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BOUDU

Le pari de Pascal Dupraz- TFC

Pascal Dupraz, on dit que, non content d’avoir sauvé le TFC de la descente en Ligue 2 la saison dernière, vous avez, avec votre franc-parler, sauvé la ligue 1 de l’ennui. Était-ce volontaire ?

Ce n’est pas une posture. Je travaille sans filet. Je ne réfléchis pas à l’impact de mes propos. Je m’efforce de rester naturel, parce que rien n’est aussi naturel que le football. Il faut bien comprendre que je ne dis rien à la presse à propos de qui que ce soit, que je n’aie déjà dit aux principaux intéressés.

Un entraîneur qui communique, qui donne son avis, qui polémique, qui joue la transparence et ne se paie pas de mots, on n’est pas trop habitués à Toulouse… Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ?

À dire, oui. À entendre, je ne suis pas sûr. Peu à peu, j’apprends à mettre les formes. Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est de rester honnête. Je ne supporte pas le manque d’honnêteté. Ça me met hors de moi. C’est pour ça que, par exemple, je m’emporte contre Luis Fernandez. Il s’est occupé de me faire dégager de mon ancien club, Évian-Thonon-Gaillard, pour lequel j’ai sué sang et eau avec tant d’autres pendant 25 ans. Tout ça pour devenir le conseiller sportif du président qui m’a viré. Et il vient dire aujourd’hui qu’il n’a aucune responsabilité dans le dépôt de bilan du club ?! Alors évidemment, il a une dent contre moi parce que j’ai dit que c’était un analphabète. Ce n’est pourtant pas faux. La preuve, donc, que toutes les vérités sont bonnes à dire, mais pas à entendre.

D’où vous vient ce sang chaud ?

Certainement de mes racines savoyardes et de mon milieu d’origine. Je suis fier d’être savoyard. Je connais l’histoire de la Savoie, son annexion par la France en 1860. C’était hier ! Ça me prend aux tripes quand j’y pense. D’ailleurs, toutes les formes de régionalisme m’émeuvent. Quand j’arrive à Toulouse et que, sous le panneau indiquant l’entrée de la ville, je lis Tolosa, ça me fout des frissons.

De quel milieu êtes-vous issu ?

Mon grand-père était maquignon. Il faisait le commerce de chevaux de trait et de bêtes pour la viande. J’étais ébloui par ce personnage. Il tâtait la graisse, regardait les dents… Il était capable d’estimer combien une bête sur pied faisait de viande, à 5 kilos près. C’était incroyable. Et contrairement à la sale réputation que trainaient les maquignons, il n’a jamais volé les paysans.

Vos parents ?

Mes parents avaient à peine 20 ans de plus que moi. Ça a influencé mon parcours de vie. J’ai toujours vu mon père comme un frère. Enfant, j’étais amoureux de ma mère parce qu’elle était belle et qu’elle était jeune. J’ai idolâtré mes parents et mes grands-parents. Pourtant, j’ai quitté mes montagnes et ma famille à 14 ans pour rejoindre le centre de formation de Sochaux. Qu’est-ce qu’ils ont pu me manquer… Je ne rentrais que deux fois par ans. Si vous saviez le nombre de fois où j’ai eu envie de faire le mur et de ne jamais revenir…

Pourquoi avoir choisi le football si jeune ?

J’étais un enfant modèle qui travaillait bien à l’école. Une seule chose comptait pour moi : faire plaisir à mes parents. Mon père était footballeur. À 20 ans, dans les années 1960, il a joué la coupe d’Europe avec le Servette de Genève. Par mimétisme, j’ai voulu jouer au foot.

Et votre mère ?

Elle rêvait que je devienne pilote de chasse. Alors quand je lui ai dit que je voulais être footballeur, elle a pleuré. Il faut dire que j’étais plutôt bon élève. J’ai fait 1ere S et terminale C, parce que c’était la voie pour être pilote de chasse.

Quid de vos talents de footballeur ?

J’étais international minime. 20 clubs pro ont écrit à mes parents alors que je jouais dans mon petit club de village. Ils ont choisi Sochaux parce que c’était une des rares écoles de formation où on m’assurait de passer le bac.

Quel regard portez-vous sur votre carrière de footballeur ?

