Si le plus proche vignoble de Toulouse a longtemps vécu dans l’indifférence générale, il est désormais clairement reconnu par les amateurs de vin. Une renaissance qui se traduit notamment par l’apparition de nouveau vignerons qui ne manquent pas d’idées pour faire vivre leur territoire.
Quiconque se serait absenté de Toulouse pendant 20 ans n’en croirait pas ses yeux. Le fronton, longtemps décrié pour la qualité suspecte de son vin, s’affiche désormais fièrement à la carte des plus fines tables de la Ville rose. Pour Benjamin Piccoli, directeur de la Maison des vins de Fronton, les raisons sont multiples. À commencer par le renouvellement des générations qui a été bénéfique, en particulier d’un point de vue commercial, y compris chez les têtes de gondole comme Penavayre ou Ribes : « Thomas (le fils de Marc Penavayre) comme Anne (la fille de Frédéric Ribes) ont travaillé ailleurs. Cela amène un regard nouveau sur leur exploitation, explique-t-il. Thomas réfléchit par exemple à faire labelliser le domaine en bio-dynamie tandis qu’Anne a bien compris qu’il lui fallait le label bio si elle veut travailler davantage avec les cavistes. »
Signe de l’engouement récent pour le vignoble, de nouveaux domaines ont vu le jour ces dernières années et d’autres, moribonds, ont refait surface, comme le Château La loge, repris par Maxime Touzet, un ancien professionnel de la restauration, ou le Château des Peyreaux, abandonné depuis 20 ans et repris par Marie-Emmanuelle Couderc, une ancienne de chez Safran qui, non contente de faire revivre le domaine, l’a transformé en bio : « Vu que ce sont des personnes qui ont travaillé ailleurs, ce n’est pas étonnant qu’elles aient envie de travailler proprement », observe Benjamin Piccoli qui note également que ces nouveaux vignerons ont intégré l’œnotourisme dans leur offre, comme Marie-Emmanuelle Couderc qui est entrain de rénover la ruine qui figurait au milieu de son domaine pour accueillir, à moyen terme, du public. « Ils sont tous dans ce type de projets parce que leur démarche converge sur un point : ils s’installent tous dans le bio et la vente directe. »
Cet intérêt croissant pour le vignoble frontonnais, le directeur de la Maison des vins l’explique également par la proximité avec Toulouse : « Les jeunes vignerons ont envie de vivre autrement, de sortir de temps en temps, d’aller au resto. En étant ici, ils peuvent travailler dans la vigne la journée et aller voir un spectacle à Toulouse le soir. » L’argument économique n’est évidemment pas à négliger. Avec un prix à l’hectare qui varie entre 12 et 15 000 euros, le fronton demeure un vignoble accessible. Et puis il y a l’époque, favorable aux petites appellations, avec des cépages singuliers qui fait dire à Benjamin Piccoli que « l’on commence à cocher toutes les cases d’un vignoble à la mode. On me sollicite d’ailleurs de plus en plus pour reprendre des domaines ». Conséquence de cet engouement, le vignoble, jusqu’alors connu grâce à 2 ou 3 domaines, est désormais identifié grâce notamment aux distinctions qui se sont multipliées ces dernières années. « Il y a pas mal de domaines qui tirent leur épingle du jeu, ce qui crée une saine émulation. » Sans compte que ces nouveaux entrants n’hésitent pas à bousculer les codes, comme le Domaine Bois de Devès à qui l’on doit un rouge sucré, ou celui de Labastide qui a fait le pari du pet nat, pétillant naturel qui commence à se faire connaître.
Des nouveaux vignerons qui ont également permis au Fronton de mieux se positionner en termes d’offre : « Vu qu’ils sont hyper calés en marketing et commerce, ils ont une approche très différente des anciens qui ont toujours eu du mal à vendre le fronton à son juste prix », observe Benjamin Piccoli. Signe de cette évolution, un collectif baptisé Négrette a été créé en 2019, rassemblant une dizaine de vignerons, pour proposer une gamme de vins rouge de prestige vendus entre 16 et 20€. Une sorte d’accomplissement du travail entrepris depuis des années pour mettre fin au complexe d’infériorité des vignerons de Fronton : « On a prouvé que l’on savait faire des vins concentrés, les garder 10 ans et que le prix était justifié ». CQFD Monsieur le directeur de la Maison des vins.

