Comment expliquez-vous l’engouement des jeunes pour la série ?
Quand on est âgé, on se trouve souvent dépassé par les jeunes. Alors découvrir qu’on peut les intéresser avec nos histoires, c’est assez inattendu. C’est peut-être parce que beaucoup d’entre eux ne parlent pas avec leurs grands-parents de ces sujets-là, et que le fait que ça passe par Internet les attire davantage.
Justement, du haut de vos 94 ans, comment avez-vous vu Internet transformer la société ?
Davantage encore que la télévision, l’informatique et Internet ont été un chamboulement sans précédent, total, et très rapide. Ils ont facilité la tâche de beaucoup de professions – j’aurais aimé y avoir accès quand je travaillais dans les archives de mon imprimerie. Mais Internet fait aussi beaucoup de mal. Les jeunes, par exemple, y exposent toute leur vie alors que pour leur propre bien, ils devraient garder certaines choses pour eux.
Pourtant, vous-même racontez votre vie sur Internet…
Oui, mais c’est mon passé que je raconte. Et ce qu’on peut raconter sur notre enfance et sur la guerre n’a rien de comparable avec ce que les jeunes disent de leur vie de tous les jours.
À part le numérique, qu’enviez-vous aux jeunes d’aujourd’hui ?
Je ne peux pas vraiment dire que je les envie. J’avais 17 ans en 1939. La vie était très difficile, et on n’avait pas le même confort, mais on était heureux. Je ne suis pas sûre que ce soit le cas des jeunes aujourd’hui. Je ne suis pas sûre que la frivolité actuelle et la course à la consommation soient une forme de liberté pour les jeunes finalement.
Comment avez-vous vécu l’avènement de la société de consommation ?
Il ne faut pas tout jeter. L’arrivée des supermarchés, par exemple, a été un vrai progrès, une ouverture à beaucoup plus de choix. Mais notre génération a su rester raisonnable. On n’achetait que le nécessaire. Aujourd’hui, on crée des besoins. Les gens veulent tout, tout de suite, quitte à s’endetter pour une télé. Et puis dès qu’ils ont ce qu’ils veulent, ils s’en détournent, même les plus jeunes. Alors que pour nous, le père Noël, c’était du sérieux ! Et dans cette course à la consommation, tout le monde passe à côté de ce qui compte vraiment.
Qu’est-ce qui compte vraiment ?
Un repas modeste avec des convives qu’on aime rend bien plus heureux qu’un repas luxueux avec des gens avec qui on ne partage rien. Et puis il faut regarder en bas et pas en l’air, prendre conscience qu’il y a toujours plus malheureux. En fait, il ne faut pas en demander trop à la vie, tâcher de se rendre heureux soi-même, et en faire autant avec les autres.
Alors pour vous, en désirant toujours plus, la société actuelle va dans le mur ?
La société évolue de plus en plus vite, et bien trop vite. Parce qu’avancer, c’est bien, mais vers quoi ? Et jusqu’où ?
Devient-t-on forcément réac’ en vieillissant ?
Non, je ne crois pas. Notre expérience fait évoluer notre personnalité, mais on reste profondément la même personne. Pour ne pas devenir réac’, il faut essayer de se mettre à la place des jeunes et prendre conscience que la vie qu’ils ont vécue n’est pas du tout la même que la nôtre.
En prenant de l’âge, vous sentez-vous parfois en dehors de la société ?
Oui. Il y a eu une cassure très nette quand j’ai pris ma retraite. Quand vous quittez votre travail, vous avez la sensation que c’est fini pour vous, que vous ne faites plus partie de la même société que tous les autres. On change de point de vue, un peu en retrait, et on se retrouve en dehors du cœur de la société.
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