notre devoir de les aider à prendre leur destin en main. Parce qu’ils ont toujours envie de faire. » De la théorie à la pratique, Daniel Rougé reconnaît cependant avoir eu quelques sueurs froides lors de la mise en place de ce dispositif : « Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder en permanence mon téléphone parce que je craignais qu’il y ait des problèmes partout. » Le dispositif est un succès. Le modèle toulousain est désormais observé partout en France. Mais les idées réclament des moyens qu’on ne lui accorde pas toujours. Quand la porte semble fermée, il n’hésite pas à se montrer iconoclaste comme sur le projet des Estivales où il accepte de mettre à disposition du Secours Catholique, de la Main tendue et des Restos du cœur, des locaux pour que ces associations viennent faire à manger pendant les périodes où les agents municipaux n’y sont pas. D’abord à l’Ostalada, à Arnaud-Bernard avant de migrer sur l’île du Ramier devant la levée de boucliers des riverains. « À Arnaud-Bernard, il a été d’un appui important pour que les choses s’apaisent, précise Marc Beauvais, président du Secours catholique délégation Ariège-Garonne. Et c’est vraiment grâce à lui que l’on a pu avoir le restaurant social de l’Île du Ramier. » Une sorte de bidouillage risqué sur le papier mais réussi sur le terrain qui tient sans doute autant à une certaine candeur qu’à sa relative méconnaissance des habitudes de l’administration : « J’ai eu peur d’avoir les syndicats sur le dos. En fait, le mélange entre les municipaux et les assos s’est super bien passé. Quand il n’y a pas d’argent, on en trouve. C’est plus embêtant quand il n’y a pas d’idées. »

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Maraude avec le Secours catholique, hiver 2021 @Orane Benoit


Daniel Rougé pousse les murs, cherche des solutions, explore des pistes comme celle qui le conduit à mettre en place un Doc Mobile pour mener des évaluations de diagnostic social directement dans les bidonvilles ou les squats. Pour Najah Al Bazzou, qui anime la plateforme santé précarité depuis 2015, la force de l’élu réside dans sa hauteur de vue et son regard pluridisciplinaire : « Le fait qu’il soit ouvert à tous les acteurs permet des dynamiques croisées. C’est comme ça que les choses avancent. Sur le Doc Mobile, c’est lui qui a permis le rapprochement entre le CCAS, l’hôpital Joseph Ducuing et la CPAM. » Un avis partagé par Thomas Couderette du CEDIS : « C’est dans se faire ensemble institutionnel que Rougé est très bon, le fait qu’il soit très apprécié partout, aussi bien au CD 31, qu’à l’ARS ou que dans les associations. C’est précieux qu’il ne soit pas dans une logique politicienne. » Le président du Secours catholique délégation Ariège-Garonne approuve : « Sa caractéristique est qu’il n’est pas un homme politique. » Et de louer, lui aussi, la sincérité de sa démarche : « Dans sa façon d’être, d’écouter, de dialoguer, comme j’ai pu le voir récemment à la Maison des familles, il y a beaucoup d’humanité. Les conditions des personnes en grande difficulté l’interpellent vraiment. Je trouve qu’il a contribué à donner de la politique une image très positive. » Un concert de louanges qui n’étonne pas ses anciens collègues médecins comme Norbert Telmon : « On peut dire qu’il aime les gens, il est toujours prêt à les aider, à trouver des solutions. Son truc, c’est vraiment le bien des autres. » Attention, néanmoins, à ne pas prendre Daniel Rougé pour ce qu’il n’est pas observe Marie-Christine Sarre. Pour l’ancienne directrice générale adjointe chargée des solidarités aujourd’hui à la retraite, l’homme, tout en étant « moins politique » que Claude Touchefeu, sa prédécesseure sous Pierre Cohen, sait montrer les dents quand il le faut : « C’est quelqu’un d’agréable, charmant, bien élevé, mais quand il est en colère, il l’est vraiment ! » Et de citer en exemple quelques joutes verbales assez fortes avec Sacha Briand, le grand argentier du Capitole : « Quand il considérait qu’on ne lui donnait pas les moyens nécessaires, il pouvait se mettre très en colère. Notamment à propos du CCAS (Centre communal d’action social, ndlr) auquel il tenait beaucoup et qu’il voulait absolument moderniser. »

