On a beau s’étonner de le voir déjà président du Conseil départemental de la Haute-Garonne, rien n’a été laissé au hasard par Sébastien Vincini. Reste deux questions auxquelles même ses proches peinent à répondre : après quoi court ce fils d’immigré italien, et jusqu’où ira celui à qui l’on doit l’accord Nupes à l’échelle nationale ? Boudu a tenté de mener l’enquête.
Lorsqu’il devient, le 13 décembre dernier, le 6e président du Conseil départemental de la Haute-Garonne suite à la démission de Georges Méric pour « raisons personnelles », c’est un étrange sentiment qui parcourt les travées de l’hémicycle. Car s’il est, à 44 ans, l’un des plus jeunes, en France, à accéder à une telle fonction, son élection au perchoir du CD31 est tout sauf une surprise.
Sébastien Vincini et la politique, c’est une (très) longue histoire d’amour dont il faut chercher les racines dans ses origines familiales. Comme beaucoup d’Italiens, son grand-père, ouvrier agricole dans la province de Piacenza, traverse les Alpes. Un départ précipité, du jour au lendemain, encore inexpliqué un siècle plus tard. « Je crois qu’il a eu affaire aux Brigades Noires, mais il n’a jamais voulu en parler. »
En France, il est trimballé de ferme en ferme au gré des besoins des propriétaires terriens, avant de s’installer à Picarrou, un hameau cintegabellois où il s’emploie à s’intégrer sans se faire remarquer. « Mes grands-parents étaient des besogneux. Mon père et ses deux frères ont été élevés comme ça. Il fallait travailler. »
Élevé à la dure, le père de Sébastien Vincini démarre comme apprenti chez un peintre en bâtiment, avant de s’installer à son compte. Puis ses qualités ballon au pied sous le maillot de Mazères lui permettent d’intégrer l’usine de fabrication d’artifices Ruggiéri, pendant que sa femme, rencontrée à la fête de Saverdun, en fait de même dans l’usine de textile. « À l’époque, entrer dans une usine, c’était sécurisant, il y avait une mutuelle, le Smic etc. » Ses premiers souvenirs, c’est donc dans la rue principale de Mazères que Sébastien Vincini va se les construire. Fils unique « parce que ma mère avait mal vécu la fratrie », il vit une enfance heureuse, au milieu d’une pléiade de cousins et cousines, où il ne manque de rien. « J’avais même l’impression d’être choyé quand mon père venait me chercher à l’école le vendredi avec un petit cadeau. »
Sans avoir conscience de sa condition, il intègre néanmoins rapidement (et brutalement) que tout a un prix, un soir de Noël. « Vu que je n’avais pas eu tous les Playmobil que j’avais commandés, je me suis mis à pleurer et à insulter le Père Noël. Ma mère, qui n’avait pas tendance à enrober les choses, m’a alors expliqué que c’était eux qui achetaient les cadeaux. » De cette scène, il ne conserve aucune amertume, conscient des sacrifices fournis par ses parents pour lui offrir une enfance normale : « Le jour où la Nintendo est sortie, je l’ai eue. »
En contrepartie, l’exigence de sa mère en matière de devoirs et de résultats scolaires est acceptée. « Elle voulait que je réussisse, sans doute pour me permettre de m’extraire de ma condition, même si elle n’en parlait jamais. »
Comité des fêtes
Par chance, il développe très tôt une véritable passion pour l’école. « Quand on est fils unique, l’école, c’est les copains, la rencontre avec les autres. Écouter les instits, les profs, m’a tout de suite passionné. Et puis il y avait les livres que je pouvais emprunter au CDI alors que chez moi, il n’y en avait pas. »
Une envie d’apprendre qui lui fera accepter plus facilement la décision de ses parents de le mettre, en CM2, en pension chez ses grands-parents à Saverdun « Il n’y avait qu’une classe à Picarrou, et l’organisation pour m’amener tous les jours était trop compliquée ». Malgré l’absence de contrôle parental, il demeure un très bon élève : « J’ai toujours été très autonome. »
À Saverdun, il rencontre un instit peu banal, communiste, hussard de la République, « qui fumait la pipe en classe et nous faisait écouter du jazz, Ferrat, Brassens, Prévert… »
Un instituteur qu’il rend d’ailleurs « responsable » de son intérêt pour la politique : « Le jour de la rentrée, il a demandé à la classe pourquoi j’étais le garçon le plus important. La réponse ? J’habitais à Cintegabelle, la ville de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale. Dès que je suis rentré à la maison, j’ai regardé le JT pour en savoir plus. »
Les journaux télévisés, il ne va plus en louper un seul : « Je deviens rapidement infernal, je ne supporte pas l’intolérance, la guerre du Golfe me rend profondément malheureux, je pleure devant le JT. Mes parents sont obligés d’éteindre la télé. »
Pour satisfaire sa soif de politique, il se tourne vers sa voisine, Emilienne Pic, secrétaire de section du PS, intègre le Comité des fêtes de Picarrou, s’immisce dans toutes les conversations : « Ici les portes ne sont pas fermées à clef, donc on rentre chez les gens sans frapper. Et on tchare. »
Pour les anciens, le jeune Vincini devient l’enfant du village toujours là, aux aguets, à écouter les conversations de grands. La campagne de Jospin en 1995, il la vit comme un rêve éveillé. Le lycéen rêve d’intégrer les rangs du PS. Mais ses parents le lui interdisent, craignant que « cela me fasse du tort pour trouver du travail. Tu vas être marqué au fer rouge » lui répètent-ils.
