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BOUDU

Jeff Dubois : Héros malgré lui

Pour le grand public, c’est un quasi anonyme. Pour le monde du rugby, Jeff Dubois fut un honnête joueur de Top 14, qui connut son heure de gloire au Stade Toulousain en concurrençant, voire en damant le pion à la star locale Frédéric Michalak. De là à le retrouver aujourd’hui à la tête de l’équipe de France, aux côtés de l’ancien manager rouge et noir et de Yannick Bru… Surtout que ce milieu, le rugby, est réputé impitoyable et regorge de forts en gueule à l’ambition à peine masquée. Alors pourquoi lui ? A priori, rien ne le prédestinait à occuper de telles fonctions. Lorsque Jean-Frédéric Dubois naît il y a 44 ans à Dax, dans les Landes, il lui est difficile d’échapper au ballon ovale. Son père Gaston, après une honorable carrière sous les couleurs dacquoises, a pris en main le club de Peyrehorade, petite commune de moins de 4 000

habitants située à 25 kilomètres de Dax. La maison jouxtant le stade, Jeff fait très tôt connaissance avec l’ambiance des terrains : « Tout petit, il assistait à tous les entraînements, touchait beaucoup le ballon », raconte Gaston, aujourd’hui âgé de 87 ans. Son frère aîné, Pierre, se souvient également qu’il avait toujours un ballon dans les mains : « Il était joueur dans l’âme. Je me rappelle qu’il s’enfermait dans sa chambre pour refaire les matchs ». Mais contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, dans la famille Dubois, le rugby n’est pas une priorité. « C’est une manière de vivre, de se détendre », précise Gaston. Et même si Jeff, à l’adolescence, part à Bayonne en Sport-Études, la deuxième partie de l’intitulé est au moins aussi importante que la première dans l’esprit de son instituteur de père. Chez les Dubois, on est Peyrehoradais avant tout. Le rêve du petit dernier est donc de jouer en première pour son village, avec son frère Pierre. À Peyrehorade, où il peut concilier rugby et études, (un deug d’éco à Bordeaux), il évolue dans un cocon.

Les glaçons sur le front L’insouciance est alors le maître-mot. Thierry Ferran, dit « Le Chinois », alors capitaine de Peyrehorade, se souvient des entraînements du vendredi, au lendemain des soirées étudiantes : « Il en portait les stigmates sur le visage. Leur grand jeu, à

l’époque, c’était de se casser des glaçons sur le front ! ». Au comptoir comme sur le terrain, ses qualités n’échappent à personne. Thierry Ferran, fort d’une solide carrière en première division, se souvient avoir bien vite décelé son potentiel : « Il avait de grosses qualités, un bon jeu au pied, un gros mental, de bonnes passes des deux côtés. On savait qu’il allait être aspiré par le haut niveau. Mais lui pensait avant tout à mordre la vie à pleines dents ». Et à Peyrehorade, tout est réuni pour ça, comme le raconte Nathalie, sa compagne, rencontrée durant cette période : « Il avait 19

ans, c’était le plus jeune de l’équipe, il était entouré de plus vieux qui le sortaient partout, c’était un peu la mascotte. Et puis le rugby de clochers, il adorait : autant il n’était pas très rapide sur le terrain, autant il piquait de sacrés sprints pour venir en aide aux copains en cas de bagarre ! ». Reste que l’U.S. Dax revient à la charge, avec à la clé une place au cabinet d’assurances de Jean-Pierre Bastiat. Le patriarche consent alors à laisser partir son fils. Sans que ce dernier ne ressente une quelconque pression : « Je me disais que si ça ne fonctionnait pas, je retournerais à Peyrehorade ». Et c’est, d’ailleurs, ce qu’il n’est pas loin de faire après une première saison réussie du côté du stade Maurice-Boyau. « Il m’en avait voulu de l’écarter au profit de Labat en début de saison, se remémore Jeannot Lescaboura, son coach. Il avait fait preuve d’un sacré mental pour revenir, surtout à un poste aussi difficile que celui d’ouvreur. Il a gagné le respect de tout le monde dans le vestiaire. » S’il s’impose rapidement comme un leader, pas question de prendre la grosse tête, comme en témoigne Benoît August, son