Un élu qui bouscule Corinne Haimart, qui a pris sa suite, formule les choses différemment : « Il peut s’énerver sur des attaques injustes. Mais c’est un élu très moteur, qui vous booste, vous bouscule. Sa grande force réside dans sa capacité d’objectiver les choses. C’est l’âme du chirurgien. Il remet toujours tout dans un système, une méthode. » Pour Serge Dolcemascolo, Rougé conjugue le yin et le yang : « Il a beau être très cérébral, il n’en vise pas moins des applications pratiques. Il s’est évertué à ce que les travaux aboutissent à des réalisations concrètes, ou à des délibérations du Conseil municipal. En somme, c’est un intello-pragmatique. » Au sein du Conseil de la laïcité, l’un des grands chantiers auquel s’est attelé Daniel Rougé pendant le premier mandat, la partie était pourtant loin d’être gagnée d’avance : « Il a réussi à faire travailler ensemble des gens différents, représentants politiques, religieux, spécialistes de la laïcité, droit-de-l’hommiste, francs-maçons. Il y est parvenu parce qu’il a le sens du dialogue. Pédagogie est le mot qui revient le plus dans son vocabulaire. Même s’il peut être cassant si la contradiction n’est pas de son niveau. » Conseiller municipal d’opposition entre 2014 et 2020, Régis Godec faisait partie du Conseil de la laïcité. Il se souvient de cette double facette du personnage : « Il a réussi à animer les débats avec une vraie curiosité parce que c’est un homme qui connait bien la relation humaine, qui est très sympathique. Suite à la polémique des écharpes, j’ai proposé que l’on travaille sur le devoir de neutralité des élus. Le travail s’est bien passé, on a découvert des choses nouvelles, mais plus on s’approchait de la conclusion, plus il ajoutait des éléments. » Pour l’ancien adjoint de Pierre Cohen en charge des écoquartiers, l’intention de Daniel Rougé était de retarder les débats pour ne pas conclure avant les municipales. « Il craignait que certains alliés de la majorité ne soient pas d’accord avec les conclusions. C’était assez rusé. J’ai vu des réunions au cours desquelles il pouvait devenir très dur, devant tout le monde. Quand le besoin s’en fait ressentir, il sait sortir de sa posture bienveillante. » Car pour l’ancien élu vert, Rougé est avant tout aux ordres de Jean-Luc Moudenc. « Il a apporté une tonalité plus humaine, notamment dans la prise en compte des fragiles. Mais il n’a pas véritablement modéré les politiques mises en œuvre sur les SDF. Il sert un peu à élaborer la modulation du discours, par exemple face aux discours très durs d’Arribagé sur les squats. Mais je ne l’ai jamais entendu tousser. Quand il faut s’aligner, il s’aligne. D’ailleurs s’il est aujourd’hui premier adjoint, c’est bien que le Maire doit le considérer comme très loyal. Et qu’il doit avoir une grande confiance en lui. »

