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Salut à Odyssud – Emmanuel Gaillard

BOUDU

Vous quittez Odyssud. Avez-vous un regret, un spectacle auquel vous teniez mais que vous avez échoué à programmer ? Il y en a deux. Le West Side Story qui a triomphé récemment dans le monde entier, et le grand spectacle Cabaret, il y a une dizaine d’années. J’ai pourtant fait tout ce que j’ai pu pour les accueillir : j’adore les comédies musicales.

Que s’est-il passé ? Pour West Side Story, la scène était trop petite. Ça s’est joué au mètre près ! Les travaux qui démarrent et le renouvellement complet de la cage de scène vont tout changer. La personne qui me succèdera pourra tout à fait programmer ce genre de spectacles.

Que faisiez-vous avant Odyssud ? Je venais de passer une dizaine d’années comme administrateur de compagnies de théâtre.

Que ferez-vous après ? Tout ce que je n’ai pas pu faire ces deux dernières décennies. Consacrer du temps à ma famille, à mes amis, au voyage. M’occuper de ma maison, aussi. En 25 ans je n’ai repeint que deux pièces. Autant dire que j’ai du travail en retard.

Garderez-vous un pied dans le milieu du spectacle ? Je vais rester actif, enseigner dans des masters en management culturel à Toulouse, proposer du conseil et de l’accompagnement aux compagnies, aux institutions, aux municipalités. Je serai actif mais discret. Je ne remettrai pas les deux doigts dans la prise d’une grosse boutique à gérer. J’ai adoré, mais maintenant, ça, c’est fait.

Quand vous jetez un coup d’œil dans le rétro, quelles grandes rencontres artistiques y voyez-vous ? Bartabas. Un sacré bonhomme. Une sacrée personnalité. Je repense à son séjour à Odyssud. Trois semaines de travail avec trois de ses chevaux pour un spectacle créé ici même, sur la scène. Expérience très, très marquante. J’ajoute la rencontre avec James Thierrée, génial et perché, l’inoubliable résidence de Blanca Li, et les grands fidèles d’Odyssud : Arditi, Bouquet, Decouflé, Preljokaj, François Morel, Alex Lutz… Et surtout le Cirque Plume et le Slava’s Snowshow.

Diriger une salle municipale, c’est être entre le marteau et l’enclume, entre les artistes et les élus. Deux catégories de personnes dont les logiques, les aspirations, les objectifs divergent parfois. N’est-ce pas difficile à gérer ? Il faut y ajouter le public, ses goûts, et ses préférences qu’on ne maîtrise pas non plus…  Pour l’aspect politique, il faut dire les choses comme elles sont : à Blagnac on a de la chance. Les élus croient à l’art comme vecteur d’épanouissement, sont disposés à mettre les moyens… et ont les finances pour ! C’est quand même plus facile.

On dit les grands artistes souvent difficiles à gérer. L’avez-vous vérifié ? Le mythe de l’artiste ingérable est un peu dépassé. Les grands artistes sont généralement charmants et de bonne compagnie. Reste le domaine des musiques actuelles. Pas toujours simple. Les rappeurs, surtout. On en fait très peu. On n’a pas à se plaindre.

Quel est le grand plaisir d’un directeur de grande salle que vous regretterez de ne plus éprouver ? Partager les spectacles qu’on a repérés et pour lesquels on a eu un coup de cœur, les programmer et voir les spectateurs prendre un plaisir fou dans la salle. C’est un sentiment inégalable.

À l’inverse, quelle est l’angoisse qui ne vous manquera pas ? La salle vide ou à moitié pleine. Je ne m’y résous pas. Je déteste ça. Heureusement à Odyssud, c’est chose rare. Elle est devenue la salle publique la plus fréquentée de France. Hors Covid, le taux de remplissage était autour de 90 % toute l’année. Presque complet sur presque tous les spectacles, presque tout le temps.

Cette fréquentation importante et l’accueil de publics de tous horizons restera la marque de votre passage à Odyssud. Était-ce ce que vous espériez ? Mon projet consistait à faire connaître au grand public les nouveaux mouvements qui foisonnaient à la fin des années 1990. Je voulais sortir le nouveau cirque, la danse contemporaine, les cultures urbaines, les arts numériques et la musique baroque jouée sur instruments anciens, du cercle restreint des aficionados. J’étais persuadé que ces mouvements ne demandaient qu’à être mieux connu d’un grand public qui, pour l’essentiel, se tournait vers la chanson, la musique ou le classique. J’en étais persuadé, mais j’ai été le premier surpris que cela marche aussi bien !

