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Jean Couderc

Génération Delga – Laurent Panifous

Dernière mise à jour : 19 janv.

Élu en juin à la surprise générale député de la 2e circonscription de l’Ariège, Laurent Panifous entend contrer la Nupes à l’Assemblée. À cette gauche tendance LFI qu’il estime incantatoire, destructrice, nocive et stérile, cet ancien directeur de maison de retraite et maire du Fossat, veut opposer, sans quitter le PS et dans le sillage de Carole Delga, une gauche du réel et de responsabilité.



Irrémédiablement fâché avec l’extrême gauche ? L’homme jure que non. Pour preuve, son premier bulletin de vote pour Robert Hue, le candidat du Parti communiste lors de la première élection présidentielle post Mitterrand, un dimanche d’avril 1995 : « J’avais trouvé son discours sincère parce qu’il militait pour une augmentation significative du Smic et courageux parce il était le dirigeant d’un parti qui avait un positionnement pas évident. Comme Fabien Roussel aujourd’hui. » Le jeune homme ne présente pourtant pas les caractéristiques de l’électeur type coco au mitan des années 1990. Père médecin, mère directrice de maison de retraite, la défense de ses intérêts devait plutôt le conduire de l’autre côté de l’échiquier politique. Mais très jeune, ce Fuxéen qui a grandi au Fossat, dans la vallée de la Lèze, se sent libre de penser comme il veut : « J’ai eu la chance de grandir dans une famille où l’on parlait politique d’une manière très libre. Je suis fier d’avoir eu des parents qui n’ont pas cherché à m’influencer. Droite ou gauche, ça n’était pas le sujet. » Pas question, en revanche, de louper la grand-messe que représentait alors 7 sur 7. Devant le rendez-vous cathodique du dimanche soir présenté par Anne Sinclair, le jeune homme s’emploie à trier le bon grain de l’ivraie : « J’essayais de trouver ce qu’il y avait de vrai dans chaque discours. C’est encore le cas aujourd’hui : ce qui m’intéresse, c’est la part de sincérité. Quelle que soit l’origine de l’idée. Ce n’est pas si fréquent en politique, quelqu’un qui défend une idée, et qui le fait sincèrement. » Laurent Panifous a eu beau voter PC pour son premier scrutin, c’est du Parti Socialiste dont il se sent proche. Sans revendiquer de modèle en politique, il concède avoir apprécié le travail de Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Mais celui qui abandonne son Ariège natale pour poursuivre ses études supérieures à Toulouse, ne franchit pas le pas. Jusqu’à ce que le statut de commentateur de la vie publique ne lui suffise plus. Le déclic a lieu en 2007 avec l’élection de Nicolas Sarkozy « parce que son discours divisait au lieu de rassembler ». Et parce que l’attitude du PS à l’égard de Ségolène Royal lui impose de descendre dans l’arène : « Qu’un mouvement politique ne soutienne pas sa candidate alors en position de gagner, c’était trop. Je ne pouvais plus regarder mon parti sans rien faire. Dans ces cas là, soit tu éteins la télé, soit tu te mouilles. » Lui, décide de se mouiller, ce que son statut de directeur de la maison de retraite du Fossat l’avait jusqu’alors dissuadé de faire. « Mais c’est le prix à payer quand tu veux faire de la politique. » Arrivé sur la pointe des pieds au sein de la section de la Lèze, il s’y sent très vite à l’aise. Curieux de comprendre les rouages internes d’une formation politique, il apprécie de pouvoir donner son opinion : « Même si c’est parfois frustrant, c’était beaucoup mieux que de ne pas y être. Et puis cela m’a permis de rencontrer des gens qui s’intéressaient à la politique, comme Alain Fauré. Ça m’enrichissait, j’y trouvais ce que je cherchais. »