En bon fils, il respecte leur volonté et patiente jusqu’en septembre 2001, et son embauche au Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) pour intégrer officiellement le Parti à la rose.
Jospin, l’idole
Entretemps, le jeune homme n’est pas resté les bras croisés. Son passage au lycée Pierre d’Aragon de Muret, où il se forge pas mal d’amitiés, fait office de révélateur. Il se souvient notamment d’un cours de français où un camarade utilise l’expression Peu me chaut. « Je ne l’avais jamais entendu ! Je comprends alors que l’on ne vit pas dans le même monde. » La différence de condition, il la touche surtout du doigt quand il doit renoncer, en 1ère, à s’inscrire en prépa « parce que mes parents ne pouvaient pas me la payer » et un an plus tard à l’INSA (Institut national des sciences appliquées) de Rouen pour les mêmes raisons. « Ne pas pouvoir accéder à des études, je le vis comme une injustice. »
Ce sentiment se renforce en 1994 avec l’adoption par le gouvernement Balladur du CIP (contrat d’insertion professionnelle). Dans le dos de ses parents, il saute dans le train direction Toulouse, où il découvre la fièvre des manifs. En parallèle, il est de plus en plus réceptif au discours de Lionel Jospin, « son idole », dont il apprécie le sens de la pédagogie : « Il ne se limite pas à l’écume. Il prend le temps d’expliquer la complexité du monde. Il n’a peut-être pas déclenché la passion, mais quelle pensée formidable ! »
De l’ancien Premier ministre, il tente de s’inspirer dans les conversations de comptoir où le jeune Vincini s’emploie à « déconstruire » les arguments trop simplistes : « Je déteste les raccourcis et le populisme, quand on dit, « c’est comme ça ». Dans les discussions familiales, s’il y a un sujet politique, c’est moi qui mets les pieds dans le plat. Cela rendait fou mes parents. Mais je l’ai toujours fait. »
Du côté des études, sa passion pour l’infiniment grand et l’infiniment petit – son livre de chevet est alors Poussières d’étoiles d’Hubert Reeves – le conduit vers la fac de Sciences. Sorti major du Deug, il découvre l’hydrogéologie et se spécialise en ingénierie de l’environnement : « Je n’étais pas sensibilisé au sujet mais je le deviens quand je comprends que les hydrogéologues peuvent travailler pour le Service public. » Major du DESS en géo sciences appliquées dans les métiers de l’environnement, il effectue son stage au BRGM où il est embauché.
