Interpellez des passants à Londres, Paris, Hong Kong ou Los Angeles et interrogez-les sur Toulouse. Avant même la violette et le canal du Midi, ils répondront sans doute « avion » et « espace ». Et dans quelques années, sans doute ajouteront-ils « hyperloop », « taxi volant », et « véhicule autonome ». Et c’est probablement une bonne chose : « Avec l’effondrement de l’industrie chimique, les responsables politiques et économiques conviennent qu’il ne faut plus être dépendants de l’aéronautique et du spatial », reconnait Bernard Keller, vice-président de Toulouse Métropole en charge de l’aéronautique, de l’espace et des aéroports.
Alors depuis quelques années, Toulouse mise sur les transports du futur, et veut se hisser parmi les champions mondiaux en la matière. L’objectif, pourtant ambitieux, semble à portée de main puisque ces derniers mois, les entreprises se pressent aux portes de la ville. En janvier, l’américain HTT annonçait avoir choisi Toulouse – avec quatre autres sites – pour développer son projet d’Hyperloop, des capsules supersoniques capables de relier Toulouse à Montpellier en 25 minutes à près de 1200km/h dans un tube. De quoi rendre obsolète une hypothétique LGV… D’ici 5 ans, HTT aura investi 40 millions de dollars dans son centre de recherche de Francazal, construit une piste d’essai d’un kilomètre, et embauché au moins 20 salariés en CDI, dont 5 avant la fin de l’année. Le tout avec la bénédiction de la Métropole, de l’État et de la Région.
En mars, c’est Continental Automotive, déjà très implanté à Toulouse, qui annonçait un nouveau programme de recherche pour faire communiquer les voitures. Investissement : 200 millions d’euros sur cinq ans et 150 emplois à la clé d’ici fin 2017. Dans le courant de l’été, Renault misait à son tour sur Toulouse en reprenant l’ancien site d’Intel et 261 de ses ingénieurs, pour y développer les logiciels qui équiperont les véhicules intelligents du groupe Renault-Nissan. « Toulouse sera en première ligne sur la connectivité des véhicules, le multimédia, le trafic… », annonçait alors son grand patron, Carlos Ghosn. La métropole accueillera aussi Eva, une startup spécialisée dans le transport urbain de passagers en drones. Transpod, une autre société active dans l’Hyperloop, y songerait. Et il se murmure qu’un autre géant du secteur pourrait lui emboîter le pas dans les tout prochains mois. Si on élargit la liste aux annonces de ces dernières années, les projets de transports innovants se comptent par dizaines. La toute première navette sans chauffeur des Toulousains d’EasyMile est testée à Pibrac, mais aussi à Paris par la RATP, et dans plusieurs métropoles mondiales. Airbus, de son côté, planche sur un projet de drone-taxi urbain, qui pourrait prendre son envol d’ici fin 2018. Et la liste s’allonge à l’envi.
Un écosystème unique au monde Mais qu’est-ce qui fait donc se presser ces industriels à Toulouse ? Sans surprise : l’avion. « Quand on sait faire un avion, on sait faire beaucoup de choses, souligne Alain di Crescenzo, président de la CCI Occitanie. Nous avons par exemple des cadors des systèmes embarqués, utilisables dans une voiture, un bus, un train, etc., et qui joueront un rôle essentiel dans les transports du futur. Et comme l’aéronautique est ce qu’il y a de plus exigeant, nous sommes réputés pour notre excellence, et notre fiabilité ». « Dire qu’on vient de Toulouse, c’est comme un label qui renforce la crédibilité de votre projet », confirme Michel Aguilar. Cet ancien ingénieur à la Direction générale de l’armement développe depuis des années Xplorair, un projet de véhicule autonome « disruptif » pour particuliers à décollage vertical qu’il espère pouvoir présenter au salon du Bourget en 2019. Pour lui comme pour de nombreux acteurs économiques, l’attractivité de Toulouse auprès des professionnels des transports vient aussi de son foisonnement de startups, PME et grandes entreprises spécialisées dans l’aéronautique, l’automobile, le train, la motorisation, mais aussi l’électronique et les datas, qui joueront un rôle au moins aussi important dans les transports de demain. Airbus, Safran, Continental, NXP, ATR, Siemens Mobility, Daher, Actia ou EvoTech… La concentration est unique en Europe, voire au monde. « Quand vous cherchez à vous implanter, autant le faire dans un lieu où vous trouverez un écosystème qui vous permettra de travailler avec des partenaires de très grande qualité », insiste Alain di Crescenzo. C’est d’ailleurs ce qui a convaincu Dirk Ahlborn, cofondateur de HTT, de s’installer à Francazal, comme il l’expliquait en janvier dernier. « Toulouse est un site historique d’innovation. Il y a ici beaucoup de ressources dans les technologies de l’aéronautique et du spatial parallèles à notre activité, et un vivier de talents qui nous permettra d’embaucher certains des esprits les plus brillants dans le domaine ». Le Californien touche là à l’un des autres atouts essentiels de Toulouse : « Les entreprises, doivent toujours penser au coup d’après, poursuit Alain di Crescenzo. Donc ce sont aussi nos capacités de recherche et développement, nos formations et nos universités de pointe qui les attirent chez nous ». Laas CNRS, Enseeiht, Insa, Enac, … Toulouse est l’une des villes françaises les mieux dotées en écoles, universités et laboratoires de recherche liés aux transports de demain. Preuve de ce dynamisme, l’Institut de recherche technologique (IRT) Saint-Exupéry a annoncé ces dernières semaines un investissement record de 10,6 millions d’euros sur 4 ans dans un programme de recherche pour améliorer les performances des véhicules électriques (voitures, avions…). Pour enfoncer le clou, les responsables politiques et économiques sont de tous les salons professionnels et développent ZAC, clusters et autres pôles de compétitivité dédiés. L’aérospatiale a son Aerospace Valley à Montaudran, les véhicules autonomes auront leur Francazal Mobility Park, l’automobile a son cluster Automotech, et les drones ont Robotics Place. « L’idée, c’est aussi de bénéficier de cette diversité unique en France pour créer un label Transports terrestres intelligents Occitanie, et de chasser en meute pour décrocher des contrats », précise Dominique Faure, vice-présidente de Toulouse Métropole en charge du développement économique. Au-delà des retombées financières, Toulouse devrait aussi bénéficier concrètement de cette effervescence et se transformer en véritable laboratoire à ciel ouvert. Après Pibrac et le campus de Paul-Sabatier, la navette autonome d’EasyMile sillonnera bientôt les allées Jules-Guesde. Et si le futur était déjà là ?
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