partenaire d’alors : « C’était l’amitié, le plaisir de se retrouver, de passer de bons moments, qui le faisaient avancer. On essayait d’être heureux, de ne pas se prendre la tête ». Jérôme Darret, un autre de ses anciens équipiers, se souvient quant à lui d’un garçon particulièrement liant : « On était une bande de copains. Jeff œuvrait pour les relations. C’était un joueur entier, franc, direct, très humain. C’était un peu le baromètre de l’équipe ». Mais le garçon ne manque pas d’ambition sportive. Aussi, quand Alain Hyardet lui fait les yeux doux pour rejoindre Béziers en 2001, il se laisse tenter : « À Dax, j’alternais le rugby et le boulot. J’aimais bien le contact avec les gens, mais c’était dur de mener les deux de front, de jongler entre le costard et les affaires d’entraînement ». En dépit des réticences de son père, qui aurait préféré qu’il reste à Dax et qu’il n’abandonne pas ses projets dans les assurances, il franchit le pas, assez logiquement selon Jeannot Lescaboura : « C’était un garçon ambitieux, qui avait des idées, et qui était prêt à faire beaucoup d’efforts pour arriver à jouer au plus haut niveau ».

Le rugby des copains Béziers, fraîchement promu en Top 14, affiche de grosses ambitions avec à sa tête un coach, Alain Hyardet, très influencé par les méthodes anglo-saxonnes. L’atterrissage est douloureux pour Jeff. Michel Dieudé, son ancien partenaire, se souvient en particulier

des stages commandos d’avant-saison, très physiques où « Jeff s’accrochait, même si ce n’était pas son fort ». Sans être le plus assidu à la salle de muscu, il gagne rapidement la confiance de Hyardet, qui voit en lui un relai sur le terrain : « Je réunissais certains joueurs le lundi matin pour parler de tactique. Ça lui a tout de suite plu. Quand on lui fait confiance, il lâche le frein. C’est un garçon entier, qui aime la franchise ». C’est aussi, et surtout, un joueur qui aligne les performances de haut rang au point d’être régulièrement appelé en équipe de France A, l’antichambre de la grande. Qu’il ne connaîtra malheureusement jamais. Une question de timing selon Benoît August : « Jeff incarnait le rugby dans son origine, le jeu d’évitement, pas le rugby de kilos. En équipe de France, il a pâti, comme moi, d’une fausse image de garçon qui n’adorait pas les salles de muscu. On ne rentrait pas dans les plans de Laporte qui voulait des bodybuildés ». Même si la déception est indéniable chez le joueur, pour ses anciens partenaires, il n’a jamais nourri de rancœur, bien au contraire. Frédéric Gommard, ancien 3e ligne biterrois reconverti dans la restauration, se souvient par exemple de sa réaction lors de sa première convocation en A : « Il avait dit “Si ça m’arrive à moi, ça peut arriver à tout le monde” ». Il faut dire qu’à Béziers, Jeff se régale. « C’était plaisant de gagner de l’argent en assouvissant ma passion. Le rugby, c’était un

hobby pour moi. Je me sentais privilégié. En plus il ne pleuvait jamais. » Il est, en outre, entouré de copains : « Mes coéquipiers, c’était mes potes. On mangeait les uns chez les autres ». Jean-Marc Aué, dit Tchik-Tchak, était l’un d’eux. L’évocation de son ancien partenaire semble le remplir de joie : « C’était un équipier modèle, sur lequel tu peux toujours compter. En dehors, c’était un peu le père peinard, qui ne se prend pas la tête, fiable en amitié, toujours un peu déconneur. À l’apéro, il fallait toujours faire des jeux ! ». Une dualité tout à fait compatible pour l’ancien Biterrois : « À Béziers, on était de grands enfants. Mais tout en étant sérieux et concentrés pour gagner. Et ça, c’est tout Jeff ». Michel Dieudé abonde dans ce sens : « Il était également important pour lui de faire des choses en dehors du terrain. Il organisait par exemple chaque fin d’année une fête chez lui ».

