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Dans la fosse aux Loups du XIII

Dernière mise à jour : 10 janv.

Urbain, voire mondain, le XV capte la lumière et l’argent des sponsors. Des centaines d’heures de retransmission sont d’ailleurs prévues pour la Coupe du monde qui s’ouvre en France. Le XIII serait rural voire bourrin, selon les clichés en vigueur. Pourtant, chaque week-end, ça joue vraiment bien, et le public aime ça.



C’est un stade au milieu des vignes, sans gradins ni tribunes, ni loges à sponsors. Un terrain d’herbe tracé de lignes blanches, et de poteaux dressés vers le ciel, balayé par des vents. Du village, posé au sommet d’une colline, les gens viennent à pied ou en auto. Un kilomètre à peine de pente avant de se poser en oiseaux libres sur la main courante qui entoure le terrain. Aujourd’hui, la recette (entrée+buvette) est correcte, 200 spectateurs environ, avec pour public les dirigeants du club, des parents de joueurs, des enfants, les copines des joueurs et des personnes âgées venues passer le temps. L’équipe locale s’appelle Pomas, dans l’Aude, et son totem, les Aigles. Elle reçoit les Loups de Pamiers-Vernajoul en Ariège. Le totem, c’est la racine rurale du XIII quand le XV brandit les couleurs d’une ville ou d’un sponsor. Entre les deux clubs, 100 kilomètres de distance et une même ambition : rester ou devenir leader de la poule Ouest du championnat de Nationale, l’équivalent d’une troisième division. 


Photo: Gilbert Rouch

Dans les vestiaires, une odeur de camphre taquine les narines tandis que Valentine Garrigue, l’ostéopathe appaméenne, installe des straps sur des cuisses meurtries. La saison qui tire à sa fin ayant été rude, plusieurs joueurs sont blessés. Le cuir circule de mains en mains. Le toucher maintenant, c’est symboliquement se l’approprier pour le dominer sur le terrain. Seul parle l’entraineur, Patrice Talieu : « Respect des règles, discipline, en face, ce sont des bons. Ils sont pas là pour faire de la figuration». L’autre entraîneur recruté cette saison est une référence du XIII, Patrick Limongi, ancien international, entraîneur des tricolores moins de 17 ans. Avec Patrice Talieu, ils forment un duo très pro. Le club amateur, promu de Fédérale 1, a ainsi attiré une vingtaine de joueurs dont certains ont évolué en élite à Carcassonne, Limoux, Lézignan. Aucun n’a la notoriété d’un Romain Ntamack ou d’un Antoine Dupont. Ce qui ne les empêche pas, ballon en main, d’avoir du talent. Sinon qu’à ce niveau du XIII, ce n’est pas pour l’argent ou la gloire que l’on joue, mais pour le plaisir. Chaque joueur travaille en entreprise et se libère pour deux entraînements par semaine. Les déplacements, c’est avec leurs autos personnelles. « Ils sont juste défrayés » explique Christian Claudé, le trésorier de Pamiers-Vernajoul, club qui est sur une belle dynamique puisqu’il a, cette saison, multiplié par trois son budget. Soit « un peu plus de 130 000 euros » grâce à des dons de locaux, commerçants, assureurs, agents immobilier, artisans du bâtiment, concessionnaires autos ou restaurateurs, comme Benjamin Bauer qui avoue qu’il avait, jusqu’alors, une préférence pour le XV. Mais « depuis le début de la saison, je viens à tous les matchs et je me régale ». Comme lui, Benoît Coste, qui travaille dans les travaux publics, n’attend de son investissement que « des relations et de l’amitié ». Les joueurs foulent enfin le terrain, le public applaudit. Parmi eux, venu du XV et passé au XIII, il y a le pilier Paul Founié. Autrefois dit-il, « je poussais en mêlée et je déblayais les rushs pour récupérer des ballons, aujourd’hui, je cours et je marque des essais ».


