Tout amateur de polars qui aime à se faire peur avec les histoires des autres finit un jour par s’interroger sur la fabrique du suspense et les méthodes mises en place par leurs auteurs préférés pour élaborer des scenarii toujours plus surprenants. C’était le cas de Franck Thilliez. Avant d’écrire, il adorait se faire peur. « J’ai toujours regardé énormément de films policiers et d’horreur. J’étais fasciné par les frissons qu’ils suscitaient. » Puis, les énigmes qu’il résolvait face à son écran de télévision ou en dévorant des polars ont fini par lui donner l’envie d’écrire ses propres histoires. « Celles que j’imaginais étaient sûrement un mélange de tout ce que j’avais pu lire et voir. »
Quand je passe une heure avec des professionnels, c’est comme si je lisais un livre de 500 pages.
Céline Denjean, elle, trouve l’inspi-ration dans le monde réel. « Mes histoires peuvent être tirées de faits-divers. Le bon sujet, c’est celui qui revient sans cesse en tête. Celui qui interpelle, qui interroge. » Tous deux ne mènent des enquêtes que dans leurs romans. Si Céline Denjean a une formation d’éducatrice spécialisée, Franck Thilliez a quant à lui suivi un parcours scientifique. De quoi comprendre la psychologie humaine ou flirter avec des sujets tels que le don d’organe et les épidémies. « Cette première carrière me sert tous les jours, explique l’écrivain. Mon esprit scientifique me permet de résoudre des problèmes et de construire des histoires complexes. Sans les sciences, je n’aurais jamais commencé à écrire. »
La traque numérique
Le secret de la Toulousaine tient, lui, en un mot : internet. « C’est un outil de recherche formidable. Je comprends les procédures sur les sites officiels, et en quelques clics, je peux trouver des témoignages. » Pour ce qui est des « pratiques officieuses », Céline Denjean reconnait se faire aider par des flics retraités. « Mais ce n’est pas systématique. Pour mon dernier roman par exemple, mes recherches se sont limitées au web. » Et quid du grand méchant de l’histoire ? Est-il lui aussi inspiré par la toile ? « Je n’ai jamais rencontré de criminel, avoue-t-elle. Mais j’ai lu beaucoup de livres sérieux sur la criminologie qui me permettent de construire une personnalité, d’imaginer sa trajectoire, ses motivations. » Faute de connaissances dans la police, Franck Thilliez, l’écrivain aux 18 polars, a lui aussi fait du net son meilleur ami. « Un auteur peut raconter la même histoire en se documentant sur le web ou en rencontrant des experts. La seule différence se joue dans les détails, mais 95 % de mes lecteurs ne sont pas des spécialistes. »
S’il s’est documenté sur la toile pour ses cinq premiers romans, l’auteur enquête désormais sur le terrain. « Quand je passe une heure avec des professionnels, c’est comme si je lisais un livre de 500 pages », admet-il. Soucieux du détail, il se rend aussi sur les lieux pour s’imprégner de l’ambiance et « prendre la température ». Mais pour la Toulousaine Céline Denjean, quelle que soit la méthode de travail, l’important réside dans le réalisme : « Si le livre est bon, le lecteur doit le refermer en se disant que tout ce qu’il a lu peut arriver. C’est ça, la magie du polar »
LE POLAR DANS LA PEAU
Avant d’écrire des polars, le Toulousain Olivier Norek traquait les criminels à la P.J. de Seine-Saint-Denis. Une expérience du terrain faite d’enquêtes, de réussites et de doutes, dans laquelle il puise aujourd’hui l’essentiel de ses idées de roman, et qui explique en partie son succès exponentiel. Et si finalement, un polar devait avoir été vécu pour être réussi ?
Qu’est-ce qu’un bon sujet de polar ?
Les bons polars sont ceux qui s’inscrivent dans l’actualité. Les sujets socio-politiques peuvent paraître chiants, mais ces thématiques sont proches des lecteurs, elles les touchent. Pour ne pas ennuyer mon lectorat, j’associe toujours ces sujets à une enquête policière intéressante. C’est le cocktail idéal pour un polar réussi. Grâce à mon expérience de flic, je peux dévoiler certaines réalités. Dans mon premier roman Code 93, je parle du trafic des chiffres de la criminalité. Dans Territoires, je reviens sur les relations entre politiques et délinquants. Et dans Surtension je montre l’état catastrophique des prisons en France.
Avez-vous procédé de la même manière avec votre dernier livre ?
Le sujet d’Entre deux mondes m’est venu en regardant BFM TV. Les propos des journalistes étaient anxiogènes et j’ai commencé à avoir peur, à me demander ce qu’on allait faire de tous ces migrants. La base des phobies est l’ignorance, alors j’ai décidé d’écrire sur la jungle de Calais. Je veux proposer des sujets qui mènent à la réflexion tout en conservant un support populaire. C’est comme si on ressortait un peu moins con d’une séance de blockbuster américain.
Comment vous préparez-vous à l’écriture d’un polar ?