L’homme qui murmurait à l’oreille de Dourthe Alain Hyardet lui-même appréciait ces initiatives : « C’était un leader de 3e mi-temps. Il considérait que puisqu’on travaillait

ensemble, il fallait se divertir ensemble. Il avait un rôle important, c’était un catalyseur. C’était par exemple le seul à maîtriser Dourthe. Je ne sais pas ce qu’il lui disait mais il y arrivait. Quand ça n’allait pas, il savait prendre les joueurs entre quatre yeux. Il savait faire la part des choses ». L’homme fuit pourtant les honneurs. Et même parfois les protocoles, comme les cocktails officiels d’après-match auxquels il préfère la buvette tenue par son ami Éric Santa. L’idylle biterroise ne durera pourtant que trois saisons, en partie à cause du licenciement de Hyardet. Désireux de se rapprocher de ses Landes natales, il pose ses valises à Colomiers pour une saison galère où s’enchaînent le décès du président Bendichou et la rétrogradation sportive puis administrative du club. Un an plus tard, alors qu’il est sur le point de rejoindre la Section Paloise, il reçoit un appel de Jean-Michel Rancoule, chargé du recrutement du Stade Toulousain. S’il brûle d’envie d’évoluer, enfin, dans un club susceptible de lui faire toucher le Brennus, il se demande néanmoins quelles sont les intentions véritables du club à son égard : « Il était surpris qu’on s’intéresse à lui. Il a fallu le convaincre que ce n’était pas un bouche-trou et qu’il pourrait devenir un rouage essentiel du groupe ». Nathalie se souvient néanmoins qu’il ne va pas lui falloir longtemps pour se décider : « Pour lui, rejoindre le Stade Toulousain, c’était la consécration. Il voulait tellement être champion de France… ». Pour y parvenir, il s’astreint à un régime inédit : un été sans fêtes de Dax et Peyrehorade. « Le préparateur physique nous avait donné un programme à suivre pendant les vacances. J’avais essayé de le tenir mais c’était trop dur. À mon arrivée à Toulouse, Jauzion m’a avoué que personne n’y arrivait ! Tout le monde s’est fichu de moi, mais je me suis quand même retrouvé dans le groupe de Clerc. Mais j’étais en surrégime. » L’adaptation à sa nouvelle équipe va se faire en un temps record. Bénéficiant de la blessure de Michalak en début de saison, il enchaîne les rencontres, et malgré les performances en demi-teinte des rouge et noir, se montre très vite indispensable. Yannick Bru, alors capitaine du Stade Toulousain, se souvient : « Il a d’abord beaucoup observé, dans l’ombre de Michalak. Très rapidement, tout le monde s’est aperçu de sa fiabilité, de sa bonne humeur. Il s’est imposé comme un maillon fort du vestiaire. Il ne jouait pas du tout pour lui mais pour l’équipe. Même s’il n’était pas le plus doué, il rassemblait beaucoup autour de lui ». Un taulier du vestiaire à cette époque va même plus loin : « Michalak avait beau être la coqueluche du club, les joueurs, en 2006,

avaient envie de jouer avec Jeff parce qu’il avait un rôle de sage, de régulateur ». Yannick Jauzion, son partenaire au centre de l’attaque toulousaine, confirme : « Il était très apprécié par le groupe. Sur le terrain, il jouait de manière simple et efficace et en dehors, c’était un bon vivant dont la compagnie était unanimement appréciée ». Comme à Béziers, il convertit une partie du vestiaire au Barbu, ce jeu de carte où hasard et stratégie s’entremêlent.

