À Delphes, on consultait l’Oracle d’Apollon pour connaître l’avenir. En Occitanie, on se tourne vers l’Oracle de la chambre d’agriculture (Observatoire Régional sur l’Agriculture et le Changement Climatique) pour mesurer et anticiper l’impact de l’évolution du climat sur les pratiques agricoles. Un nouvel outil destiné aux paysans, financé par l’Ademe, et piloté par Julie Bodeau.
Pourquoi Oracle ? A-t-on encore besoin de mesurer le réchauffement pour le constater ? On manquait de données locales, objectives et observées sur l’évolution du climat et son impact sur l’agriculture. Les données dont on dispose sur le changement climatique sont généralement européennes et mondiales. Quand elles sont locales, elles ne s’étalent pas sur un temps assez long pour être significatives.
Combien de temps faut-il pour obtenir une tendance significative ?
Les météorologues parlent d’un recul de 30 ans minimum.
Les mesures compilées par Oracle répondent-elle à cet impératif ? Non seulement elles y répondent, mais en plus elles sont homogénéisées, c’est-à-dire que Météo France traite les données de façon à exclure les biais qui peuvent apparaître en 20 ou 30 ans : un arbre qui pousse près de la station et qui fait de l’ombre, un problème technique, une station déménagée entre temps etc… Les données d’Oracle sont donc objectives et très fiables.
Que disent-elles de l’évolution du climat en Occitanie ? Elles confirment une augmentation flagrante de la température dans tous les départements. Sur les 60 dernières années, on oscille entre 0,30 et 0,38°C de plus par décennie, soit entre 1,8 et 2,3°C en 60 ans selon les départements. C’est le Gard qui enregistre la hausse la plus forte.
Quel impact de ces températures sur l’agriculture ? Ce qu’on retient, c’est d’une part l’accélération du phénomène depuis les années 1980, et d’autre part la grande variabilité inter-annuelle, élément important pour l’agriculture. Cela signifie que tout en suivant une tendance de fond à la hausse, on peut rencontrer des années fraîches et des années chaudes. Cela complique l’adaptation des pratiques agricoles. Cette variabilité inter-annuelle se vérifie partout dans la région, dans tous les départements et sur toutes les stations. Tout l’enjeu de l’agriculture désormais est de s’adapter à la tendance de fond à la hausse, tout en anticipant la multiplication des aléas climatiques.
Même topo pour la pluie ? En la matière le constat est différent. À la lecture des moyennes annuelles, on ne peut conclure à une évolution à la hausse ou à la baisse de la quantité des précipitations. Même chose à l’échelle saisonnière. En revanche, nous sommes en train de travailler sur le nombre de jours sans pluie, très impactant pour certaines cultures. Souvent, pour un agriculteur, peu importe la quantité d’eau qui tombe en moyenne. Ce qui compte, c’est qu’elle tombe au bon moment.
Comment Oracle fait-il le lien entre les mesures des stations météo et les préoccupations des paysans ? En s’attachant aux indicateurs agro-climatiques, c’est-à-dire aux mesures dont on connaît l’impact sur les cultures ou les élevages.
Par exemple ? L’étude de l’évolution du nombre de jours supérieurs à 35°C sera utile à un vigneron, parce qu’à partir de cette température, la vigne souffre. Pour le maïs, ce seront les jours à plus de 30°C, pour les bovins ceux à plus de 25°C etc. On mesure également le cumul de chaleur, parce qu’il peut conditionner la pousse de l’herbe, le débourrage de certaines plantes, les degrés alcooliques ou les taux de sucre. Jusqu’à présent on ne disposait pas de données synthétiques, fiables et homogénéisées. C’est tout l’intérêt d’Oracle.
Comment déterminez-vous les indicateurs agro-climatiques à étudier ? On s’appuie sur notre comité de pilotage composé des chambres départementales d’agriculture, des instituts techniques, de l’Inrae, des agences de l’eau et des services de l’État. Ils connaissent le terrain, les besoins et les réalités des agriculteurs. Cela facilite l’accomplissement des autres missions d’Oracle qui, outre la synthèse des données climatiques et agroclimatiques, vise à identifier les premiers effets perceptibles de l’évolution du climat, et à analyser les adaptations et les atténuations mises en place d’ores et déjà par les agriculteurs.
Les paysans, qui sont en première ligne et mesurent quotidiennement le changement climatique, ont-ils encore besoin d’être convaincus ? Certains mesurent parfaitement les phénomènes extrêmes mais relativisent la tendance de fond. Dans ces cas-là, les données d’Oracle sont parlantes et susceptibles de convaincre. C’est important, parce que demain se prépare aujourd’hui. Mettre en place des leviers d’adaptation sur une exploitation agricole prend du temps. Il faut des moyens, de la technique, de la formation. L’agriculture, c’est du vivant, et le vivant ne se modifie pas du jour au lendemain.
Observatoire régional sur l’agriculture et le réchauffement climatique, le concept Oracle a été imaginé en 2013 en région Nouvelle-Aquitaine par le docteur en agronomie Frédéric Levrault. L’outil consiste essentiellement à permettre l’appropriation du travail des climatologues par le monde agricole. Les bons résultats de cette initiative ont par la suite encouragé la création d’observatoires de ce type dans d’autres régions, dont l’Occitanie en 2019. Le programme, prévu sur 3 ans, pourrait être prolongé en Occitanie dans le but d’affiner les analyses et de travailler de nouveaux indicateurs agroclimatiques.
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