Sans s’imaginer, assure-t-il, briguer un jour un mandat. Sinon qu’à force de soutenir les autres et de prendre goût aux campagnes électorales,-« même si c’est un peu gênant, au début, d’aller voir les gens dans la rue ou de coller des affiches »-, son tour finit par arriver. Lorsque Bernard Campmas, le maire divers gauche du Fossat décide de ne pas se représenter, la candidature de Laurent Panifous, qui a déjà des responsabilités associatives dans le village, paraît aussi naturelle qu’évidente. Surtout qu’en face se dresse (déjà) une opposition « dure et bruyante » soutenue par le Front de gauche, « à laquelle il ne fallait pas laisser la commune ». À l’issue d’une campagne tendue, le novice en politique est néanmoins élu largement à la tête de sa commune avec plus de 65 % des voix. Drôle de sensation pour cet enfant du Fossat, « ému » qui comprend surtout très vite qu’à ce poste, il va pouvoir œuvrer… mais aussi qu’il ne se fera pas que des amis. « En tant que maire on est à portée de caresses… et de baffes ! On ne peut pas faire plaisir à tout le monde. C’est aussi des moments difficiles parce que l’on est sollicité en permanence et que les gens attendent beaucoup. Mais c’est aussi un beau mandat où tu peux agir de manière très efficace sur la vie quotidienne des gens. » Son désir d’aller plus loin et plus vite le conduit presque naturellement à devenir président de la communauté de communes d’Arize-Lèze en 2017 « parce que c’est à ce niveau-là que ça se joue en termes de développement économique ou de santé. » L’appétit vient en mangeant ? Laurent Panifous sans nier s’être « laissé pousser », porté par les bonnes relations qu’il entretenait alors avec les autres maires, rappelle néanmoins qu’il n’a jamais couru après les mandats. Et qu’il a toujours conservé une grande liberté à l’égard de la politique : « Parce que j’ai continué à travailler. Même si cela a été dur à gérer, c’est comme ça que j’ai pu rester libre. Mon travail enrichissait mon mandat et réciproquement. C’est d’ailleurs pour ça que cela a été si dur de le lâcher. Depuis que je suis député, je ne suis plus qu’un homme politique. »


Une décision que l’homme n’a pourtant pas longtemps hésité à prendre : « Je n’aurais pas pu exercer mon mandat pleinement si j’avais continué à travailler. » Conscient de fragiliser sa position, et de se fragiliser par rapport aux pressions extérieures, il considère toutefois que le jeu en valait la chandelle : « Quand tu t’intéresses à la vie nationale, participer à cette aventure, faire la loi, c’est forcément attractif. Mais j’aurais très bien pu ne pas me présenter. En politique, c’est souvent une affaire de contexte… » Sauf qu’en 2022, le contexte politique, en France et plus particulièrement en Ariège, impose de se retrousser les manches et d’aller au combat. Depuis 2017, le PS ne compte plus de députés dans le département, pourtant fief historique du Parti à la rose. « On n’était clairement pas d’accord avec les positions de LFI au niveau national et avec la manière d’exercer le mandat ici », résume Laurent Panifous investi par le PS 09, à l’unanimité, pour tenter de renverser le sortant Michel Larive. Avec une idée directrice : pas question de mettre l’Ariège sous cloche. « Certes il est important de préserver le département. Mais on a aussi le droit d’avoir un territoire accessible, du tourisme de qualité et de la diversité. » Conscient que le rapport de force ne lui est pas favorable, le challenger démarre sa campagne tambour battant dans la foulée de son investiture le 15 décembre 2021. Sinon que quelques semaines à peine après, l’état-major de son parti lui demande de suspendre sa campagne sur fond de tractations entre les formations de gauche. C’en est trop pour le maire du Fossat qui, appuyé par la fédé ariégeoise, mais aussi Christine Téqui au Département et Carole Delga à la Région, décide d’entrer en dissidence. Ou plutôt en résistance. « Mon propre parti voulait donner l’investiture à mon rival avec lequel nous étions en désaccord total. C’était absurde. »