Une carrière honnête de footballeur pro. J’aurais pu faire mieux… ou pire. À 30 ans j’ai décidé d’arrêter parce que mes parents avaient juste 50 ans, et que, pour la première fois, j’ai vu que ma mère avait vieilli. J’ai dit à ma femme qu’il fallait que je rentre chez moi pour être auprès d’eux.

Pour quelle reconversion ?

Mon idée était de travailler dans la boîte familiale. On faisait dans la micromécanique pour l’industrie. On servait Airbus, l’automobile, la médecine. Et puis le hasard a voulu que je rencontre un type qui dirigeait le FC Gaillard, un petit club de foot à la frontière suisse. Il m’a dit : « Viens jouer chez moi et je te trouverai un job à Genève, aux Nations unies ». Je lui ai répondu « Ah bon ? Qu’est-ce que j’irais foutre à l’ONU ? Y’a que des sommités là-bas ! » Quelques mois plus tard j’entraînais le FC Gaillard et je travaillais à l’ONU, au Haut Commissariat pour les Réfugiés, tout en bas de l’échelle. J’en suis ressorti 20 ans plus tard avec une trentaine de personnes sous ma responsabilité.

Que retenez-vous de cette expérience au HCR ?

D’abord la satisfaction d’être capable de faire autre chose que du foot. Ensuite la fierté d’avoir côtoyé des gens de valeur, passionnés, dévoués à la cause des réfugiés. Je n’en serais pas parti si le FC Gaillard n’avait pas atteint de bonnes divisions, ce qui me prenait beaucoup de temps.


TFC Dupraz

Le TFC est donc le premier club que vous entrainiez sa

ns l’avoir mené des divisions amateur jusqu’en Ligue 1… Pourquoi avoir accepté ?

J’ai toujours pensé que le TFC était un beau club. Quand j’entraînais l’ETG, je citais souvent en exemple sa longévité en ligue 1. Et puis j’ai vu tout de suite que le président Sadran était une personne foncièrement honnête. J’ai su qu’il ne me mentait pas quand il m’assurait que le groupe avait un bon état d’esprit, qu’il travaillait bien et qu’il n’y avait pas de têtes de con.

À votre arrivée en mars dernier,le TFC était promis à la relégation. Vous sembliez alors être le seul à croire à son maintien.

J’y ai cru, d’emblée. C’était mathématique : on était plus forts que nos concurrents directs. Et puis, d’aucuns disent que j’étais habité… C’est possible. Au départ, j’étais le seul à y croire, mais tout à coup, alors qu’on remontait dans le classement, j’ai vu passer un truc dans les yeux du président Sadran. J’ai vu que dans son for intérieur il se disait : « Eh ben merde alors… il va vraiment y arriver ! » C’était bon signe… Je guettais ses réactions. C’est un homme intelligent, hors norme. Tout sauf neutre. On n’accomplit pas ce qu’il a accompli dans sa vie professionnelle quand on n’a pas de capacités hors norme.

Comment expliquer qu’il soit si peu compris par le public et les observateurs ?

Ça commence à me gonfler d’entendre dire à Toulouse que Sadran ne fait rien pour son club. Des ronds, du temps, de l’énergie, de la passion, il en met ! Mais cette incompréhension, c’est de sa faute. Et je le lui ai dit. Il ne communique pas. Il dit qu’il n’aime pas se voir à la télé. D’abord il n’est pas obligé de se regarder, et ensuite je ne vois pas le problème ! Il est plutôt agréable à regarder, non ? Il ne lui manque pas un œil. Il n’a pas juste une dent tous les six mètres…

Vous pensez qu’il a envie de rêver avec vous ?

Je ne rêve pas. Je me dis qu’un club comme Toulouse doit remporter des titres. Vous vous rendez compte, c’est la 14e saison consécutive en ligue 1. Rares sont les clubs sur la ligne de départ cette saison qui ont réussi cet exploit. Donc, le rêve n’a rien à voir là-dedans.

Quels objectifs vous a-t-il fixé pour cette saison ?

Aucun objectif précis, si ce n’est de faire mieux que l’année dernière. De mon côté, j’ai appris que le dernier titre du TFC, une coupe de France, date de 1957. J’aimerais bien que, 60 ans après, le TFC vive une finale de coupe nationale. Ça aurait de la gueule.