La rencontre avec le maître Ses qualités n’échappent bien évidemment pas à Guy Novès : « C’était un joueur avec qui tout le monde rêvait de jouer. Ce qui m’a toujours plu chez lui, c’est sa réflexion, le fait qu’il cherche à améliorer le système. Ce n’était pas un type spécialement doué, mais il a été d’une grande efficacité grâce à son intelligence et son travail ». Dubois, de son côté, estime avoir rencontré le maître : « En trois saisons, je n’ai jamais eu l’impression que le discours était le même. J’avais le poil qui se hérissait à chaque fois. C’était impressionnant ! ». Une fois encore, la belle histoire ne va durer que trois ans. À 33 ans, Jeff n’est plus tout jeune, et il est temps pour le Stade de

préparer l’avenir. Aussi discrètement qu’il était arrivé, il va s’effacer, sans faire de vagues ni se plaindre. Alors que le Racing 92 flaire la bonne affaire en lui proposant un contrat assorti d’une reconversion, la nostalgie du pays le taraude : « À l’époque de Dax, le Stade Français m’avait contacté mais il était hors de question que j’aille vivre à la capitale ». Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas à Paris, mais à Sceaux que se situe le point de chute, qui plus est à proximité d’un grand parc. Il faudra néanmoins l’approbation totale de Nathalie pour qu’il franchisse le pas : « Il avait peur que cela mette en péril l’équilibre familial. Pourtant, on s’était plu partout. Alors je lui ai dit : “Jeff, dans les Landes, ne t’inquiète pas, on va y rentrer, on va même y mourir !” ». Bien lui en a pris, puisque la greffe Dubois en région parisienne est un succès. Mais après une première saison couronnée d’une montée en Top 14, Jeff perd progressivement sa place en raison de difficultés relationnelles avec Pierre Berbizier, le manager des ciel et bleu. Rien d’étonnant pour Alain Hyardet, son entraîneur à Béziers. « Quand on est clair avec lui, il est facile à coacher. Après, c’est une tête de cochon. Quand il ne veut pas, il ne veut pas. Et le jour où ça ne lui convient plus, il part. » Ce qu’il va faire

un an avant la fin de son contrat. Mais il a préparé son avenir. Depuis son arrivée à Paris, il suit une formation dans l’immobilier, afin d’ouvrir une agence dans le Sud-Ouest. Sauf que la crise de 2009 vient tout chambouler. C’est alors que Grégory Coudol, ancien coéquipier du Racing, lui propose de tâter du cuir du côté de Massy. Le terrain a beau lui manquer (un peu), il n’est pas prêt à rechausser les crampons… du moins pour de la Fédérale 1. Fred Grossy, le manager de Massy, raconte : « Il s’est déplacé jusque chez nous pour nous rencontrer, alors qu’il savait qu’il déclinerait la proposition. Ça en dit long sur le bonhomme. Il nous a longuement écouté ». Heureusement, à Massy, on a de la suite dans les idées. Quelques mois plus tard, les dirigeants reviennent à la charge pour lui proposer, cette fois, de devenir entraîneur. Là encore, il tergiverse : « Il pensait que ce n’était pas son truc », se souvient Grossy. C’est finalement le président François Guionnet qui finit par le convaincre de donner un coup de main. Du côté de Peyrehorade, la surprise est totale : « Autant je voyais bien mes deux fils aînés entraîner, autant Jeff, pas du tout, reconnaît Gaston. Avec lui, on ne discutait jamais d’entraînement. J’avais l’impression que cela ne l’intéressait pas ».

