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Logi Boudu magazine

La belle est la bête – Élise Aranguren

Dernière mise à jour : 16 févr.

Qu’ont en commun Mayhem et Watain (groupes de black métal mondialement connus) et le compositeur Perturbator ? Leur tour manager : Élise Aranguren, une Ariégeoise de 25 ans passée en quelques années de Lorie au métal, et du piano classique à la supervision de rituels sataniques.



D’un côté la douceur, la joie, la lumière. De l’autre, la noirceur, les tourments, la « bête noire ». Rien, ni son visage angélique, ni ses grands yeux bleu-gris, ni son style, pas même le tatouage qui dépasse de sa manche, ne laissent deviner la passion viscérale d’Élise Aranguren pour le black métal. Sa mélomanie, elle la développe d’abord avec le piano et la musique classique à Saint-Félix-de-Rieutord, village ariègeois où elle passe son enfance. Au collège, après une courte période Lorie, ses goûts musicaux se diversifient. Au contact des quinquagénaires de son entourage, elle se met à écouter du rock. Les murs de sa chambre d’adolescente se couvrent de posters, ses sacs de de pin’s, et son placard accueille une collection de t-shirts à l’effigie de ses groupes préférés. « Mon premier concert, c’était en 2011. My Chemical Romance au Bikini » se souvient-t-elle. Mais le rock ne suffit plus : « J’ai toujours éprouvé une noirceur doublée d’une sensibilité extrême, sans trouver le moyen de l’extérioriser ». Elle se tourne alors vers des fréquences plus stridentes, des guitares plus saturées, des timbres de voix plus caverneux : « En musique, je n’arrive pas à exprimer ce que je ressens. J’aurais besoin de crier, de gueuler, de faire tout ce qu’ils font et que je ne m’autorise pas. Le métal a toujours été ma catharsis. Il parle pour moi. » Cet univers musical répond à un besoin au niveau émotionnel qui est pour elle de « l’ordre de l’urgence, de l’agressivité et de la noirceur extrême. Si cette musique n’existait pas qui sait comment tous les gens qui l’écoutent seraient… » Lors des concerts, quand tous les regards se posent sur les musiciens, la jeune Ariégeoise se focalise sur ces personnes de l’ombre qui font des allers-retours dans la salle, qui installent la scène et déroulent des kilomètres de câbles XLR. Un monde inconnu qui l’attire. Déterminée à passer de l’autre côté de la scène, elle fait ses premiers stages à 14 ans dans le milieu de la technique du spectacle vivant. Une révélation : « Un jour, je serai ingénieur du son », songe-t-elle alors. Mais pas pour n’importe qui. Son rêve ? Travailler pour Mayhem, un groupe norvégien né dans les années 1980 qui a participé à la création du black metal et qu’elle a découvert au Hellfest.



Elise Aranguren avec Perturbator, Mayhem et Watain

© D. R.


Au culot, en Kangoo Pour ateindre son objectif, elle intègre la filière littéraire au Lycée Saint-Sernin. Option musique très poussée. Elle passe ses weekends à courir ses premiers cachets d’intermittente. Pourtant, le petit monde de la technique n’est pas tendre avec elle : « En tant que femme, c’est très dur d’être prise au sérieux dans ce milieu-là » résume-t-elle. En 2014, elle passe un BTS audiovisuel spécialisé dans le son au Lycée des Arènes. Une fois diplômée, elle peine a se faire une place parmi les ingénieurs du son toulousains installés depuis longtemps. Qu’importe, si « Toulouse ne me veut pas, le monde voudra de moi ! » se persuade-t-elle. Au culot, elle envoie un message à l’ingénieur du son studio norvégien de Mayhem dans l’espoir de les approcher au cours de leur tournée française. « Je ne leur ai pas vraiment laissé le choix. Je leur ai dit “ Je viens ! ”», rectifie-t-elle. Surpris par l’aplomb de la jeune femme, ils acceptent. Première date : Rennes. Seule, la future sondière, alors âgée de 21 ans, saute dans son Kangoo et rejoint, après plusieurs heures de route, le groupe pour la préparation du concert. Discrètement, elle profite de la pause déjeuner pour piquer la fiche technique et tout installer elle-même. Impressionnés par son audace et sa maîtrise, techniciens et musiciens lui proposent d’assurer le mixage des retours sur scène pour Mayhem et sa première partie Watain, un groupe de black metal suédois : « Les membres de Watain appartiennent à un ordre religieux qui est un dérivé du satanisme. On est dans le vrai du vrai. Ils ne font pas de rituels sur scène pour faire plaisir, ils sont comme ça aussi dans la vie privée… » Une fois le concert terminé, elle suit le groupe à Nantes et lors de la dernière à Paris, au Trabendo, avec la question qui va changer sa vie : « Tu es disponible la semaine prochaine ? Alors monte avec nous dans le tour bus pour la tournée européenne. » Elle abandonne ses affaires sur le parking et monte dans le bus.  Sur les routes en Europe pendant deux semaines, elle découvre un autre monde : « Il n’y avait que des hommes de 40 à 50 ans, mais je me suis sentie à ma place. Même si ça fait bizarre de se retrouver avec des gens que j’admirais à la télé et dont j’avais le poster à côté de mon lit. » À l’issue de ces deux semaines intenses, Élise retrouve sa voiture sur le parking du Trabendo. Au cours du trajet Paris-Toulouse, les larmes de joie coulent à flots et les disques des deux groupes tournent en boucle. « Je descends à Toulouse et je redescends aussi dans ma tête. Je venais de vivre mon rêve et pour moi, c’était la fin. » Le groupe, pourtant, la rappelle pour une nouvelle tournée en Europe.


