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  • BOUDU

Simon Johannin : L’été des charognes

Simon Johannin, vous avez 24 ans et des tas de moyens d’expression à la mode à portée de main. Pourquoi avoir choisi d’écrire ?    Parce que le livre a un côté rassurant. Parce que les seules choses qui traversent les siècles, c’est la pierre et le papier. Parce que, comme tout le monde, je suis quotidiennement écrasé, atomisé par des informations momentanées et anxiogènes, et que j’ai besoin de les évacuer. Parce que ce qu’on me propose ne me convient pas et que, plutôt que de gueuler, je préfère proposer autre chose. Parce qu’on passe beaucoup de temps (et moi le premier) à brasser de l’air sur les réseaux sociaux, et qu’il faut pour s’en guérir consacrer du temps à la lecture, à l’écriture, à l’intelligence. Parce que je me sentais capable de le faire, et parce que quand j’ai pris cette décision, j’étais un peu dans le creux, expatrié à Bruxelles dans un milieu d’étudiants en art qui ne répondait pas à mes attentes.


Qu’a donc de si décevant le milieu des étudiants en art ? Je pensais faire des études dissidentes et, dès les premiers jours on m’a parlé des systèmes commerciaux et des galeries. C’est un milieu hyper compétitif. Tout le monde y parle de son travail avec des textes longs et des mots compliqués alors que ça pourrait être résumé en trois phrases. Et puis, dans ces écoles, on te demande de t’exprimer en permanence, on te sollicite tout le temps. Si bien qu’on se retrouve parfois avec plus rien à dire. C’est terrible, quand on pense à tous ceux qui ont des choses puissantes à dire, mais à qui on ne donne jamais la parole.

D’habitude, les jeunes écrivains viennent de Saint-Germain-des-Prés. Vous, vous venez de la Montagne Noire. Est-ce la source de votre différence ? Peut-être. J’ai grandi dans un coin particulier, sur un plateau. Sans Internet, sans portable. Il y a du brouillard, de la pluie, des conifères, des forêts de plantation, du vent. La Montagne Noire, c’est pas accueillant (rien que le nom, ça glace). C’est elle qui a forgé mon mental et mon imaginaire.

Quelle enfance vit-on dans ce genre de décor ?   Mes parents sont des néo-ruraux. Ils ont choisi cette vie et ne l’ont jamais subie. On était loin d’avoir des moyens extraordinaires, mais ils m’ont offert une bienveillance de tous les instants et un bonheur réel. On vivait dans un hameau de trois maisons. Les premiers voisins étaient à quatre kilomètres. Ça avait un côté tribu, une dimension insulaire… Un truc à réparer, tout le monde aidait. Des moutons à transhumer, on le faisait ensemble. Des trucs pourris à faire, on partageait les tâches. Quand je compare avec des vécus citadins et bourgeois de certains potes, franchement, je ne suis pas à plaindre. À l’adolescence c’était encore mieux. Avec les potes, on était libres. On a vécu un peu comme des punks. Là-bas, la première gendarmerie est à des kilomètres, alors on fait un peu ce qu’on veut. On dégage les routes nous-mêmes, on conduit les bagnoles à 15 ans sur les chemins. C’est la vie au grand air.


Ce que vous nous racontez est à mille lieues du trash de votre roman. À sa lecture, on ne sait pas vraiment si on est dans la Montagne Noire ou dans les Appalaches de Delivrance ! C’est voulu. Et d’ailleurs, la référence à Delivrance me parle. J’ai grandi en épousant cette culture du roman noir et du cinéma noir américain : violent mais à prendre au deuxième degré. Mon livre est empreint de cette violence et de cette dérision. Tout le monde ne le voit pas, et ce n’est pas grave. Je sais que ma génération est à l’aise avec ça. On a tous plus ou moins grandi avec Internet, et vu à neuf ans des vidéos de décapitation postées par les cartels sud-américains. On est équipé, on a du bagage ! Alors forcément, on a un humour particulier.