3e mi-temps dans le TGV L’histoire va pourtant s’écrire en lettres d’or. Après une première année où il intervient essentiellement auprès des 3/4 et sur le jeu

au pied, un déclic va s’opérer à Tyrosse en fin de saison. Menés de 30 points à la mi-temps, les joueurs voient leur entraîneur, Morgan Champagne, fondre les plombs. Contraint de prendre la parole, son premier discours d’entraîneur va immédiatement porter ses fruits. Les joueurs vont relever la tête en seconde mi-temps sans toutefois inverser la tendance. Dans la foulée, Jeff décide d’amener le groupe dans un bar qu’il fréquente à Dax. Le management à la Jeff Dubois est né : « Organiser une soirée sur l’instant pour remobiliser tout le monde, faire de la convivialité un élément moteur, c’est exactement les valeurs qu’il prône », explique Grégory Coudol. Après une belle 3e mi-temps dans le TGV dont les passagers se souviennent encore, c’est sans (grande) surprise que les joueurs lui demandent d’entraîner la saison suivante. Avec succès dès la première année puisque, très vite, il transforme une modeste équipe de Fédérale 1 en prétendant sérieux à la montée en Pro D2. En plus de donner de l’ambition, il communique de la joie et de la bonne humeur autour de lui, et surprend le président François Guionnet par sa capacité à « amener les gens à 100 % de leurs possibilités sans élever la voix. Les gens adhèrent à son projet et ont envie de le suivre sans qu’il le demande ». Comme celui de révolutionner le style de jeu de l’équipe en interdisant, par exemple, le jeu au pied sur les premiers matchs amicaux de présaison. Et ça marche ! Mais le sport est cruel et n’épargne pas Massy, en privant l’équipe de montée dans les arrêts de jeu de l’ultime rencontre contre Périgueux.

Le stage de présaison à la feria de Dax Conscient du désarroi de ses troupes, Jeff décide alors de les emmener en stage de présaison à la feria de Dax. Dans les Landes, les joueurs font à peu près tout (canoë, running bike, courses landaises) sauf du rugby. « En 10 ans de professionnalisme, je n’avais jamais vu un stage où l’accent était mis à ce point sur le développement humain ! », raconte Grégory Coudol. Un an plus tard, Massy, en sortant Lille, l’un des favoris du championnat, accède à la Pro D2. La marche est cependant un peu haute pour le club,

qui fait l’ascenseur dans la foulée. Mais les performances de Dubois à la tête de l’équipe francilienne ne sont pas passées inaperçues. Gonzalo Quesada, l’entraîneur du Stade Français, lui rend visite chez lui, à Sceaux. Là où tout le monde aurait sauté sur l’occasion sans hésiter, Jeff hésite : « Il n’a pas cessé de me remercier d’avoir pensé à lui, mais il n’était pas convaincu d’y arriver, raconte Quesada. Ça prouve la qualité de l’homme ». Et puis, il y a la promesse faite à ses joueurs de Massy de rester malgré la descente. Conscients de ce cruel dilemme, les dirigeants s’empressent de lui donner leur bénédiction. « Je l’ai incité à partir. On aurait évidemment aimé le garder, mais une telle opportunité ne se refusait pas », se souvient François Guionnet. « Il était sincèrement abattu de quitter Massy, renchérit Grossy. C’était dramatique pour lui de partir, alors qu’il avait donné sa parole. » À Jean-Bouin, la donne est différente. Habitué à tout diriger à Massy, il doit désormais se fondre dans un collectif dont il n’est pas l’ultime décisionnaire : « J’ai compris au fur et à mesure que j’étais l’adjoint. Je me suis adapté ». Quesada se souvient d’une loyauté exemplaire : « Il a parfaitement respecté nos rôles respectifs, ce qui nous a permis de montrer que l’on était un véritable bloc ». Jérôme Fillol, qu’il a fréquenté en équipe de France A avant d’être sous ses ordres à Paris, va plus loin : « Ils étaient très complémentaires. Jeff était très porté sur l’affect, l’humain. C’est quelqu’un qui donne confiance. Il n’y a qu’à voir l’évolution de Jules Plisson à ses côtés ». Rien de surprenant pour son ancien partenaire dacquois Benoît August : « Il a toujours considéré que pour que les mecs soient bons, il fallait essayer de les connaître et de les comprendre ».