Élise ARANGUREN Photo: Rémi BENOIT


Décors en feu, taillage de veines En 2017, Élise Aranguren devient stage manager de Mayhem et Watain. Elle gère la scène, la technique et tout ce qui touche aux décors et aux mises en scène noires : projection de sang, carcasses, couteaux, maquillage satanique, feu, scarification… « Pour faire tout ça sur scène, il faut qu’ils entrent dans une certaine transe. Ça passe par des interactions avec des objets, du sang réel, du feu, des rituels. Cela représente une à deux heures de préparation physique et mentale. C’est comme une fragmentation en toi, avec d’un côté l’individu social, et de l’autre la bête. » Deux ans plus tard, elle devient tour manager : « Tu te lèves black metal, tu te couches black métal. C’est un choix pour se démarquer du reste de la population. C’est refuser les codes de la société, les rejeter, se placer à côté. » Son rôle de tour manager la conduit parfois à endosser le rôle de maman ou de psychologue de service. « Avec des personnes comme ça sur scène, il y a des décors qui prennent feu, des gens qui se taillent les veines, des fans qui se prennent des couteaux… Je dois rester connectée à tout ce qui se passe puisque je supervise la technique et le sacré. Je suis dans un état d’alerte constant. Mais j’ai une addiction pour cet état. »  Même si elle a besoin de couper de temps en temps en revenant sur ces terres natales, elle se révèle à travers ces expériences intenses. Sans pour autant les partager avec beaucoup : « J’ai construit une identité particulière et mon histoire ne se raconte pas au premier venu. En général, je dis que je travaille dans le milieu du spectacle. » S’il est difficile pour ses proches d’imaginer cet univers si particulier, celle qui vient juste de commencer une collaboration avec Perturbator, compositeur de musique électronique/métal, est convaincue d’avoir trouvé sa voie : « J’ai trouvé la raison pour laquelle je suis née. C’est fait pour moi ou je suis faite pour ça, je ne sais pas. Jamais je ne ferai autre chose ».


 

Venu du froid


© D. R.


En parallèle à la culture punk qui se développe en Grande-Bretagne, le black metal synonyme de « métal satanique », explore de nouvelles sonorités, des sons jamais entendus et des mises en scène morbides. « Mais ce n’est pas seulement de la musique, c’est tout un mouvement né en protestation contre le christianisme omniprésent à ce moment-là en Norvège et qui culpabilisait énormément les jeunes et leur retirait une partie de leurs libertés », explique Elise. Les fondateurs de Mayhem ont même créé une élite sociale autour d’eux qu’ils appelaient le inner black circle et qui est à l’origine de plusieurs incendies d’églises. « Ils sont allés en prison pour cette histoire ». Un des membres du groupe a même fini par se suicider. Quelques années plus tard, c’est le leader Euronymous qui est assassiné par Varg Vikernes, musicien du groupe. La légende raconte qu’une poignée d’albums auraient été édités avec une photo prise par le leader Euronymous lors de la découverte du corps, et que des morceaux de son crâne auraient été transformés en collier en guise de souvenir pour les autres membres. « Ce sont des gens totalement torturés, des artistes maudits. C’est ce qui a contribué à les rendre légendaires. »

 

Au Bikini Watain, le 20 sept. Perturbator le 13 oct

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