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Les aventuriers de l’érotisme

En cette fin de week-end férié du mois de mai, la douceur de la température est une incitation à profiter jusqu’à l’extinction des derniers rayons de soleil, si rares à Toulouse depuis le début du printemps. Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Certains ont rendez-vous au Bakélite, agence de design sise rue de la Descente de la Halle aux Poissons. Coincé entre Garonnette et Pont Neuf, le lieu, connu pour avoir hébergé la GHP (galerie de la Halle aux Poissons), accueille ce soir une conférence organisée par l’École de Capucine. Créée en novembre dernier par la sexologue Capucine Moreau, cette école, aussi surnommée École du désir, gagne des adeptes mois après mois. « L’érotisme, annonce d’emblée Capucine Moreau, ce n’est pas inné, c’est un art qui s’apprend, qui s’explore, qui se partage, se cultive. » Sans tenir de compte précis, elle estime à plus d’une centaine le nombre de personnes ayant testé le concept. Ce soir, ils sont plus d’une vingtaine à avoir déboursé 25 euros pour participer.


Un tiers entre soi et sa moitié Dans un espace aménagé avec soin, où l’amour immodéré des propriétaires pour les vide-greniers transpire dans la déco comme dans le mobilier, tout est mis en œuvre pour mettre à l’aise le visiteur du soir et créer une ambiance propice à l’échange et à la confidence. Musique calme et envoutante, lumière tamisée, petit verre de blanc ou punch pour se détendre… Et se détendre, les convives de Capucine risquent d’en avoir besoin vu le thème proposé ce soir : « nous et l’Autre, ou une réflexion sur l’ouverture au tiers dans le couple ». Vaste programme. Est-ce la raison des regards fuyants, voire gênés des participants à leur arrivée ? Toujours est-il que c’est dans un silence musical à peine troublé par une discussion entre trois individus qui, manifestement, se connaissent déjà, qu’arrivent, au compte-goutte les élèves de l’École de Capucine.

On hésite à se jeter à l’eau. Ceux qui le font semblent soulagés.

Avec un petit quart d’heure de retard, sans doute histoire de prouver son intégration aux us et coutumes toulousains, la grande ordonnatrice donne le coup d’envoi de la soirée. Face à elle, l’assistance est composée de 10 femmes et 6 hommes (3 couples sont identifiés). Les plus jeunes sont étudiants ; les cheveux des plus âgés sont rares et blancs. Certains participants étant de toute évidence novices en la matière, la conférencière démarre par des considérations très générales sur le couple, « une notion assez vague, qui le plus souvent réunit deux personnes dans un projet commun », sans doute pour n’effrayer personne. Très vite, le public est amené à donner sa définition de l’érotisme. Comme toujours en pareille circonstance, le plus dur est d’être le premier à prendre la parole. Après quelques prudents « pudeur » ou « solennité », un « joie » aussi surprenant qu’inattendu retentit. Juste ce qu’il faut pour laisser éclater les premiers rires, plus nerveux que spontanés.

Consciente de la difficulté d’exprimer des sentiments aussi intimes devant un groupe, la fondatrice de l’école annonce la couleur d’emblée : rien n’est grave dans le couple… à part lorsqu’on laisse les choses se détériorer. « Pour que les gens ne viennent pas trop tard, ce qui est parfois le cas lorsqu’ils franchissent la porte de mon cabinet », justifie-t-elle. Pas question néanmoins pour la sexologue de faire culpabiliser ceux qui ont fait le choix d’unir leurs destins. Mais pas question, non plus, de vivre dans le déni. « Aujourd’hui, le modèle dominant, c’est le couple monogame, exclusif, fusionnel. Ce qui suppose pas mal de casquettes à porter. » Sous-entendu, un peu trop. L’une des pistes envisageables ? L’ouverture au tiers… qui se heurte à une vérité implacable : « il est communément admis que l’infidélité se traduit par une séparation ». À l’évocation de cette issue, un couple, par réflexe, se saisit la main. D’autres prennent des notes. En douceur, nous voilà au cœur du sujet. La prestation de Capucine s’apparente à un numéro d’équilibriste.


On ne badine pas avec l’amour

Avec un sujet aussi sensible, chaque mot est pesé, chaque concept explicité, chaque position respectée. « La possessivité est une preuve d’amour » rappelle-t-elle. Reste que ce soir, il est question d’ouverture au tiers. Et sans vouloir froisser personne, et surtout sans « injonction », il faut bien avancer.

À l’évocation de cette issue, un couple, par réflexe, se saisit la main. D’autres prennent des notes. Nous voilà au coeur du sujet.

Pour ce faire, Capucine propose un plan en cinq parties où, après s’être assuré « d’en avoir envie », on est invité à « dépasser ses peurs », à « jouer érotiquement avec l’Autre » (dans l’imaginaire), à « négocier un accord » avant, enfin, de « traverser le feu ». Ou comment passer de la théorie à la pratique. Avec une précaution : « baser le couple sur des choses conscientes et non des peurs ». Dans l’assemblée, les mines sont songeuses, parfois graves, les regards pensifs, les yeux perdus dans le vague ou absorbés par un point imaginaire à l’horizon.

Bref, l’heure n’est pas à la badinerie. Et lorsque Capucine invite les uns et les autres à s’exprimer, les volontaires, une fois de plus, ne se bousculent pas au portillon. Petit à petit, quelques mots font néanmoins leur apparition, des phrases s’amorcent sans trouver de fin. On hésite à se jeter à l’eau. Ceux qui le font semblent soulagés. L’écoute est là, la bienveillance aussi. Pour l’allégresse, en revanche, il faudra repasser… Pour ne pas laisser s’installer un silence qui pourrait devenir trop pesant, la fondatrice de l’école propose de lever la séance et de poursuivre la discussion de manière informelle, un verre à la main. Ce dont la plupart des participants semble avoir envie. Et c’est ainsi que les premières confidences font leurs apparitions, chuchotées dans l’intimité de petits groupes qui se forment progressivement. L’heure est venue, pour nous, de nous éclipser… 

Un artiste est convié à chaque conférence afin d’illustrer la séance. Sur cette page : des dessins de Sophie Baquié (mains) et de Nicolas Jaoul (intro).

Retrouvez ici notre interview de Capucine Moreau : “Jouir, ça s’apprend” 

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