Je peux consacrer une année entière à mes recherches. Dans un premier temps, je dégrossis le sujet via Internet puis je rencontre les spécialistes qui peuvent me documenter. Dans ces métiers, les individus et les habitudes changent. Je dois toujours renouveler mes enquêtes pour préparer un roman. Lors d’une mission en ex-Yougoslavie, j’ai réalisé que j’avais besoin de comprendre les sentiments, de connaître les lieux et de vivre les événements pour les écrire. Pour Entre deux mondes, j’ai pris mon sac à dos et je suis parti vivre plusieurs semaines dans la jungle de Calais pour comprendre la situation et les enjeux. Tout ce que les lecteurs peuvent lire dans le roman est réel : les relations entre Calaisiens et migrants, leurs histoires, leurs parcours… Je n’ai rien caricaturé ni fantasmé. La seule part de fiction réside dans mes personnages et leurs relations.
Ce qui me terrifie, c’est de savoir qu’un assassin peut tuer la veille et préparer le petit déjeuner de sa fille le lendemain matin.
Comment construit-on un bon méchant de polar ?
J’ai passé 18 ans à traquer des meurtriers, des violeurs, des kidnappeurs et des cannibales. Ce sont soit des gens normaux qui ont vrillé, soit des malades qu’il faut soigner ou des connards qu’il faut enfermer. Dans la réalité, le serial-killer super intelligent n’existe pas. Un auteur qui n’y a pas été confronté fera de son personnage d’assassin un fou qui mange des intestins et qui danse la nuit avec le visage d’une nana parce qu’il cherche à faire peur. Moi, ce qui me terrifie, c’est de savoir qu’un assassin peut tuer un soir et, le lendemain, préparer le petit-déjeuner de sa fille. Ce qui me terrorise, c’est de savoir que ces monstres peuvent être impliqués dans la société et peuvent nous ressembler. Dans mes romans, j’essaie de ne pas tomber dans la caricature. Je crée des criminels les plus humains possible parce que j’ai passé des heures en garde-à-vue avec eux.
Pour nous, lecteurs, les enquêtes de police sont des puzzles excitants qui se résolvent en quelques centaines de pages, et les policiers des acharnés qui consacrent leur vie à leur métier. Qu’en est-il en réalité ?
Une enquête se déroule exactement de la même manière que dans mes livres. En France, le taux d’élucidation, qui dépasse les 80 %, est l’un des meilleurs au monde. Aux États-Unis par exemple, il est de 25 %. La plupart des homicides sont résolus en une semaine, mais une investigation peut tout aussi bien durer des années. Plus une enquête est complexe et affreuse et plus nous sommes motivés. Le coup de l’affaire difficile qui nous donne envie de tout plaquer pour rentrer écouter du jazz et boire du whisky, c’est bon pour la télé. Les flics sont des chiens enragés qui peuvent passer des jours sans dormir pour résoudre une affaire. L’abandon de poste est une situation que je n’ai jamais rencontrée.
Finalement, la recette pour écrire un bon polar n’est-elle pas d’avoir été policier ?
Lorsque Code 93 est sorti, je ne m’attendais pas à connaître un tel succès. Il y a tout de même 1 500 polars qui sortent chaque année en France ! Pourquoi-a-t-il marché ? Je n’en sais rien. Une chose est sûre, je suis un très mauvais inventeur. Donc je dois me servir de mon quotidien de policier pour nourrir mes romans. J’ai travaillé sur certains meurtres de Code 93. Les violences urbaines de Territoires sont tirées de mon vécu. Et dans Surtensions, 100 pages sont consacrées à un enlèvement avec demande de rançon sur lequel j’ai enquêté. Si je ne vis pas toutes ces expériences, le lecteur le ressent.
Dans vos romans, le Capitaine Coste évoque le problème de la frontière entre vie professionnelle et vie privée. Comment vous protégez-vous des affaires difficiles ?
Une enquête sur le suicide d’une adolescente a été le déclic. Après avoir passé des heures à consoler les parents, nous nous sommes rendu compte que le père était l’auteur du meurtre. Cette affaire m’a permis d’avoir un mojo que je reprends dans mes livres : « C’est pas tes proches, c’est pas ta peine ». J’ai compris que j’étais policier, pas psychologue. Les émotions ne doivent pas parasiter mes réflexions. Pour déconnecter, nous devons apprendre à oublier les victimes pour ne pas qu’elles deviennent nos fantômes.
Comment parvenez-vous à chasser les fantômes ?
J’oublie avec la musique, la lecture, le poker ou les séries télé. Il faut surtout se dire que ce n’est pas de notre faute. Ma seule responsabilité est de trouver l’auteur des faits. Après, je fais mon héros avec mes grands discours, mais j’ai aussi mes fantômes. Même si mes techniques m’ont permis de ne pas en avoir 300 comme cela devrait être le cas après 18 ans de police, il y en a bien une petite dizaine qui rodent…
Festival Toulouse Polars du Sud. Du 12 au 14 octobre, dans divers lieux.
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