Photo: Gilbert Rouch

Vif, rapide, sans temps mort. Le XIII, c’est « défi, contact, placage » résume Adama Damso qui pratique ce sport depuis l’enfance. Autrement dit, cardio et physique. Contrairement au XV, il n’y a ici ni touche, ni mêlée, ni gagne-terrain par les coups de pied tactiques des arrières. Rien qui repose les joueurs de champ. D’ailleurs, voici qu’en cinq tenus, les Aigles de Pomas remontent de leur ligne d’essai à celle des Loups de Pamiers. Des tenus et une chandelle pour déstabiliser les adversaires. La défense en ligne est rigoureuse, et sur un ballon perdu, la vague reflue dans l’autre sens. Le cuir court maintenant à l’aile mais le débordement échoue en touche. Sans temps morts, la partie reprend. Soudain, le public proteste. « Faute!» hurle Thierry Lagarde à l’adresse de l’arbitre. Depuis la plateforme d’un Suv, celui qu’on appelle « Cholet » filme la rencontre. « Je suis un peu le Scorcese du club» s’amuse t-il. Un zoom pour les gros plans, l’autre pour les plans larges. De quoi visionner plus tard l’action et son contexte. La fédération peut ainsi juger du comportement du joueur et décider des sanctions en cas de jeu dangereux. Mais la vidéo sert aussi aux entraineurs et à l’arbitre. Les premiers étudient les forces et faiblesses de l’adversaire. Le second, Fabien Nicaud « repère les fautes récurrentes, le tempérament des joueurs, la physionomie des matchs ». Il arbitre depuis 25 ans tous les niveaux du XIII. Les critiques du public, il ne les entend pas. Il essaie d’être toujours bien placé pour voir la faute « toujours en retrait entre le joueur A et B. Le reste est affaire de perception. Moi, j’essaie d’être honnête ». Deux minutes plus tard, coup de sifflet et pénalité. 


25 mètres à gauche. Deux pas sur la droite pour un peu d’élan. C’est le moment de l’instinct du buteur.  Dans l’air, Clément Rouch trace du regard une ligne fictive qui du sol doit conduire le ballon entre les poteaux. L’oeil droit collé au viseur, Gilbert le photographe du club est aux aguets. Clément s’élance, le cuir décolle, Gilbert déclenche, le ballon grimpe mais une rafale contrarie la trajectoire du ballon qui passe sur la gauche. Les loups laissent échapper deux précieux points. Danielle lâche un soupir de déception. Elle venait déjà au stade avec son père dans les années 60. Aujourd’hui, elle encourage ses petits enfants qui jouent. Elle s’époumone à chaque action dangereuse, retient son souffle quand l’adversaire tutoie la ligne d’essai, s’insurge contre un placage haut ou un en avant non sifflé. À ses côtés, Sandrine et Pascal, formatés par le XV, ont du mal avec les règles, contrairement à Thierry dont le bonheur se lit sur le visage : « Je suis aussi sponsor du club cette année. Je n’ai rien à gagner commercialement sinon le bonheur de participer à la notoriété de ma ville et du club ». Les Loups, promus, tiennent cette saison le premier rôle dans leur championnat, ce qui leur donne le droit de monter en élite 2. Une promotion que le club va néanmoins refuser. C’est trop tôt pour nous » explique Wilfried Subra, l’un des deux co-présidents. « Dans la division supérieure, il faut de l’argent, les déplacements étant plus longs ». En attendant sur leur terrain, les Audois sont partout, mais la défense appaméenne est implacable. Le public vibre, exulte. Déception, bonheur, colère, émerveillement, frisson de peur et de joie, toute la gamme des émotions y passe. Au coup de sifflet final, les Aigles de Pomas l’emportent sur les Loups de Pamiers, qui déjà préparent la saison prochaine avec dans l’idée le titre et la montée. 


Photo: Gilbert Rouch

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