Comment est née l’idée de cette exposition ? L’exposition est basée sur les travaux de chercheuses de l’université Toulouse-Jean-Jaurès qui étudient le rôle des cinq sens dans les rituels de l’Antiquité. Elles s’appuient sur des textes anciens pour retrouver les recettes, les odeurs, la composition des cosmétiques, le goût du vin de l’époque… Elles ont tissé et teint à l’identique des voiles et des rubans de mariées ou des linceuls, en utilisant les mêmes techniques. Une autre chercheuse travaille sur les sons et les instruments de l’époque. Depuis plus de trois ans, la conservatrice du musée Saint-Raymond, Évelyne Ugaglia, travaille avec elles pour retranscrire ce travail archéologique d’une richesse incroyable dans une exposition.
À quel moment a-t-il été décidé d’en faire une exposition polysensorielle ? C’était là dès le projet initial puisque les cinq sens sont à la base même de leurs travaux. Adeline Grand-Clément, qui mène le projet de recherche, voulait qu’on se replonge dans l’ambiance de la Grèce antique. Que l’on sorte de l’image aseptisée qu’on peut en avoir, et qu’on se rende compte que les rituels grecs antiques mettaient tous les sens en éveil pour communiquer avec les dieux. L’exposition se devait d’être une expérience sensible avec des oeuvres à regarder, bien sûr, mais aussi du son, des odeurs, du goût, du toucher.
Comment avez-vous abordé cet exercice inhabituel ? De par mon expérience, j’ai été un peu inquiète… Quand on entend parler les chercheurs, c’est fabuleux. À travers un vase, ils vous racontent des milliers d’histoires. Ils fourmillent d’idées et de désirs. Mais on ne peut pas transmettre tout ce savoir en une exposition. D’autant plus dans un espace restreint de 200m2. Notre travail, c’est de parvenir à articuler tous ces désirs avec notre réalité matérielle, notamment en triant et hiérarchisant les informations avec les chercheurs et la conservatrice et les équipes du musée Saint-Raymond. Sans compter les contraintes liées aux éléments sensoriels…
Notre travail, c’est d’articuler les désirs des chercheurs avec notre réalité matérielle.
Si on ne peut pas toucher, sentir, manger les objets exposés dans un musée, il doit bien y avoir une raison… Oui, surtout quand on s’adresse aussi à un public jeune. Mais aussi parce que certains cosmétiques contiennent des ingrédients comme des plantes ou des minéraux dont on sait aujourd’hui qu’ils sont toxiques. Ces produits seront mis sous cloche. Il y a aussi la question des vapeurs du vin. Et celle de la manipulation des objets. Les contenants seront fixés pour pouvoir être sentis, mais pas bus. Et comment préserver les odeurs ? Nous avons beaucoup travaillé sur ces points avec les chercheuses.
Comment faire pour que tous puissent profiter des éléments sensoriels et éviter les embouteillages ? Toute l’astuce scénographique réside dans la fluidité du parcours. Nous avons dessiné des cloisons et des tablettes qui ondulent, ponctuées de vitrines, ce qui incite le visiteur à s’arrêter pour observer, sentir, toucher, mais aussi à circuler.
L’objectif est de se plonger dans la Grèce antique. Pourtant, la scénographie ne reconstitue pas les lieux des rituels… C’est notre parti-pris. On est davantage dans un travail d’évocation. Je ne suis pas très fan de la reconstitution. Il y a toujours un risque d’être dans l’erreur. Surtout que la seule représentation que l’on a des rituels, ce sont des vases, qui sont déjà des représentations. Alors on présente sobrement les différentes étapes des rituels. On donne quelques clés au visiteur avec des éléments graphiques ou des contenants sobres qui évoquent les lieux et les formes utilisées à l’époque. Et on laisse son imagination faire le reste. C’est surtout par le son, les odeurs et le toucher qu’il se plongera dans les rituels. L’idée, c’est que le visiteur ressente les choses sans qu’on les lui montre de façon évidente.
Les musées sont-ils contraints d’innover pour attirer le public ? Attirer un public différent, plus large, passe nécessairement par des expositions différentes. Il y a encore des expositions très classiques qui marchent très bien, comme celles sur Irvin Penn ou Gauguin en ce moment à Paris. Mais pour viser un public plus jeune, il faut parfois trouver d’autres entrées, comme le font La Cité des Sciences, le Palais de la Découverte, ou la Cité de l’Espace. Et ça fonctionne, même auprès des adultes. Mais tout dépend du propos, du conservateur, et du matériau de départ. L’approche sensorielle, par exemple, n’est pas toujours pertinente.
Y a-t-il un risque que seule la forme prime au détriment du fond ? Pour l’exposition du Musée Saint-Raymond, l’approche sensorielle est à l’origine du projet. Ce n’est pas un prétexte pour attirer plus de public. La forme doit toujours être là pour servir le fond. La dernière exposition du Museum de Toulouse, Rapaces, est par exemple très belle d’un point de vue scénographique, mais le propos scientifique est aussi là. Il n’est pas dénaturé. La scénographie ne doit pas prendre le pas sur le propos scientifique. C’est mon cheval de bataille.
Rituels grecs, une expérience sensible. Musée Saint-Raymond, Toulouse. Du 24 novembre 2017 au 25 mars 2018. Visites guidées uniquement, les mercredis et dimanches, sur réservation. saintraymond.toulouse.fr