Vous paraissez complètement galvanisé par cette aventure sportive…

J’aime ça. J’aime le collectif. Mon moteur c’est cette passion, c’est la rencontre, c’est m’occuper d’une trentaine de personnes, de leur envoyer suffisamment de confiance et d’amour pour qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Les joueurs du TFC sont des gens biens. On peut faire de belles choses ensemble.

Vous dites beaucoup de bien de vos joueurs, de leur comportement, de leur attitude. Comme si vous vouliez modifier la mauvaise image que renvoient généralement les footballeurs… 

À mon arrivée au TFC, j’ai dit aux joueurs : « On n’arrête pas de cracher sur notre métier, et je trouve que c’est injuste. On dit que vous êtes des abrutis, et je sais que ce n’est pas vrai ! Mais les premiers responsables, c’est vous. Les gens pensent que vous êtes inhumains, que vous crachez à la gueule de tout le monde sous prétexte que vous gagnez des ronds et que vous passez à la télé. Que vous n’avez pas de cœur. Mais bon dieu, c’est insupportable d’être perçus comme ça alors que vous êtes tout le contraire ! Montrez que c’est l’inverse ! Sortez vos casques des oreilles, soyez à l’écoute du gamin qui vous tend un poster. Enlevez votre casquette en saluant les gens ! Soyez sympas avec le public, il vous le rendra au centuple. »

Comment les joueurs ont-ils réagi ?

Le groupe était à l’écoute. D’autant plus qu’auparavant j’avais fixé les nouvelles règles de travail : entraînement à 9h30 et fermeture du portail à 8h15. Pas la peine d’escalader ou de téléphoner. Les retardataires restent dehors. Moi, je suis pugnace et j’aime installer de bonnes conditions de travail. J’imagine qu’ils se sont dit : « Il rigole pas celui-là. Mais qui c’est ce con ? » Mais ils ont pigé le fond du message. Vous savez, on se trompe sur le compte des joueurs de foot. La proportion de bacheliers chez les jeunes issus des centres de formation des clubs de foot est supérieure à celle des autres sports. Les footballeurs sont bien plus intelligents et instruits qu’on croit.

Chez nous, dans le Sud-Ouest, on attribue plus facilement ces valeurs d’humilité et de bonne éducation au rugby qu’au football… 

Le rugby, j’adore ça. Je reconnais que les rugbymen sont plus forts que nous pour vendre leur soupe. Pourtant, des incivilités, chez les rugbymen, y’en a autant qu’au foot. Leur chance, c’est que chez eux il est permis de s’envoyer des pêches dans la gueule. Mieux, ils peuvent se marcher dessus et s’envoyer des coups de casque. Tout le monde applaudit, l’arbitre sépare les mecs et on n’en parle plus. C’est incroyable la chance qu’ils ont. Amusez-vous à mettre des coups de casque sur un terrain de foot. On va vite vous traiter de voyou.

Les fameuses valeurs du rugby semblent vous laisser perplexe… 

C’est pas ça, mais il faut reconnaître certaines choses. Je suis allé voir deux fois le Stade cette année. J’étais dans les tribunes… de privilégiés… là où personne ne paie sa place. Eh bien, là, les gens sifflaient le Stade. Et c’est partout pareil. À Toulon (je suis allé y voir un match récemment parce que ma femme est Toulonnaise) ils ne sifflent pas leur équipe, mais les valeurs du rugby c’est pour eux, pas pour l’adversaire. Vous voyez ? C’est une question de solidarité. Le monde du rugby est plus solidaire, plus protecteur que celui du football.

D’où cette envie de protéger et de défendre vos joueurs… 

Possible.

On dit d’ailleurs de vous que vous êtes un meneur d’hommes, et on parle peu de vos compétences tactiques. Vous pensez en avoir ?

L’essentiel c’est de savoir ce qu’on vaut. Le soir du maintien, Sadran m’a dit : « On parle de tes causeries et de ton management, mais pour avoir assisté à 10 mi-temps de match depuis ton arrivée, j’ai été bluffé par ton approche tactique. » C’est un beau compliment. Alors, bien sûr, on m’a catalogué parmi les entraîneurs qui font tout à l’émotion… J’accepte la définition, mais, entre nous, il ne suffit pas de dire « bouge-toi le cul » à onze gars pour gagner des matchs de foot.

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