Le de Veyrinas de Moudenc  Elue aux affaires sociales à la Ville de Toulouse de 2008 à 2014, Claude Touchefeu juge également le personnage plus ambigu que sa communication : « Il veut toujours montrer qu’il est au-dessus de la mêlée, que la politique n’est pas son moteur, qu’il est uniquement au service de la collectivité mais au bout du compte, il fait des choix. Il n’aime pas être coincé là-dedans. Il a du mal à admettre que ce sont des choix partisans. » Et d’illustrer son propos par le CCAS victime collatérale, selon elle, de la contractualisation (pacte financier conclu entre l’État et les collectivités imposant à ces dernières une maitrise des dépenses de fonctionnement, ndlr). Pour l’ancienne adjointe de Pierre Cohen, comme pour l’ancien maire lui-même, Daniel Rougé n’est plus ni moins que la caution sociale de Moudenc. Au point même de voir certaines similitudes avec un ancien premier magistrat de la Ville : « Baudis avait de Veyrinas, Moudenc a Rougé, un mec intelligent à qui il a demandé de s’occuper des pauvres. Il a fait ce qu’il fallait pour que ça n’explose pas, il a su colmater les brèches, parler aux associations. Mais bien qu’il ait essayé de dépolitiser le débat en étant très techno, on le sent très à l’aise dans cette équipe. » La fidélité à Jean-Luc Moudenc, que ses adversaires politiques lui reprochent, le maire de Toulouse l’apprécie quant à lui à sa juste valeur : « Il a répondu à mes attentes. Il nous a permis de faire des progrès, d’être au rendez-vous des nouvelles politiques sociales. » Pour Antoine Grézaud, ancien conseiller en charge des affaires sociales et solidarité au Capitole, l’apport de Daniel Rougé est même allé au-delà des espérances du maire de Toulouse : « Jean-Luc Moudenc pensait faire un bon coup en récupérant Rougé mais il n’imaginait pas qu’il serait aussi précieux. Car il est irréprochable et n’a jamais failli dans aucune mission qu’il lui a confié. Le maire a compris qu’il était tellement dans l’empathie qu’il arriverait à neutraliser ses opposants en matière de social et de solidarité. » La meilleure preuve de l’efficacité de Rougé ? « Lors de la campagne de 2020, ce n’était pas sur des politiques de solidarité qu’il a été attaqué ». Un avis partagé par Arnaud Mounier, directeur de cabinet de Jean-Luc Moudenc, impressionné par sa capacité de travail : « Il m’a surpris. C’est l’un des meilleurs élus. Il a énormément bossé. Je ne l’ai jamais entendu dire qu’il ne pouvait pas prendre un sujet en charge. » Au point qu’il n’y pas eu débat, selon Mounier, lors du choix du 1e adjoint : « Il est très respecté par tous les élus, il ne s’est mis personne à dos. C’est un excellent chef d’équipe, à l’écoute, qui accompagne les gens sans faire le petit chef. Ce n’est pas un élu grande gueule. Il a acquis une vision sur toutes les facettes du rôle d’élu. C’est une bête politique pas au sens politicien. » Des qualités également identifiées par Jean-Luc Moudenc : « C’est un homme qui n’a jamais un mot plus haut que l’autre. Il ne cherche pas à briller, à s’imposer ou à monopoliser la parole. Quand il fait l’objet d’attaques, il répond plus subtilement et techniquement que politiquement. Tout ceci le rend différent des autres élus. » Cette différence, le principal intéressé reconnaît l’avoir ressenti à son arrivée dans l’arène. De prime abord un peu effrayé par la virulence des échanges, il a fini par comprendre que la dispute politique « est une forme de dialogue ». « Quand je les ai vu se parler en dehors du Conseil municipal, déjeuner ensemble, je me suis rendu compte que les gens ne s’en veulent pas réellement mais que c’est leur manière d’exprimer leurs idées, de façon plus vive que les universitaires, plus à fleurets mouchetés. Et ça me convient très bien car si je suis très respectueux des personnes, je suis prêt à combattre pour les idées. »

