En quoi les TEDx bousculent-ils notre rapport à la diffusion des idées ?
Les TEDx ont révolutionné le format de la conférence. En restreignant le temps, on s’interdit de tout dire. La contrainte temps oblige à remonter à l’essence du message. Le temps est rare donc il est précieux. Il ne faut retenir que deux ou trois idées, qui feront l’intervention.
Chez les anglo-saxons, cet exercice semble presque naturel. Y a-t-il une façon de faire liée à la culture ?
En dix ans de coaching sur la prise de parole en public, j’ai travaillé avec toutes sortes de gens. Je constate qu’on est abîmé. Notre culture nous pousse à être constamment dans le rapport de force. Les anglo-saxons sont plus dans l’échange, dans le dialogue. Les parents encouragent leurs enfants en permanence. En France, on grandit plutôt avec l’idée qu’on n’est jamais assez bon. L’école ne nous valorise pas.
Quel impact cette culture a-t-elle sur notre manière de prendre la parole en public ?
On a un problème avec l’estime de soi. On n’ose pas y aller. Mais si les gens ne s’autorisent pas, c’est qu’on ne leur a pas permis. On n’est pas libre dans notre parole. On est formaté. Or pour être impactant, il faut s’autoriser à être soi-même. Plus on est singulier et unique, plus on intéressera les gens.
Dans les conférences TEDx, un speaker particulièrement talentueux ne peut-il pas cacher l’intérêt de la présentation d’un autre ?
C’est tout à fait possible. L’école nous a appris que c’est le message qui compte. Ce n’est pas exactement vrai. Le plus important dans une prise de parole, c’est soi-même. C’est ce qu’on transmet au public. Ce qu’on est peut interférer avec le message. La présence est plus importante que le message, qui passe à travers la voix, l’énergie, l’implication. Il faut devenir comédien de son message, déployer son énergie à intéresser les gens.
Prendre la parole, c’est donc lâcher prise…
Il faut se l’autoriser. C’est une erreur de croire qu’on n’en est pas capable. La prise de parole est intimement liée à la confiance en soi. Nous sommes le produit de notre éducation, or le système français nous apprend qu’on n’est pas bon et surtout pas légitime.
Le système français nous apprend qu’on n’est pas bon et surtout pas légitime.
Notre société met pourtant en avant le storytelling, la capacité à se raconter…
De plus en plus ! Avant, j’étais essentiellement contactée par des professions dites « intellectuelles » (des avocats, des professeurs). Depuis trois ou quatre ans, toutes sortes de professions, y compris des coiffeurs, des artisans ou des étudiants, viennent vers moi. Il faut qu’ils présentent leur produit, qu’ils soient capables de parler de leur activité. Je trouve que c’est une bonne chose car ça pousse les gens à travailler cette compétence. Ça les libère, car la parole est à la fois professionnelle et très privée. Des gens me contactent car ils sont bloqués dans leur métier. Il y a beaucoup d’angoisse à l’idée de présenter une activité ou simplement de prendre la parole en réunion.
Qu’est-ce qui a changé ?
Avant, on était dans un monde beaucoup plus rigide. L’étiquette, le statut étaient suffisants. On avait une carte de visite, un titre et on s’écrasait. Aujourd’hui c’est beaucoup plus fluide. Il faut que chacun prenne sa place. Ça se fait à travers les compétences. Ça passe aussi par la parole.
© Matthieu Sartre
Quel est le rôle d’Internet dans tout ça ?
Il modifie les enjeux, mais on n’a pas encore complètement mesuré son impact. Auparavant, le savoir était rare. Il fallait aller le chercher dans les livres. Le professeur détenait le pouvoir et l’autorité d’office. Avec Internet, le savoir est accessible à tout moment. C’est crucial, car le curseur a changé : il ne s’agit plus simplement de savoir, il faut être capable de créer de l’intérêt.
Y a-t-il une spécificité française qui soit une bonne chose ?
À la rigueur, notre handicap peut-être notre force. C’est parfois trop facile pour les anglo-saxons. On glisse sur ce qu’ils disent. La timidité des Français est positive, car pour la dépasser, il faut aller chercher à l’intérieur. La motivation y est. On n’est pas dans le jeu, on est dans la parole vraie.
Timide ou non, on ne sait jamais quoi faire de ses mains. Que conseillez-vous ?
Il faut avant tout s’intéresser à ce qu’on raconte. Les bras se mettent alors automatiquement en mouvement. Pour capter l’intérêt du public, il faut d’abord aller chercher en soi l’envie de raconter son histoire, avec ses mots, sa personnalité.