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Logi Boudu magazine

Exception culturelle

Dernière mise à jour : 5 janv.


Une des particularités des domaines viticoles du Sud-Ouest réside dans la grande diversité de ses cépages. Quelle en est l’origine ?  En quoi est-ce un atout ? Pour le savoir, Boudu est allé à la rencontre d’Olivier Yobregat, ampélographe (spécialiste des cépages) à l’Institut français de la vigne Occitanie situé à Peyrole, dans le Tarn.

On entend souvent que le Sud-Ouest est bien doté en matière d’encépagement.



Qu’en est-il précisément ?

On compte sur les cinq bassins ampélographiques que compte le Sud-Ouest, près de 150 cépages différents dont 43 que l’on retrouve dans des appellations et 36 qui sont vraiment usités (cultivés sur plus d’un hectare). Au total, cela représente près de 30% des cépages français, alors que le Sud-Ouest ne représente 6% des surfaces. Cette disproportion extraordinaire constitue une exception culturelle. Même dans le Nouveau monde, longtemps focalisé sur les grands cépages comme le merlot, le pinot, ou le chardonnay, on note un vrai engouement pour ces vieilles variétés européennes. 


Comme l’explique-t-on ?

Tout d’abord d’un point de vue historique avec la conquête romaine qui a favorisé l’importation de variétés exogènes qui, en se croisant avec les vignes locales sauvages, les lambrusques, ont donné naissance à de nouvelles variétés. Mais ce sont les pèlerinages vers Compostelle qui ont véritablement fait exploser la diversité des cépages. 


Pourquoi ces pèlerinages ont-ils dopé l’encépagement ?

À partir du Xe siècle, des abbayes se sont installées à côté d’Albi, Saint-Mont, Moissac, etc. Des vignobles ont été plantés autour pour abreuver les pèlerins. Ces importants mouvements de population ont favorisé le déplacement des cépages avec l’arrivée dans le Sud-Ouest de variétés du nord-est de la France ou de Bourgogne, comme le trousseau, le gouais, le savagnin ou le verjus. Un axe Nord-Est /Sud-Ouest s’est constitué, favorisé par les échanges entre abbayes. Et cette diversité de cépages a perduré. 


Comment ?

On a eu la chance d’avoir une mosaïque de vignobles aux aspects climatiques et géographiques différents. Ce n’est la même chose que l’on soit à Irouléguy ou dans les plaines vallonnées de Fronton. Éloignés les uns des autres, ces vignobles n’avaient pas beaucoup de liens. Chacun a développé ses particularités, y compris en terme d’encépagement. Cela a également été facilité par l’absence de perspectives commerciales. 


Que voulez-vous dire ?

Dans le Sud-Ouest, le débouché commercial, c’était la Garonne. Mais longtemps le privilège des vins de Bordeaux bloquait le passage des vins au niveau de l’estuaire tant qu’ils n’avaient pas vendu les leurs. Chacun développait donc ses marchés locaux, ce qui a favorisé la sélection locale. Il n’y a pas un cépage qui a pris le dessus sur tous les autres. Et puis on a également eu la chance d’avoir des ampélographes qui ont laissé des écrits et, à partir du XXe siècle, des conservatoires et des parcelles à partir desquelles on a pu travailler. 


Depuis quand répertorie-t-on les cépages ?

Une chose est sûre : on ne connait aucun nom de cépages modernes avant l’an 1000. Précédemment, c’était des noms en latin que l’on ne peut absolument pas relier à des variétés d’aujourd’hui. On connait en revanche des cépages qui se sont propagés depuis l’antiquité, parce qu’on les a retrouvés dans tout le trajet de la vigne, sur tout le pourtour méditerranéen, le plus emblématique étant le muscat à petits grains, l’ancêtre de tous les muscats. Au niveau régional, les cépages les plus anciens doivent être le mauzac, le prune-lard et le duras. Mais ce n’est qu’à partir du début du XIXe siècle que l’on se soucie de mettre de l’ordre dans l’ampélographie française. 


Quel était le but de la démarche ?

Lorsque les premières collections importantes ont vu le jour, l’idée n’était pas encore de conserver la diversité des cépages, mais de mettre à plat les synonymies pour établir leur identité. Ainsi à la fin du XIXe, une soixantaine de personnes vont travailler pendant 10 ans pour donner naissance à un ouvrage de référence : le Viala et Vermorel, qui décrit 5200 cépages que l’on trouvait en Europe. Mais il est évident que la crise du Phylloxéra (1870-1880) n’est pas étrangère à cette démarche. 


Pourquoi ?

