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Logi Boudu magazine

Tourisme : changer de modèle – Jean Pinard

Dernière mise à jour : 11 janv.

Jean Pinard, le directeur du Comité Régional du Tourisme d’Occitanie, n’est pas réputé pour avoir la langue dans sa poche. L’occasion de lui poser quelques questions qui fâchent sur l’avenir du tourisme par ses temps de restriction d’eau.



Y-a-t-il déjà des conséquences palpables du manque d’eau sur le tourisme en Occitanie ? Oui, à deux niveaux. Il y a tout d’abord les conséquences médiatiques : lorsque les médias nationaux évoquent la sécheresse ou le manque d’eau dans nos régions, forcément, le touriste est réceptif au message. Cela se traduit en terme de réservation. Nous en sommes, pour l’instant, à -20% par rapport à 2022. Autre signe inquiétant : entre mai et juin 2023, l’occurrence « Pyrénées Orientales » a chuté de moitié sur des sites comme Expedia ou Booking. Mais il n’y a pas qu’un effet médiatique.


C’est-à-dire ? Lorsqu’un village qui n’a plus d’eau potable est ravitaillé en citerne, il est facile de comprendre qu’il ne pourra pas accueillir en plus des touristes. Il faut qu’on l’accepte. La population touristique ne peut pas s’ajouter à la population locale en souffrance. On espère que cela restera des situations exceptionnelles… même si l’on sait que l’Occitanie sera l’une des régions de France les plus concernées par le manque d‘eau dans les années à venir.


C’est ce que vous entendiez l’an passé quand vous déclariez que le triptyque canicule/sécheresse/incendie allait impacter l’image des destinations du sud de la France ? J’ai encore en tête l’image de ce camping du Gers dans lequel le propriétaire avait été obligé d’ouvrir une salle climatisée pour permettre aux enfants de faire la sieste. En terme d’image, ce n’est pas bon. Parce qu’il faut bien comprendre que pour certains, la chaleur, c’est l’ennemi. C’est sûr que l’on est rentré dans le dur par rapport au changement climatique. Pour autant, il ne faut pas que ce soit tabou. Ce n’est d’ailleurs pas le cas chez les professionnels du tourisme puisque 73% des entreprises du secteur en Occitanie considèrent que la sécheresse va impacter négativement leur activité.


Comment s’adaptent-ils à cette nouvelle donne ? Comme ils peuvent… sachant que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Il y a là aussi deux niveaux : la gestion de l’eau et l’éducation des touristes. On observe la mise en place d’idées malines comme celle de propriétaires de campings qui mettent l’eau hivernale de leur piscine à la disposition des pompiers pour remplir leurs réservoirs. Mais il s’agit également d’encourager les touristes à être plus responsables.


Est-ce à eux d’éduquer les touristes ? Oui, en partie, parce que le touriste peut (encore) avoir une propension à ne pas faire attention à la dépense. Il faut par exemple lui rappeler qu’il n’est pas obligé de prendre quatre douches par jour. Faudra-t-il en arriver à un système de pénalité financière pour ceux qui ne sont pas raisonnables comme cela a été expérimenté en Savoie avec l’électricité ? Ce n’est pas à exclure.


Les arbitrages en matière d’eau ne risquent-ils pas de se faire au détriment du tourisme ? Oui, et c’est bien normal. Il faut accepter que le touriste ne passe pas en premier. Lorsque l’on voit certains villages dans les PO privés d’eau, il est bien évident que les habitants sont prioritaires, tout comme l’agriculture. Je trouve du reste que le travail mené dans ce département pour organiser une hiérarchie est bon.


Faut-il craindre une augmentation des conflits d’usage ? Je ne le crois pas. La vraie crainte des professionnels du tourisme, c’est le manque d’eau dans les piscines. Mais ils sont responsables et conscients qu’il y a des priorités. Je ne crois donc pas au syndrome Manon des sources.


Faut-il repenser l’offre touristique dans la région et si oui, dans quelles sens ? Il va falloir changer de modèle, oui, c’est certain, en allongeant peut-être la saison, en aménageant les hébergements, en densifiant moins, en favorisant la campagne plutôt que le littoral… Il y a plein de choses à faire évoluer. Et on sait que c’est en période de crise que ce type de mutation s’opère. On a par exemple intérêt à ne pas limiter notre littoral à l’été et à la plage.


C’est-à-dire ? Le réchauffement climatique dope la fréquentation des stations du littoral en hiver. C’est assez logique quand on a des températures de 18°C au nouvel an. L’enjeu est désormais de réussir à les faire vivre en dehors des trois mois d’été en s’inspirant par exemple de Gruissan qui attire beaucoup de monde en mai grâce au Défi Wind. Il faut globalement qu’elles se réinventent pour s’adapter à la nouvelle donne : il y a par exemple un certain nombre d’immeubles qui n’ont pas été équipés en chauffage. Pour l’hiver, c’est embêtant.


Au fond, il faut qu’elles deviennent des stations quatre saisons comme leurs consœurs du massif pyrénéen ? C’est tout à fait ça. Les Pyrénées ont beaucoup mieux réussi à lisser leur fréquentation sur l’année. Pour y parvenir, il faut que les stations du littoral travaillent sur le commerce, l’animation, l’aménagement des voies cyclables, la dimension historique, la complémentarité avec l’intérieur des terres, etc. Bref qu’elles aient une vie et une activité de ville.


Peut-on concilier sobriété et tourisme ? Oui car la sobriété est désormais un concept intégré par tout le monde. Nos grandes stations ont besoin, pour bien fonctionner, que tous les services tournent à plein régime. Mais n’oublions pas que le Cap d’Agde a été pensé et calibré pour accueillir 100 000 personnes. C’est d’ailleurs ce qui m’agace quand j’entends certaines personnes confondre surtourisme et tourisme de masse.


Zut, pouvez-vous nous expliquer ? Le surtourisme, c’est quand on dépasse les limites. Alors que le tourisme de masse porte en son sein une dimension sociale dont il faut se réjouir. Heureusement qu’il y a des stations comme la Grande Motte pour accueillir les touristes. Si elles n’existaient pas, il y aurait du surtourisme partout ! Après si au lieu de faire 1 million de nuitées entre le 14 juillet et le 15 août, on n’en fait plus que 800 000 mais que l’on parvient à mieux le répartir sur l’année, ce sera mieux. Une chose est sûre : on est au pied du mur, tous autant que nous sommes, et il faut que nous inventions un nouveau modèle. Et on n’a plus de temps à perdre.


La Grande-Motte après la pluie

La Grande-Motte après la pluie (© Mattieu Sartre)


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