C’est-à-dire ? Avant d’arriver à Odyssud, je travaillais à Marseille. J’y étais administrateur du Ballet national. Là-bas, le directeur du Théâtre du Gymnase proposait exactement la politique que j’avais en tête. Il rencontrait un succès incroyable. J’y ai vu le Slava’s Snowshow pour la première fois, et j’ai constaté que ça cartonnait. À mon arrivée à Odyssud, il y avait entre 6000 et 7000 abonnés et jusqu’à 60 000 entrées chaque année. C’était déjà énorme. Avec mon équipe, on a mis en place des offres élargies, et programmé ces nouvelles formes de spectacle. J’imaginais attirer davantage de public, mais pas à ce point : on a triplé la fréquentation en 5 ans et atteint 20 000 abonnés et 150 000 spectateurs par an.


Boudu magazine 69 Emmanuel Gaillard

Ces 22 ans passés dans le costume de directeur d’Odyssud ont-ils changé votre regard de spectateur ? Je crois être resté le même. Je suis toujours aussi bon public. Bon client, comme on dit. J’ai une sensibilité ouverte. Je ris et m’émeus facilement. En même temps, j’ai un esprit critique très développé. L’œil du professionnel que je suis devenu saisit les petits détails et les maladresses, mais ce n’est pas suffisant pour me blaser. Je cultive l’a priori favorable. C’est une façon de profiter pleinement du miracle que constitue le moment du spectacle; le plus beau moment qu’on puisse connaître au cours d’une existence humaine. Et puis je sais trop le travail titanesque fourni par les compagnies, les artistes et les techniciens, pour ne pas, une fois dans la salle, jouer le jeu de l’échange d’énergie entre artistes et public.

D’où vous vient cet amour viscéral du spectacle ? De l’amour de la musique. Je suis un mélomane passionné de classique.

Qui vous y a initié ? J’y suis venu tout seul. Il y avait quelques disques classiques à la maison. Leur écoute me faisait réagir. Une vibration se créait. Des émotions arrivaient tout de suite. Les disques ne suffisant pas, je suis allé très vite au spectacle. J’allais assister à des concerts seul à 14 ans, à l’âge où mes copains écoutaient de la pop.

Pourquoi seul ? On vivait à Paris. Il y avait des concerts gratuits à la Maison de la Radio. Mes parents me laissaient y aller seul en métro. C’était une grande liberté et un grand plaisir. Des concerts classiques je suis passé naturellement à l’opéra, au théâtre, à la danse… L’offre est tellement grande à Paris que j’ai pu me faire à peu de frais une petite culture personnelle.

Vous avez toujours voulu en faire votre métier ? Je suis d’abord devenu programmateur bénévole au Festival du Périgord Noir. J’y ai fait mes armes. Étudiant, j’ai vendu des disques à la Fnac. Tout cela a composé un paysage favorable. J’ai pourtant entamé une carrière conventionnelle pour un profil comme le mien (droit, Sciences-Po) en travaillant aux ressources humaines dans l’industrie et le conseil.

Quel fut le déclic ? Ce que je vivais en tant qu’administrateur bénévole me passionnait tellement, que j’ai, à 30 ans, décidé que mon métier serait ma passion, et réciproquement. Je suis devenu administrateur professionnel. C’est exigeant. C’est une sacrée pression. Il faut exercer dix métiers différents. On est le généraliste, l’homme à tout faire. Celui qui résout tous les problèmes. C’est une bonne école du spectacle parce qu’on voit les spectacles se fabriquer de l’intérieur.

Vous avez passé votre carrière à regarder les autres jouer, interpréter, créer. N’avez-vous pas, parfois, envie de les imiter ? Je suis chanteur et pianiste amateur. Je fais partie de deux chœurs. L’ensemble À Bout de souffle et le chœur baroque de Toulouse de Michel Brun. Je vais me régaler à consacrer beaucoup plus de temps à ces deux ensembles. Faire davantage de musique… j’ai hâte. Qu’est-ce que ça va être agréable !

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