Particulier et nouveau dans la littérature française… C’est vrai que peu d’écrivains de chez nous ont pris ce chemin. Il y a bien Virginie Despentes, mais elle est un peu seule. En France on prend toujours tout au premier degré, comme si les écrivains devaient absolument décrire la réalité. C’est pour ça que beaucoup de conneries ont été dites à propos de L’été des charognes, notamment que c’était une peinture de la vie dans le Tarn !

La critique parisienne avait effectivement l’air de jubiler à l’idée que le roman soit une description fidèle de votre enfance et de la réalité du Tarn rural…  Quelle déception ça a été pour eux de découvrir que ce n’était pas ma vie ! Que j’allais bien, que j’étais un garçon équilibré, que je travaillais comme mannequin depuis trois ans. Ils étaient un peu perdus. Ça aurait fait plus vendeur si j’avais collé à l’image de mon roman. On a beau s’en défendre, on aime bien racoler, en France.

On s’en fout de ne pas pouvoir parler avec les animaux. On partage avec eux une chaleur, une présence dans le monde. Et c’est déjà beaucoup.

Si elle est passée à côté de pas mal de choses, la critique a parfaitement identifié la puissance de votre style. Direct, simple, fulgurant. D’où vient-il ?

D’abord de souvenirs de copains et de lycée. Du langage qu’on avait à l’époque. Cru, vulgaire, avec la fureur propre à l’adolescence. J’ai pris cette langue et je l’ai poussée à l’extrême. J’aime écrire des phrases simples dans lesquelles chaque mot est à sa place. Je considère que si ça marche avec des mots simples, il n’y a aucune raison d’en employer d’autres. C’est un refus de l’élitisme, une question d’honnêteté, et une manière de regarder la réalité en face.

De quelle réalité parlez-vous ?   Dans le livre, je décris par exemple l’abatage artisanal d’un cochon avec des mots simples, sans édulcorer. Parce que oui, quatre mecs qui égorgent un porc c’est dégueulasse, c’est violent, ça pisse le sang, c’est une boucherie totale.  Je le décris de façon crue et outrancière. Pas pour dénoncer quoi que soit, mais pour mettre des mots sur des réalités. Je peux me permettre d’en parler parce que je connais. J’ai grandi avec des animaux d’élevage. Je grossis le trait, mais je n’invente rien. Et surtout, je ne véhicule aucun préjugé. J’ai fait beaucoup d’animation avec les enfants, et j’ai toujours été effaré de voir que les gamins pensent que la viande est fabriquée dans des usines. Si on mange des animaux, il faut accepter la violence que ça implique, et ne pas la nier. Il faut accepter les flots de sang et les flots de merde, la mort, la crasse, les charognes et la putréfaction. Il faut l’accepter, comme on accepte de sortir son chien trois fois par jour pour ne pas qu’il remplisse l’appartement de merde. Je trouve plus sain de le reconnaître que de le nier. Si on ne l’intègre pas, on passe à côté du rapport magique qu’on peut entretenir avec les animaux. Ça fait tripper de vivre auprès d’eux, d’installer une relation avec ces êtres avec qui on ne peut pas communiquer par le langage. D’ailleurs, on s’en fout de ne pas pouvoir parler avec eux. On partage une chaleur, une présence dans le monde. Et c’est déjà beaucoup.

Dans cet univers si particulier, le narrateur s’ennuie à mourir.  Et cet ennui semble l’élever, le grandir… Il y a tellement peu de choses dans son univers que s’il ne les considère pas en profondeur, sa vie n’a pas de sens. L’ennui mène à l’observation, et l’observation aide à comprendre le monde. Aujourd’hui, les enfants sont ultra-stimulés, mais leur capacité de concentration est plus faible que jamais. Ce ne serait pas le cas s’ils regardaient plus souvent pousser les arbres. L’ennui est préférable à la stimulation, surtout si cette stimulation n’est rien d’autre que du divertissement. En ça, je me reconnais dans le regard que porte mon personnage sur le monde. C’est d’ailleurs pour ça que j’écris. Pour regarder, dire les choses autrement. Et montrer, finalement, que la beauté existe.

Simon Johannin – L’Été des charognes – Allia éditions

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