Le chantre de la coolitude Comme à Massy, sa coolitude séduit le groupe. En Fédérale 1 ou en Top 14, la méthode « Dubois » reste la même : « Sa qualité première, c’est qu’il ne dégage pas de stress, il est serein, apaisant, poursuit Fillol. Il peut paraître nonchalant, mais il est très méticuleux avec son petit stylo et son petit cahier sur lequel il note tout. Et puis quand il faut pousser des coups de gueule, il le fait ». Un avis partagé par Pierre Dubois qui met en garde ceux qui auraient tendance à prendre son frère pour un gentil : « Quand il faut dire les choses, il les dit. Il peut avoir le regard noir ». Aussi, pour l’ancien demi de mêlée formé à Toulouse, voir Jeff entraîner est tout sauf une surprise : « Joueur, il avait déjà les mots justes pour ses partenaires, il était patient, à l’écoute ». Au Stade Français, l’apport de Jeff Dubois ne va pas tarder à se ressentir dans les résultats. Après une première saison où l’équipe manque la qualification en H-Cup de peu contre les Anglais


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© C. Delfino


des Wasps, la jeune classe parisienne (Plisson, Danty, Bonneval, Slimani, Camara…) se sent pousser des ailes et réussit l’exploit de rafler le Brennus au nez et à la barbe des grosses écuries du Top 14, en déployant, de surcroît, un jeu attrayant : « Les mecs étaient sur un nuage. On les sentait sereins », assure Dubois. De son côté, les choses s’accélèrent. Avant même la fin du championnat, il est contacté par Guy Novès pour devenir son adjoint en équipe de France : « Au début, j’ai cru que c’était une connerie. Il y avait tellement de prétendants ! ». L’ancien manager du Stade Toulousain est pourtant tout ce qu’il y a de plus sérieux : « Il me fallait quelqu’un qui adhère au projet de jeu et dont l’approche soit plus actuelle que la mienne. Je cherchais également le pendant idéal de Bru qui est un angoissé. Jeff avait l’état d’esprit qu’il fallait. Il est agréable, capable de prendre les choses avec dérision. Avec lui, on ne s’ennuie pas dans la journée ». Son manque d’expérience ? Novès balaie l’argument d’un revers de main : « En deux ans, il a déjà autant de résultats que certains en une carrière. S’il en est là, c’est qu’il le mérite. Il a fait ses preuves à Massy et au Stade Français ».

Pas qu’un bon mec Yannick Bru, enfonce le clou : « Il est humble, mais il a un très gros caractère. À ceux qui disent que Jeff, c’est un bon mec, je leur réponds “Oui, mais c’est surtout un très bon technicien”. Nous partageons la même analyse du niveau international : il faut y réaliser des choses simples à très haut niveau. Et Jeff est un amoureux de ces gestes de base ». Même si l’affect reste toujours sa marque de fabrique : « Il dégage de la simplicité, de l’humanité. Il donne confiance aux joueurs. Il a un fluide qui est précieux dans cet univers, le XV de France, qui est très stressant ». Reste la question que (presque) tout le monde se pose : comment est-il arrivé à se frayer un chemin dans ce milieu dépeint par tous comme impitoyable pour ne pas dire hostile ? « C’est vrai qu’il est atypique, approuve Benoît August. Le rugby, c’est un monde de requins, dur, où il faut savoir faire de la politique. Et Jeff, il n’aime pas ça. » Une réalité à laquelle il est pourtant bel et bien confronté désormais. Non sans mal, selon Bru : « Il s’est, par exemple, rendu

