Anciennement installée dans le tiers-lieu Le Multiple à la Patte-d’Oie, l’entreprise coopérative des Imaginations fertiles est désormais gestionnaire du Fil, dans les bâtisses rénovées du domaine de Clairfont à Bellefontaine. Agnès Gaigneux, sa cogérante, nous raconte le parcours de cet incontournable acteur des tiers-lieux toulousains qui vient de fêter ses 10 ans.
Comment est née l’idée de créer un tiers-lieu ? Tout a commencé au début des années 2010, avec le constat que les structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) n’avaient pas d’espace d’hébergement et donc de visibilité de leurs actions à Toulouse. Nous étions quatre filles, bosseuses, aux profils complémentaires, partageant les mêmes valeurs. Nous avons fait un tour de France et d’Europe et rapporté des photos de lieux complètement dingues comme la Ruche, à Paris, ou Darwin, à Bordeaux. En parallèle, on est tombées sur les geeks du FabLab d’Artilect, qui officiaient… dans une cave à Jolimont ! On s’est dit qu’il y avait un lien entre innovation technologique et innovation sociale, et qu’il fallait mutualiser nos actions. On a frappé à toutes les portes, à une époque où on ne parlait pas encore beaucoup de tiers-lieux. À Toulouse, il n’y avait alors que la Cantine.
Votre premier tiers-lieu était situé à la Patte-d’Oie… Sur les allées Maurice Sarraut, dans une friche, dans les anciens magasins Anconetti, avec une halle énorme. On avait 3000 m2 et zéro moyen. La Métropole nous a suivies en prenant le bail à son nom. On a installé un espace de coworking dans les magasins et l’atelier : quinze postes de travail, de bric et de broc, avec des tables et des chaises de récup’. On a créé une Scic (une société coopérative d’intérêt collectif) avec 30 sociétaires et quelques milliers d’euros. Artilect a posé ses machines. Le lieu s’est appelé Le Multiple.
Un parcours du combattant ? À l’époque c’était long ! Aujourd’hui, cela peut se faire en huit ou dix mois, comme pour les Halles de la Transition, car les gens ont compris que c’était utile. Nous, il nous a fallu trois ans avant de financer des « bouts » de postes ! Tous les trois mois, on se réunissait et on se disait : on continue ou on arrête ? Le tournant décisif a été fin 2013, quand on est devenu pôle territorial de coopération économique (PTCE) : on a reçu de l’argent de l’État sur 3 ans. On est allées à Bercy récupérer un gros chèque des mains de Benoît Hamon. C’était aussi une période géniale, on rencontrait plein de gens, il y avait une dynamique énorme. On a aussi changé de nom : on est passé de « La Serre » aux « Imaginations fertiles », les « If », en anglais : le champ des possibles…
Qu’est-ce qui a été central dans votre action ? À partir de 2014, le FabLab d’Artilect a explosé : ça devenait « hyper trendy ». En 2016, on a organisé le FabLab Festival dans la grande halle. Le Multiple est devenu un lieu « totem » : la Métropole nous a chargé d’animer la dynamique de l’ESS « Toulouse Impact ». Petit à petit, on a commencé à trouver notre modèle économique : un mix entre la location d’espaces de travail, l’animation, la formation, et l’accompagnement à la création de tiers-lieux. Depuis, on a aidé une dizaine de lieux à se monter. Les If ont donc plein de petits frères comme Recyclo’Bat (réemploi des matériaux du bâtiment), les Cyles-Re (qui donnent une seconde vie aux vélos, qui a démarré au Multiple et qui est aujourd’hui aux Herbes Folles). Des choses géniales sortaient des machines du FabLab, comme le robot Naïo… Contrairement aux incubateurs et pépinières traditionnels, chez nous, il n’y a pas de sélection : il suffit juste de pousser la porte, c’est « entrée libre » !
Depuis 2 ans, vous avez franchi la rocade… Quand on a trouvé ce lieu au pied du métro Bellefontaine, dans un quartier prioritaire, on s’est dit que c’était parfait pour ne pas se « boboïser » et pour poursuivre le travail avec les jeunes des quartiers. La Métropole a continué de nous soutenir, mais n’a pas souhaité acheter les murs. On s’est tournés vers Etic, une organisation qui a acheté le foncier et qui possède des tiers-lieux à Lyon, Lille, Paris… Il y a eu des tonnes de rebondissements. Mais on en voit le bout : un des deux bâtiments va être fini courant février, un restaurant devrait y ouvrir et le deuxième bâtiment, « Les Ateliers » va nous permettre d’accueillir très vite des événements, des ateliers partagés… Notre lieu s’appelle Le Fil (Façonneur d’innovations locales) : avec tous ces espaces et ce parc, on compte développer des événements en lien avec nos thématiques autour de l’emploi et de l’entrepreneuriat et, cerise sur le gâteau, y ajouter une dimension culturelle, en organisant des concerts, des spectacles, en accueillant des artistes…
Comment faire pour que le tiers-lieu ne devienne pas un simple espace de bureaux à louer ? Certains n’ont effectivement pas réussi à sortir de la location de bureaux partagés. Pour qu’un tiers-lieu vive, il faut financer ce qu’on appelle « l’ingénierie de la coopération » : faire de la veille de projets innovants et être des catalyseurs d’énergie. Certes Les Imaginations Fertiles sont des opérateurs de location de bureau. Cela fait partie de notre modèle économique, mais sans la volonté de la puissance publique nous ne pourrions continuer à être des défricheurs. Ce soutien nous a permis de salarier 11 personnes, dont 8 en CDI, et de faire aujourd’hui 500 000 euros de chiffre d’affaires. Pour autant, cela ne fait pas de nous un lieu institutionnel ou un lieu figé : nous gardons notre indépendance et surtout notre authenticité. On est des développeurs : on marche aux projets ! Ce tiers-lieu est un super outil donc, à nous de continuer à être créatifs et de maintenir notre potentiel d’innovation.