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@Rémit Benoit


Adepte du grand écart Mais au fond, qui est vraiment Daniel Rougé ? L’humaniste décrit par certains ou le bon soldat aux ordres de la realpolitik stigmatisé par d’autres ? Le médecin épris de justice sociale ou le pragmatique capable de couper court si les vents lui sont contraires ? L’homme se connaît suffisamment pour ne pas avoir besoin d’aide pour y répondre : « Je suis un adepte du grand écart : je suis très social mais j’aime l’économie, l’entreprise, l’initiative privée. Je sais que l’on aime bien mettre les choses et les gens dans des cases. Cela ne me dérange pas d’y rentrer. Mais après j’en sors ! » Que certains considèrent qu’il serait plus à sa place dans une majorité de gauche, Daniel Rougé n’en a cure. « Je me sens bien dans l’équipe municipale et le projet me convient. J’y trouve toute ma place parce que ce n’est pas un parti mais un groupe. » Les compromis inhérents à la vie politique ? Il les balaie d’un revers de main : « On peut toujours aller plus loin et plus vite mais je trouve que l’on a réussi à faire des choses, à innover, comme par exemple en mettant en place la nuit de la solidarité. Je ne me sens pas frustré. Les contraintes financières font partie de la donne. » Une chose est sûre : pour rien au monde il ne regrette son choix : « J’aime ce nouveau rôle parce que je me sens utile, je peux faire avancer les choses. Je me demande même pourquoi je n’en ai pas fait plus tôt. Mais je crois que dans le fond je n’ai pas décidé : j’ai fait de la chirurgie plastique parce que je trouvais que personne ne s’en occupait. Idem pour la médecine légale jusqu’à la politique où j’ai rencontré Moudenc qui m’a dit qu’il me verrait bien dans la solidarité. » Pas question néanmoins, pour l’homme, de considérer que sa mission est achevée. « On n’en a pas fini avec le sans-abrisme. Mais j’ai une idée de la méthode à mettre en œuvre pour l’éradiquer. Si on veut atteindre les objectifs, il faut converger par une gouvernance commune entre les projets portés par les différents acteurs, que ce soit la Région, le Conseil départemental, l’État ou la Métropole. » Gagner en efficacité au niveau des institutions et responsabiliser le monde économique en reprenant l’idée d’Alain Mérieux de l’entreprise des possibles : « Je voudrais que l’économie se mobilise dans l’intérêt des plus fragiles. Ce n’est pas illusoire de penser que c’est possible. J’ai vu, pendant la crise du Covid, des fondations venir demander comment elles pouvaient aider. Parce qu’elles sentent que la solidarité, elles en ont aussi besoin. Comme disait Charles Nicolle : “ Les gens sont fraternels parce qu’ils sont tous contaminés mais ils sont solidaires parce qu’ils se contaminent les uns les autres”. Il faut bien penser que si l’on ne veut pas être malade, il vaut mieux que son voisin ne le soit pas non plus. Donc il faut l’aider. Au fond, la phrase de Nicolle est assez pessimiste parce que c’est la solidarité de la peur. Mais on voit bien que ce monde ne peut plus être autant clivé. Même les tenants de l’économie commencent à s’en apercevoir. C’est le moment de faire émerger un autre modèle. » Pas sûr qu’un mandat supplémentaire soit suffisant pour y parvenir…

 

L’imbroglio de La Grave

Difficile de faire le portrait de Daniel Rougé sans évoquer la question épineuse du bâtiment de l’hôpital La Grave, occupé depuis 2017 par une vingtaine d’associations, dont les dernières vont être délogées très prochainement suite à la décision d’expulsion prise par le Tribunal administratif. Et ce d’autant que l’élu avait réussi, au début de son mandat, le tour de force de faire participer le DAL 31 au groupe Errance. François Piquemal, ancien porte-parole de l’association devenu conseiller municipal d’opposition en 2000, reconnaît par exemple qu’à son arrivée, « c’est quelqu’un avec qui on pouvait discuter. Quand il disait quelque chose, il s’y tenait ». Mais ça, c’était avant pour Anaïs Garcia, qui lui a succédé au DAL : « On avait une bonne relation avec lui, il était assez à l’écoute des associations. Les réunions étaient positives, il semblait impliqué dans le projet de relogement. Une convention a été rédigée. Sauf que depuis le printemps dernier, il a cessé de nous donner des nouvelles. Et à la rentrée, on a appris que l’on allait être expulsé. On est tombé des nues ». Du côté de Daniel Rougé, le son de cloche est bien évidemment différent : « C’est vrai que l’on a bien travaillé avec le DAL mais leurs dernières exigences étaient inacceptables. D’autant que l’urgence sociale, c’est-à-dire l’hébergement, est moins prégnant dans ce lieu désormais. Et puis ils ont toujours su que l’occupation était temporaire. Signer une convention, c’est pouvoir la respecter dans la durée. Et là, ce n’était pas possible ». Quant aux autres associations présentes sur les lieux, le centre solidaire Saint-Pierre et l’association La Cloche, elles sont toujours, à l’heure où nous mettons sous presse, dans l’attente d’une proposition de relogement.

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