compte que la relation avec les entraîneurs de clubs n’était pas si simple. C’est une sorte de billard à trois bandes dont il ne raffole pas. Mais il faut qu’il en adopte les codes… ». Le principal intéressé ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire gêné. Et de s’excuser : « J’ai fait mon chemin sans rien demander. J’ai l’impression de revivre, en tant qu’entraîneur, mon parcours de joueur. Les choses sont arrivées presque par hasard sans que je ne les anticipe », reconnaît-il tout en avouant vivre au jour le jour. Et le moins que l’on puisse dire est que les confirmations de ce trait de caractère ne manquent pas ! « C’est quelqu’un de simple qui ne se retourne pas l’esprit. Je ne l’imaginais pas à ce niveau-là parce que ce n’est pas dans son caractère de se montrer. Mais son parcours démontre qu’on peut y arriver sans rien demander », s’enthousiasme Michel Dieudé. Son ancien coéquipier Jean-Marc Aué ne dit pas autre chose : « Je l’imaginais davantage entraîner à Peyrehorade qu’en bleu. Ce n’est pas un carriériste. Il n’aurait pas tué père et mère pour y arriver ». Outre l’état d’esprit, ce sont ses méthodes qui le rendent singulier. « Il est très atypique : c’est un entraîneur de feeling, spontané, qui ne connaît pas par cœur les combinaisons et les systèmes, illustre François Guionnet. C’est pour cela qu’il faisait l’unanimité auprès des joueurs. Plus qu’un hyper tacticien, c’est un hyper meneur d’hommes. » Au Stade Français, ce sont deux mondes qui cohabitent avec l’approche anglo-saxonne de Quesada : « On était très logiciels, vidéos, tandis que lui collait son petit dessin avec les exercices sur son petit cahier ». Une chose est sûre : maintenant qu’il a (enfin) goûté aux Bleus, il ne boude pas son plaisir. « Quand je vois ce que c’est, j’aurais aimé le vivre en tant que joueur, concède-t-il. Au niveau de la vitesse, de l’intensité, des déplacements, c’est vraiment le très haut niveau. »

Pourquoi pas la Coupe du monde ? Pour Fred Grossy, invité à dîner chez les Dubois le soir où Novès lui a annoncé son choix, il mesure bien sa chance : « C’est d’autant plus incroyable qu’il n’a jamais été capable de se vendre. Jeff, c’est pas le genre à débouler dans ton bureau pour négocier un contrat ! ». Sinon que cette fois-ci, l’animal n’a pas l’intention de laisser passer cette opportunité : « L’équipe de France, c’est du bonus. Mais plus le temps passe, plus je me dis qu’il ne faut pas gâcher. J’ai envie de transformer cette aventure en truc exceptionnel et que l’on réussisse ». Au point d’envisager la victoire en Coupe du Monde dans trois ans. Peut-être pour montrer qu’il mérite sa place. Plus sûrement parce que l’homme est un gagneur. Partout où il est passé, il a laissé le souvenir de quelqu’un qui déteste perdre : « Ce n’est pas un doux rêveur à la Charvet ou Maso, explique par exemple Thierry Ferran. Je pense que ça doit commencer à le gonfler cette situation ». Et si ce beau conte venait à s’arrêter ? Personne dans son entourage ne semble s’en inquiéter : « Je ne sais pas comment il fait pour être aussi cool, confie Fred Grossy. S’il devait faire autre chose que le rugby, l’édifice ne s’écroulerait pas ». « Si tout s’arrêtait demain, il le vivrait bien, car rien ne s’est passé comme prévu », confirme Nathalie. Son père, de son côté, se réjouit de voir que le sport est resté un dérivatif : « Je suis même étonné qu’il soit arrivé si loin, parce que le rugby n’est pas

primordial pour lui. Il pourrait tout à fait faire autre chose ». Le principal intéressé n’est pas loin de penser la même chose. « À 16 ans, reconnaît-il, je n’imaginais pas une seconde vivre un jour de ma passion. Alors entraîner le XV de France… » Tel est Jeff Dubois : faux dilettante, optimiste véritable, et doué comme personne quant il s’agit de surfer sur le hasard et de saisir les opportunités. Des talents qui ont fait de lui une figure atypique de l’Ovalie, et un joueur de Barbu redoutable.

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