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Mémoires d’un enfant placé - Rémi BENOIT

Orane Benoit

Depuis une loi de 1978 complétée en 2005, les enfants suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance ont le droit de consulter, à l’âge adulte, l’intégralité de leur dossier conservé aux Archives départementales. Expérience à la fois douloureuse et consolatrice entreprise à la cinquantaine par Rémi Benoit. Ce photoreporter toulousain en a tiré un livre au titre intrigant : Alors, heureux ?


Pourquoi avoir attendu tout ce temps avant d’exercer votre droit d’accès à ces archives ?

Cela faisait bien 10 ans que j’y pensais. J’ai porté le poids d’une enfance difficile toute ma vie. Après le Covid et des problèmes de santé, j’ai traversé de longues périodes de solitude qui m’ont convaincu de franchir le pas. Je pensais que ce serait compliqué, et qu’il n’y aurait probablement rien de conservé.


Votre réaction à l’ouverture du dossier ?

Un choc. Je ne m’attendais pas à trouver autant de choses. Il y avait toute mon enfance : les rapports des assistantes sociales, des courriers entre mes parents, les lieux d’accueil et les assistantes sociales, des tests psychologiques, des bulletins scolaires, des papiers médicaux, des dessins, des photos… et même ma carte de bus de 1979.


Votre réaction à la lecture des rapports des assistantes sociales ?

J’ai été surpris par leur silence au sujet de la maltraitance que j’ai subie. Quand elles me retiraient d’un lieu, elles n’indiquaient pas pourquoi. J’ai l’impression qu’elles n’écrivaient rien qui puisse être reproché à l’Institution. C’est cet écart entre leur version et mes souvenirs qui m’a poussé à écrire.



Qu’attendez-vous de cette publication ?

D’abord de laisser une trace pour mes sœurs et ma fille. Ensuite de donner des pistes de compréhension à ceux que j’ai croisés dans ma vie et qui m’ont peut-être trouvé étrange. Même si j’ai grandi et que je suis mûr, j’ai toujours eu des difficultés à exister. Tu ne ressors pas indemne d’un truc pareil. C’est aussi une manière d’aller vers les autres, de faire comprendre à ceux qui n’ont pas eu ce genre de destin, ce qu’est la vie d’un enfant placé.


Comment avez-vous vécu la phase d’écriture ?

Ça m’a pris presque un an. Je suis photographe et je ne pensais pas savoir écrire. Mais j’ai pris du plaisir. J’écrivais la nuit, chez moi. J’y ai mis beaucoup de soin et j’ai été ensuite accompagné par une spécialiste des récits de vie. Quand il s’agit d’intime, chaque mot doit être pesé.


Avez-vous découvert des choses que vous ignoriez ?

Les documents m’ont surtout aidé à replacer mes souvenirs dans le temps et à les dater. Les rapports des assistantes sociales m’ont aussi renseigné sur ce que l’on pensait de moi à l’époque, à lever les zones d’ombre, à soigner mes incompréhensions. Quand certaines de mes sœurs ont trouvé leur propre dossier, nous avons décidé de consulter celui de nos parents. Eux aussi ont eu une enfance assez merdique. Ça a été une grosse découverte, une clef pour comprendre notre histoire familiale.


Cette découverte a-t-elle changé le regard que vous portez sur vos parents ?

Enfant, je leur en voulais de nous avoir abandonnés, même si c’était malgré eux. Maintenant qu’ils ne sont plus là et que je connais leur histoire, j’ai pardonné.


Quel a été le moment le plus difficile à raconter ?

Les mauvais traitements dont j’ai été victime. Tout ce que je n’avais jamais dit, finalement. Je n’en parlais pas quand j’étais gamin. Une fois adulte, j’ai laissé tout ça de côté pour essayer de kiffer la vie. Mais en vieillissant, ce passé m’est revenu violemment comme un boomerang.


Comment avez-vous, malgré cette enfance douloureuse, trouvé votre chemin d’adulte ?

J’ai été graphiste, directeur artistique, photographe… Le boulot a été ma porte de sortie. Le reste a été plus difficile. Je n’avais pas les ressources nécessaires pour être le mec parfait.


Quel regard portez-vous sur le petit Rémi ?

Je le plains. Et en même temps, comme m’a dit Bernard, un éducateur dont je parle dans le livre : « C’est une histoire riche en rebondissements et en émotions. »


Il y a donc une forme de richesse dans ce vécu ?

J’ai vécu chez des religieuses, chez des ch’tis, dans une ferme et dans des foyers… Je n’en garde pas que de mauvais souvenirs. J’y ai croisé quelques personnes qui ont compté dans ma vie. Certaines m’ont écrit leur émotion après avoir lu le livre, et pour moi, c’est déjà beaucoup



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