Déterminé à ne pas se laisser faire, Laurent Panifous flanqué de sa suppléante Audrey Amiel-Abadie redoublent d’ardeur, « galvanisés, parce que vu d’ici, on trouvait ça tellement injuste ». Et contre toute attente, bien que mis en ballotage défavorable à l’issue du premier tour, le maire du Fossat réussit à l’emporter avec près de 57 % des voix… et un report important de voix du centre et de la droite. « Je considère que l’on a mené le bon combat en disant aux gens que cet accord (Nupes) était nocif pour la gauche », analyse Laurent Panifous qui n’hésite pas à désigner le parti de Jean-Luc Mélenchon comme l’ennemi public numéro 1. Une position radicale née de sa propre expérience : « Au sein de mon conseil municipal, je n’ai eu affaire qu’à des postures politiciennes, à des gens qui me renvoyaient à mon étiquette, qui avaient des a priori sur ce que je pensais, qui estimaient que je n’étais pas assez à gauche. Mais à l’échelon local, l’important, c’est de rassembler et de créer une solidarité avec les autres maires pour faire en sorte qu’il y ait de l’emploi et des services publics sur le bassin de vie. » Pour celui qui considère que le quinquennat de François Hollande sera réhabilité avec le temps et qui a très mal vécu la fronde, sur la forme, de « ceux qui sont aujourd’hui à la tête du PS », il y a urgence à se réveiller. Au risque de dérouler le tapis rouge à Marine Le Pen et aux idées du RN. « J’ai toujours été pour un rassemblement de la gauche. Mais passer des accords avec des partis populistes d’extrême gauche, c’est mortifère. LFI est un parti qui est en train de détruire la gauche de responsabilités, celle qui a vocation à gouverner. On vit ce que l’on a longtemps connu à l’extrême droite, à savoir un parti populiste qui harangue les foules mais qui n’a aucune chance d’arriver aux responsabilités. Donc qui n’a concrètement aucune chance de faire bouger les lignes. La gauche doit très vite se reconstruire. » Pour y parvenir, celui qui a appris de son long passage à la tête d’Ephad « que notre société ne respecte pas nos aînés », il suffit de se pencher sur le passé, même récent, pour trouver les bonnes solutions. Et de citer l’exemple du CICE lancé sous le quinquennat de François Hollande pour illustrer son propos. « Moi qui étais chef d’entreprise à l’époque, je vois à quel point cette mesure était positive pour les petites et moyennes entreprises. Considérer que la valeur travail est importante, c’est une valeur de la gauche, comme l’a rappelé Fabien Roussel récemment. »


Désormais suspendu du PS pour désobéissance, il ne ferme pas la porte à un retour dans le giron socialiste même s’il déplore la déférence de son parti à l’égard de LFI. « Ils m’ont proposé, à la rentrée, de rejoindre leur groupe à l’Assemblée. Sauf qu’ils n’ont pas accepté que je puisse librement exprimer mon désaccord avec l’accord Nupes conclu quelques jours avant les élections sans consultation des militants. » En attendant que la situation se décante, ou que d’autres camarades sortent du bois, Laurent Panifous après avoir essayé de créer avec les quatre autres députés socialistes dissidents un groupe d’opposition de gauche constructive, a fini par rejoindre Liot pour Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Un groupe parlementaire réunissant des députés d’origines politiques différentes situé dans l’opposition à la majorité présidentielle, qui lui permet de bénéficier de plus de temps de parole à l’Assemblée et de collaborateurs de groupe « pour aller plus vite au fond des sujets. » À l’aise dans cet ensemble hétéroclite où il n’est pas tenu par des consignes de vote, le nouveau locataire du Palais Bourbon ne partage pas la même vision de son rôle d’opposant que ses collègues de la Nupes. « Ne pas en faire partie m’a permis d’être entendu, d’échanger avec le ministre du Travail, le porte-parole du gouvernement, d’expliquer à la première Ministre, cap à cap, pourquoi je ne voterai pas la retraite à 65 ans. Si j’avais été dans une opposition brutale, je ne pense pas qu’elle m’aurait demandé mon avis. Ni que j’aurais pu la sensibiliser sur certains dossiers pour l’Ariège. Quand on toque à la porte de quelqu’un que l’on vient d’insulter à l’Assemblée, il est probable que la porte reste fermée. Le problème de l’intergroupe de la Nupes, c’est qu’il rend totalement inaudibles les propos tenus par les tenants de la gauche du réel. » Et la gauche du réel, en Occitanie, c’est Carole Delga : « C’est une femme politique de terrain qui agit pour son territoire, qui porte des valeurs de gauche. Mais elle n’est pas dans la promesse intenable. Je me reconnais totalement en elle notamment lorsqu’elle dit que la gauche n’a pas assez travaillé. On doit se ressaisir, se remettre à parler de fond, réfléchir à un vrai projet de société réaliste. Tant qu’on est dans l’incantation, l’opposition stérile, les gens savent bien que l’on ne sert à rien. » Les ambitions élyséennes que certains observateurs de la vie politique prêtent à la présidente de Région sont-elles fondées ? Laurent Panifous, qui est également proche de la démarche de Bernard Cazeneuve, les attribue davantage à l’espoir que sa personnalité fait naître. « Elle a su fédérer en Occitanie par les mots mais aussi par les actes. Et ce n’est pas donné à tout le monde. Nombreux sont ceux qui aimeraient qu’elle aille plus loin. Quand on pense à elle, on se dit que la politique peut changer la vie des gens. Elle est capable de dire à son propre camp quand elle n’est pas d’accord. Mais aujourd’hui, le plus important est de reconstruire. »

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