Si le Sud-Ouest séduit par son caractère rural et sa bonne bouffe souvent carnée, quel est son avenir dans un monde qui s’urbanise et se véganise ? Jean-Louis Cazaubon, éleveur, maire rural dans les Hautes-Pyrénées et vice-président de la Région Occitanie en charge de la souveraineté alimentaire, a son avis sur la question.
Question bateau, mais question quand même. Qu’est-ce que le Sud-Ouest ?
C’est une façon de vivre, une culture, un folklore. Un rapport particulier à la vie, à l’agriculture et à l’alimentation. C’est un accent aussi, qui nous singularise. Il suffit de m’entendre ou d’entendre la présidente de la Région pour s’en apercevoir. Et ce n’est pas du tout un détail.
Le Sud-Ouest est-il encore aussi agricole qu’on le dit ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 165 000 emplois dépendent de l’agriculture et de l’agroalimentaire en Occitanie. Cela représente 22 milliards de chiffre d’affaires par an une fois que les produits sont transformés. J’ajoute que l’Occitanie et la Nouvelle Aquitaine sont les deux régions qui possèdent le plus grand nombre de produits alimentaires sous signe officiel de qualité.
Vous êtes donc partisan du patriotisme économique local ?
Bien entendu ! Les Japonais le sont, Biden, Trump et bien d’autres le sont. Ceux qui ont compris comment marche le monde font du patriotisme économique. Nos emplettes sont nos emplois, ce n’est pas qu’un slogan. Et au-delà de l’emploi, c’est la souveraineté alimentaire qui est en jeu. Surtout en ce moment.
Pourquoi en ce moment ?
Dans les dix ans qui viennent, 10% des terres vont changer de main, et 45% des agriculteurs vont cesser leur activité. Si on ne réussit pas cette transition, on n’assurera pas la souveraineté alimentaire du pays.
Si le Sud-Ouest c’est la ruralité et l’élevage, quel est son avenir dans un monde qui s’urbanise et se véganise ?
Dans le monde, la consommation de viande augmente, parce que plus les pays se développent, plus les gens mangent de la viande. En France, elle stagne, et la production intérieure ne suffit pas. On ne produit par exemple que 45% de la viande ovine qu’on consomme. Je ne suis pas aveugle pour autant. Je vois bien ce qui se passe et ça ne me dis rien. Quand j’ai vu Bruno Lemaire couper en mai le ruban d’une usine de viande végétale… ça m’a mis en colère.
Pourquoi ?
Parce que l’argument de l’élevage et des gaz à effet de serre ne tient pas. La Cour des comptes nous dit qu’il faut réduire l’élevage parce que les vaches dégagent du méthane. En clair, qu’elles pètent… Soit ! Les humains aussi dégagent du méthane si on va par là. L’élevage doit être considéré dans son ensemble si on veut mesurer ses effets.
Qu’en est-il dans le Sud-Ouest ?
Dans le Sud-Ouest, l’élevage capte du carbone grâce aux surfaces couvertes d’herbe et de végétation entretenues par les éleveurs pour leurs bêtes. Si on supprime les éleveurs, qui va pâturer les pentes du Tourmalet et transformer en protéine cette végétation qui n’est comestible que pour les animaux ? Ce ne sont tout de même pas Aymeric Caron et Hugo Clément qui vont se mettre à quatre pattes pour brouter ! On me dit les Pyrénées sont un formidable puits de carbone. C’est vrai. À condition qu’il y ait l’élevage pour l’entretenir et le valoriser.
Une partie des nouvelles générations, y compris dans le Sud-Ouest, est sensible aux arguments des anti-viande. La messe n’est-elle pas dite ?
Une partie de la population, sous l’influence des médias et de personnages de renom comme ceux que je viens de citer, n’auront peut-être pas la capacité de résister. Mais ce serait une erreur de croire que l’art de vivre du Sud-Ouest n’intéresse que les vieux. Les jeunes en sont les premiers promoteurs, y compris et surtout dans les villes. C’est primordial pour la culture autant que pour le tourisme.
Quel lien avec le tourisme ?
Les touristes viennent ici pour s’immerger dans une culture, une gastronomie, un art de vivre, des paysages entretenus par les agriculteurs. Ils ne viendront pas ici manger la viande de synthèse de Xavier Niel. Si nous voulons garder notre place dans l’industrie du temps-libre, il nous faut rester ce que nous sommes.
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