Les micro-forêts ont le vent en poupe, notamment dans la région toulousaine. Mais cet engouement inquiète la communauté scientifique, qui dénonce un gâchis de moyens.
« Voilà trois arbres de taille différente que vous allez pouvoir planter avec votre papa et votre maman. Grâce à vous, bientôt, toute une faune va pouvoir venir se nourrir et s’abriter ici ! » Avec le sourire et un brin de solennité, Cendrine, bénévole de Nord-Est toulousain en transition, confie à deux jeunes enfants un trio de plants fraîchement sortis du « pralin », un mélange d’eau, de bouse de vache et de terre du cru. Semblant saisir la charge symbolique du moment, les deux marmots se dirigent prudemment avec leur trésor vers la zone de plantation : une surface de 400 m² située à l’intersection de l’avenue des Tourterelles et de l’avenue de Cornaudric à l’Union. Le site accueille 1200 arbres de 23 espèces différentes, à un rythme soutenu. micro-forêts
Alignés sur les caillebotis qui traversent la parcelle, une vingtaine de planteurs se relaie pour planter, arroser, pailler et ainsi terminer la plantation avant la nuit, et la pluie prévue pour le lendemain. En attendant, le soleil brille, et chauffe… un peu trop même, pour un mois de janvier. Comme s’il fallait donner raison aux planteurs. Car si certains sont venus « pour le plaisir du jardinage » ou « être au contact de la nature », la plupart sont présents pour « l’avenir de nos enfants », « rafraîchir la température de l’atmosphère », « faire quelque chose de concret pour l’environnement », « compenser [leur] empreinte carbone » ou créer « un havre de biodiversité ». Autant de promesses portées par les micro-forêts Miyawaki. Cette méthode, du nom du botaniste japonais à qui elle est attribuée, consiste à réaliser une plantation dense (trois à cinq très jeunes plants par m² sur une superficie de quelques centaines de m²), après une importante préparation du sol. Au bout de trois ans d’entretien léger (désherbage, arrosage), la plantation est considérée comme autonome, évoluant spontanément pour atteindre, selon ses promoteurs, l’aspect proche d’une forêt mature au bout de 20 ans, c’est-à-dire cinq à dix plus vite que ne le ferait une forêt classique.
Campagne de plantation de micro-fôret devant l’école de Jolimont, par le collectif Micro-forêt, branche de Toulouse en Transition
Géants
Depuis quelques années, elle remporte un franc succès en Europe de l’Ouest, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en France, où les projets se multiplient sous la houlette d’entreprises spécialisées comme Urban Forest. Son fondateur, Nicolas de Brabandère, a formé et assisté le collectif micro-forêt de Toulouse en transition dans la plantation en 2020 de la micro-forêt des Géants, première du genre dans la Ville rose. Le collectif a ensuite remporté un appel à projets de la Région, poursuivant ainsi son œuvre. « Une douzaine de micro-forêts a vu le jour dans la région toulousaine, se félicite Eugénie Lacombe, sa coordinatrice. Cela fait 20 000 arbres plantés en trois ans, dont environ 5000 rien qu’à Toulouse. »
Une aubaine pour la municipalité toulousaine et son plan 100 000 arbres par lequel elle incite administrations, entreprises et particuliers à planter avec elle, dans un effort collectif, 10 000 arbres par an. Mais Clément Riquet, élu en charge des espaces verts, reste prudent. « Le Conseil scientifique de la Nature en Ville nous a mis en garde sur la possible fragilité de ces arbres et le pourcentage de pertes qui reste à ce jour mal connu faute de recul suffisant. Aussi, si ces initiatives sont positives et méritent d’être accompagnées par la collectivité qui entend les pérenniser (elle en reprend la gestion au bout de 3 ans, ndlr) cela ne peut pas être la seule solution pour lutter contre les îlots de chaleur. »
En effet, l’une des rares études menées en Europe sur l’efficacité de la « méthode de Miyawaki » fait état de 61 à 84 % de mortalité 12 ans après la plantation. Question de sélection naturelle : soumis à une très forte compétition pour la lumière, certains arbres poussent plus vite… et les autres meurent tout aussi rapidement. Un gâchis de moyens dénoncé par de nombreux scientifiques dont Annabel Porté, chercheuse en écologie forestière à l’INRAE de Bordeaux (voir interview).
11 % de mortalité
L’association Arbres et Paysages d’Autan 31, qui plante à tour de bras bosquets et haies champêtres dans le département, ne déborde pas non plus d’enthousiasme. Elle a toutefois accepté de fournir les plants nécessaires aux différents projets portés par le Collectif micro-forêts. « Nous n’avons pas voulu décourager ces initiatives qui restent positives, explique Alexandra Désirée, chargée d’études et ingénieure en écologie. Nous avons donc accepté d’expérimenter ce type de plantation, à condition de le faire selon nos règles : du plant de pays et une densité de trois arbres par m² au maximum. » Aujourd’hui, l’association préfère prendre du recul : « Il ne faut pas sous-estimer par ailleurs les bénéfices apportés par des prairies ou des haies champêtres, lesquelles sont souvent beaucoup plus pertinentes en milieu rural ou périurbain pour restaurer des corridors écologiques. »
En attendant, un suivi scientifique a été mis en place à l’Université Toulouse III sur une surface de 1000 m² divisée en quatre parcelles indépendantes. Chacune contient une zone témoin en régénération naturelle, et une zone de micro-forêt Miyawaki. « 1600 arbres – plantés par le Collectif micro-forêts – ont été cartographiés et numérotés, explique Christophe Andalo, enseignant chercheur en écologie. On suit leur croissance, on étudie la faune du sol et on compare avec le sol où rien n’a été planté. » S’il est beaucoup trop tôt pour en tirer des conclusions, les premiers résultats laissent songeurs. « Effectués avant la sécheresse de cet été, nos derniers relevés font état de 11 % de mortalité un peu plus d’un an après la plantation », poursuit l’enseignant. Cela concerne 182 arbres au total, dont beaucoup parmi les genévriers et les sureaux noirs. De son côté, « l’étude de la faune au sol, qui méritera d’être affinée, ne met en lumière aucune différence notable entre les parcelles Miyawaki et les parcelles témoins, que ce soit sur le nombre d’espèces, le nombre total d’individus ou la répartition des individus par espèce », complète sa collègue Sergine Ponsard.
Pas de quoi, à ce stade, doucher les espoirs des planteurs. À Launaguet, la municipalité, soutenue par les riverains, a planté en décembre 2021 une micro-forêt dans le parc des cerisiers, en plein cœur d’un lotissement où le gravier avait pris le pas depuis longtemps sur la verdure lui donnant des airs de désert aride.« Plus personne ne venait ici et plus rien n’y poussait, se souvient Natacha Marchipont, adjointe à l’environnement. Les analyses de sol nous avaient confirmé l’absence totale de vie organique, ce qui avait poussé les agronomes à nous déconseiller de planter ici, poursuit-elle. Mais la méthode Miyawaki nous a paru pertinente puisque son postulat de départ est précisément de remettre de la vie là où il n’y en a plus. » Un objectif d’ores et déjà atteint pour l’élue : « Nous n’avons jamais vu autant de monde venir se promener pour admirer la forêt. Preuve que la vie est déjà revenue ! »
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