Château Boujac dans le Game
Au Château Boujac, situé à Campsas à quelques kilomètres de Fronton, on veille à ne pas opposer histoire et modernité. Le domaine a beau être dans la famille depuis les années 30, ce n’est pas une raison pour rester les deux pieds dans le même sabot. Aussi lorsque Michelle Selle rejoint son mari Philippe sur l’exploitation en 1998, il ne faut pas longtemps au jeune couple pour comprendre qu’il faut arrêter la production de maïs et de blé, « trop cher à produire », et entamer la conversion du vrac vers la bouteille. « Alors que très peu de vignerons en faisaient, précise celle qui a une formation de technico-agricole. Mais le problème, c’est que le vrac, ça paie pas. » Sauf que le fronton, à l’époque, n’a pas la cote auprès des cavistes et des restaurateurs. Pour vendre leurs bouteilles, les Selle décident d’axer leur communication sur le Château Boujac plus que sur l’appellation : « On s’est présentés comme des vignerons de terrain en mettant l’accent sur le niveau de qualité et de services », résume-t-elle. Et petit à petit, la démarche a payé. « L’image du Fronton n’a cessé de progresser, notamment parce que les anciens qui disaient que ce n’était pas bon sont partis. Mais c’est vrai aussi qu’il a fallu du temps pour proposer un vin qui correspondait aux attentes… »
Parmi celles-ci, Michelle comprend vite qu’il y a le bio. Une véritable révolution culturelle pour celle qui reconnaît être « née avec la chimie »… tout en revendiquant avoir été l’une des premières à en sortir : « Après c’est sûr que le bio, c’est l’aventure à côté de la chimie qui est rassurante. » N’empêche que depuis 10 ans, le Château de Boujac est certifié bio. Et que désormais, c’est vers la biodynamie que les époux Selle se dirigent.
Mais ce n’est pas qu’en matière de viticulture qu’ils se distinguent. En ouvrant en 2011 une boutique dédiée à la vente, ils font le pari de l’oenotourisme. Un investissement « rapidement amorti » qui encourage les vignerons à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Une personne est ainsi recrutée pour travailler les réseaux sociaux et assurer les portes ouvertes. Puis après le Covid, le couple décide d’investir à nouveau dans une nouvelle boutique, plus spacieuse afin de transformer l’ancienne en gîte. « Parce que dans le coin, on manque cruellement d’hébergement d’accueil ».
Une évolution que Michelle Selle n’est pas loin de juger indispensable. « Aujourd’hui, il faut donner du temps au client, être à son écoute, lui proposer une approche moderne, ludique, etc. Il faut sans cesse chercher à innover pour éveiller sa curiosité pour nos métiers, comme avec le conservatoire des cépages que l’on a créé sur le domaine, mais aussi proposer des choses inhabituelles sur une exploitation agricole. »
Comme l’Escape Game pensé autour des histoires de la famille que le Château Boujac propose depuis deux ans et pour lequel il n’a pas hésité à investir 3000 euros, et recruté des stagiaires en communication. Pour vivre avec son temps, tout simplement.

Domaine Bois de Devès à l’heure anglaise
Originaire de Southampton dans le sud de l’Angleterre, Nicholas Smith vit longtemps éloigné du monde du vin. Batteur dans plusieurs groupes de rock, il arrondit ses fins de mois en donnant quelques leçons et en faisant quelques extras dans la restauration. Jusqu’au jour où, en vacances du côté de Saint-Chinian en camping-car, il a une révélation en voyant les vignes à perte de vue : « Produire quelque chose et travailler dehors, tous mes intérêts convergeaient en une activité ! »
En retraversant la Manche, il décide de changer de vie. Après un test concluant à Libourne chez une vigneronne, il intègre le BTS viticole œnologie près de Brighton dont il sort diplômé en 2016. Pour débuter dans le métier, il prend la direction du Val de Loire où il enchaine une expérience d’ouvrier agricole dans un domaine de 10 hectares et une en cave coopérative où il se forme à toute la technicité de la vigne : « J’y ai appris le métier. » Fort de bagage, il se sent prêt à voler de ses propres ailes et se met à prospecter dans le Languedoc à la recherche de la perle rare. Mais rapidement il déchante devant la sécheresse du climat. « Les 46°C de Nîmes en 2018 qui avaient brûlé toutes les vignes m’ont marqué. Sans parler de la question de l’irrigation qui me gênait. »
À la recherche d’un vignoble aux influences océaniques, il atterrit à Fronton, en août 2019, en pleine fête Senteurs&Saveurs. « Je ne connaissais ni le vignoble ni le cépage, la négrette ». Séduit par le caractère de ce vin pas comme les autres, il fait la connaissance de Michel, propriétaire du Domaine Devès, qui vient de mettre en vente sa propriété. Un an plus tard, c’est lui qui est aux manettes du domaine de 10,5 hectares rebaptisé Bois de Devès. « J’ai pensé à l’avenir : dans 30 ans, ça sera plus gérable ici que dans le Languedoc. »
Après une première vendange menée à la hâte, il décide dès l’année suivante de réembouteiller le vin et de se lancer dans des expérimentations : monocépage avec du malbec et de la syrah, vin rouge moelleux, Nicholas casse les codes… et s’en délecte. « Tout le monde est libre. Il n’y a pas une seule méthode. Mon vin ne ressemble pas à celui que faisait Michel et c’est très bien ainsi. » Une liberté d’autant plus facile à assumer qu’il ne tarit pas d’éloges sur l’accueil made in Sud-Ouest : « Les gens de la région sont vraiment très ouverts, ils aiment faire la fête, et il y a une vraie solidarité entre les vignerons. » Alors heureux l’Anglais ? « Certes les pubs me manquent un peu. Mais dans le fond je me sens plus européen qu’Anglais. Et ici, c’est vraiment une terre d’accueil. »
