Yann Frisch, vous êtes de 1990. Une génération qui a grandi avec Harry Potter. Ne serait-ce pas plus simple si vous disposiez, comme lui, de véritables pouvoirs magiques ? J’ai lu Harry Potter, c’est vrai, mais je ne l’ai jamais envié. Et je n’ai jamais rêvé non plus d’avoir des supers-pouvoirs. Ceux de Superman, Spiderman et autres m’ont toujours semblé sans intérêt. Quand j’étais petit, mes héros n’avaient rien de magique. Je préférais Zorro, et surtout les pirates. Ça oui ! Les pirates, c’était mon truc.
Vous faites partie des inventeurs de ce qu’on appelle « la magie nouvelle ». Qu’est-ce qui la distingue de celle de vos prédécesseurs ? Cette histoire de magie nouvelle, c’est un peu comme les écoles en peinture ou en littérature. C’est une façon de souligner l’évolution du genre, mais ça ne veut pas dire qu’on se construit contre nos prédécesseurs.
Pouvez-vous tout de même nous dire de quoi il s’agit ? La magie nouvelle, c’est considérer la magie non pas comme un outil, mais comme un langage artistique. C’est l’utiliser pour donner sa vision du monde. Cela suppose qu’on s’affranchisse du répertoire classique et des codes traditionnels, et qu’on interroge de nouvelles formes. Ça n’aurait pas de sens, par exemple, de questionner le tour de la femme coupée en deux : tout le monde sait à quoi s’en tenir avec ce genre de classiques. L’autre élément important, c’est la transdisciplinarité. J’aime quand les frontières entre les arts et les disciplines disparaissent. Je suis d’ailleurs très friand du music-hall pour ces raisons. Si c’était à refaire, j’aimerais vivre à l’âge d’or dumusic-hall. C’est mon petit côté Dany Brillant ! Mais bien que je m’identifie à la magie nouvelle, je ne cherche pas à l’incarner à tout prix. Et d’ailleurs, Le paradoxe de Georges, le spectacle que je prépare en résidence à l’Usine depuis octobre, est tout ce qu’il y a de plus traditionnel.
Le camion-théâtre en construction dans le hangar de l’Usine
De quoi s’agit-il ? C’est un hommage au statut de magicien. J’y parle de ce que je trouve beau dans la tradition, et je fais de mon mieux pour m’en montrer digne. Il y a longtemps que je voulais créer un spectacle de magie uniquement avec des cartes, pour faire voyager les gens avec quelques morceaux de carton imprimé…
Le public de ce début de xxie siècle, habitué aux effets spéciaux bluffants du cinéma, aux robots, aux voitures sans chauffeurs etc., n’est-il pas difficile à émerveiller sur scène ? La magie a toujours accompagné et anticipé le progrès technologique. L’essentiel est de se tenir au courant et de garder un coup d’avance sur ce que le public croit réalisable avec la technologie. Ce qui est sûr, c’est que plus le progrès va vite, et plus il est difficile à suivre !
Le progrès pourrait-il un jour rendre les magiciens obsolètes ? Jamais de la vie. L’important dans un spectacle de magie, ce n’est pas ce que les gens savent, mais ce qu’ils sont prêts à croire. J’ai même la sensation que plus la technologie avance, et plus le besoin de réenchantement du monde est grand. Quelle que soit l’époque, on a toujours besoin d’un espace où le mystère puisse s’installer. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’avec L’Absente, ma compagnie, on a construit pendant cette résidence un camion-théâtre pensé pour donner des spectacles de cartomagie sans avoir recours à la vidéo.
C’est-à-dire ? Quand les spectateurs sont trop éloignés de la scène, on retransmet habituellement en direct sur grand écran les mains du magicien qui manipule les cartes. Souvent, en regardant l’écran, le public croit voir des trucages ou des coupures… qui n’existent pourtant pas ! Le camion-théâtre est conçu pour que l’ensemble du public (89 places) soit aux premières loges et profite du spectacle sans passer par l’intermédiaire désagréable et trompeur de l’écran.
Pourquoi un camion ? D’abord parce qu’on rêvait d’un théâtre à nous, ensuite parce qu’on espère rencontrer un public plus large dans les lieux excentrés où ce genre d’engins sont généralement autorisés à s’installer, et enfin, pour étancher notre soif de nomadisme.
Qu’attendez-vous de cette vie itinérante ? Des problèmes et des aventures. Aller de salle en salle, c’est bien, mais ça peut vite être tout le temps la même chose. Parcourir les routes dans un semi-remorque, se poser sur des parkings et jouer devant la population qui se présente, c’est l’assurance de ne pas vivre deux jours qui se ressemblent
Le Paradoxe de Georges, le 13 mars à 20h à l’Usine (Centre national des arts de la rue) à Tournefeuille