Parce que cette crise qui a ravagé les vignes françaises a causé la perte d’une grande diversité de cépages. Quand on a replanté, on a eu tendance à simplifier l’encépagement. À Bordeaux, par exemple, où ils avaient besoin de faire voyager leur vin, ils ont privilégié des cépages tanniques comme le cabernet sauvignon. Et plein de petits cépages ont disparu. Cela a été moins le cas dans le Sud-Ouest, qui a toujours fait la part belle aux cépages. Même si Gaillac avait inscrit dans son décret des cépages améliorateurs comme le cabernet sauvignon, les principaux restaient le duras, le braucol, ou le mauzac. On a observé la même chose à Madiran avec le tannat et à Fronton avec la négrette. Et depuis 20 ans, les appellations n’ont eu de cesse de renforcer leurs cépages autochtones tout en essayant d’en trouver de nouveaux.


C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, on trouve encore des cépages inconnus. Une partie de mon travail est de faire de la prospection dans de vieilles parcelles, des conservatoires étrangers, etc., car ce qui est rare et inconnu a de la valeur ! On observe un véritable intérêt pour les cépages disparus, que ce soit de la part des consommateurs ou des vignerons qui ont bien compris que le premier à recultiver un vieux cépage a un avantage marketing. C’est la prime à l’originalité. Comme le bouysselet à Fronton qui a miraculeusement été sauvé et que les gens s’arrachent. 


Miraculeusement ?

Aucune parcelle n’avait été inventoriée jusqu’à ce qu’une dame, présente lors d’un topo que je faisais sur les cépages oubliés à l’occasion d’une fête des vins du côté de Fronton, m’interrompe pour me dire que son voisin en avait dans son jardin. Intrigué, je me suis rendu sur place. Sur les 16 ou 17 cépages qui s’y trouvaient, il y avait du bouysselet. 


Et que s’est-il passé ?

On l’a vite passé en collection, un rang a été mis sur une parcelle d’essai et, très rapidement on a vu qu’il était très intéressant en termes d’équilibre viticole. Le propriétaire en a planté chez lui et a sorti la première cuvée. Désormais tout le monde se l’arrache, à tel point qu’ils envisagent de créer une appellation en blanc autour de ce cépage qui présente la caractéristique d’être très tardif, donc de conserver une belle acidité, ce qui est une bonne chose vue l’évolution climatique. Car ces vieux cépages présentent aussi un intérêt technique. Beaucoup ont été délaissés parce qu’ils ne murissaient pas bien à une époque où tout le monde cherchait des cépages précoces. Or aujourd’hui, la tardivité et l’acidité, c’est justement ce qui manque. 


Est-ce pour cela que vous croisez de plus en plus de cépages ?

Oui, même si on cherche avant tout à obtenir des cépages résistants aux maladies. Parce que l’on connait les marqueurs de résistance. Après, vu qu’il nous faut aussi des variétés qui peuvent résister à la sècheresse, on essaie de croiser les objectifs. 


Pourquoi faut-il à tout prix donner naissance à des cépages résistants ?

Parce qu’aujourd’hui, dès que l’on sort un pulvérisateur, on nous jette des cailloux ! C’est aussi simple que ça. Les conflits dans les campagnes tournent à l’hystérie. Alors on s’adapte. Dans le Sud-Ouest, on a lancé un programme qui a consisté à hybrider des cépages du Gers, le colombard, le tannat et le gros manseng, avec des géniteurs de résistance au mildiou et l’oïdium qui représentent plus de 80% des traitements que l’on passe sur les vignes. L’objectif est de donner naissance à un cépage qui serait totalement résistant à ces maladies. Et l’avantage, c’est que l’on connaît les gènes de résistance à ces maladies, principalement issues de vignes sauvages américaines et asiatiques. 


Ces pratiques sont-elles récentes ?

Les hybridations se font depuis le XIXe siècle mais on a un davantage de chance d’obtenir des hybrides de qualité avec les moyens modernes qui nous permettent de multiplier les croisements. Il faut être patient. Suite au croisements menés depuis le début du programme, 180 cépages potentiels ont été plantés. L’année prochaine, on va évaluer la quantité de récolte, la qualité, la phénologie, les niveaux d’acidité, de sucre, pour voir si certaines enfants cumulent la qualité du cépage historique et la résistance de l’autre parent. 


Et après ?

À l’issue de cette phase d’observation qui durera minimum trois ans, on espère planter les meilleurs candidats sur des parcelles plus grandes, dans le cadre d’un protocole officiel. Après, c’est six ans de plus. Donc 10 ans en tout, uniquement pour être inscrit au catalogue, c’est-à-dire pour faire du vin de table. Et il faut compter encore 10 ans pour entrer dans l’appellation !


cépage

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