Politiquement, ses premiers pas au sein du MJS, en pleine campagne européenne, se font sur la pointe des pieds. « Je découvre un univers qui me paraît un peu hors sol, avec des jeunes très érudits, qui ont lu beaucoup de bouquins, qui discourent sur Jaurès. » Mais il apprend vite. Tous les soirs après le boulot, il passe rue Lancefoc, au siège du PS 31, au cas « où il se passerait quelque chose ». Et pour écouter, tapis au fond de la salle, les poids lourds de l’époque : Mirassou, Traval, Carreiras et autre Cohen débattre. « Très vite, je deviens boulimique de rencontres partisanes. Je cumule mon boulot avec les réunions, puis la campagne présidentielle où je deviens le jeune de Cintegabelle que le MJS fait monter sur la scène à tous les meetings de Jospin. On fait des bornes, on dort dans les bus, je n’ai plus de vie. Mais je suis tellement heureux de vivre ça. C’est extraordinaire. »
La même année, en 2001, il rencontre celle qui va devenir sa femme, Amélie, elle aussi politisée, « un peu plus à gauche que moi. Ma vie se met alors sur des rails ».
Monsieur eau
Sa montée en puissance politique va connaître une accélération lorsqu’une crise dans les métiers de l’environnement, en 2003-2004, lui fait perdre son emploi. De manière totalement inattendue, il découvre les affres de l’intérim et même du chômage. Une période compliquée : « C’était culpabilisant, surtout vis-à-vis de mes parents. Quand je rentre chez moi le week-end, on n’en parle pas. Mais je sens bien qu’ils ne comprennent pas. » Déterminé à ne pas quitter la région pour rester auprès de sa compagne, il envoie des centaines de CV. En vain. C’est alors qu’il se tourne vers Gérard Roujas, sénateur socialiste qui le prend comme assistant parlementaire. Mais l’expérience fait long feu. Au bout de quatre mois, il réalise qu’il veut continuer à travailler dans l’environnement. Il intègre alors le Conseil régional d’Occitanie lorsqu’une direction de l’Environnement y est créée.
Aux côtés de René-Marc Villemot, « un intellectuel de l’écologie d’une créativité incroyable », il s’éclate : « Ce sont les premiers Agenda 21 des collectivités, il y a une effervescence incroyable, on touche à tout, mon sens du service public se révèle encore plus. »
Ancien chef de service environnement au Conseil régional, Pascal Beer-Demander se souvient « d’un garçon très intelligent, qui connaissait très bien ses dossiers, doté d’une grande maturité pour son âge ». Mais aussi d’un homme qui devait jongler avec ses responsabilités politiques « même s’il restait discret sur ses engagements ».
De 2004 à 2010, le « Monsieur eau de la Région » ne va en effet cesser de franchir les étapes. Rien d’étonnant quand on sait que dès son adhésion au MJS, il ambitionne de devenir « le chef de ces garçons et filles parce que je les trouvais déconnectés, dans un entre-soi. » Moins sévère avec le socialisme du Sud-Ouest qu’il juge plus « populaire », il devient secrétaire de section à Cintegabelle en 2003. Un choix mûrement réfléchi, qui pose les bases d’un enracinement local. « Nous ne comprenions pas vraiment ce choix à l’époque, reconnaît son ami Matthieu Sauce qui milite alors avec lui sur la 5e section du PS à Toulouse. Avec le recul, je pense qu’il avait compris qu’il serait plus utile là-bas…
mais aussi qu’on était nombreux à Toulouse ! » Un choix qui surprend d’autant plus que son assiduité rue Lancefoc, au siège du PS 31, a été remarquée par Kader Arif, alors premier secrétaire, qui, séduit par ce jeune militant qui « écoutait, cherchait à se nourrir des anciens, y compris quand il était en désaccord », le fait entrer à la direction en tant que secrétaire fédéral à l’environnement. Quelques années plus tard, c’est au secrétariat aux élections, poste éminemment stratégique, qu’il est nommé.
Mais Sébastien Vincini n’en démord pas et enfonce le clou en 2007 lorsqu’il rachète la maison de ses grands-parents à Picarrou pour s’y installer. « À Toulouse, je n’en pouvais plus du Jardin des Plantes. Quand je vois le panneau Piccarou, je sens un relâchement. C’est mon cocon. Je connais chaque angle, les gens qui m’ont vu grandir, tout le monde m’appelle Sébastien. »
Dans ce hameau de Cintegabelle, il a ses repères. Bien que travaillant à Toulouse, il revient chaque week-end pour voir les copains d’enfance, devenus maçon, carrossier, avec lesquels il s’adonne au tuning, sort en boite. Bref vit une vie banale de jeune homme. « J’ai besoin de voir mes amis, et Amélie comprend ça. Et puis j’ai toujours en tête le conseil de Gérard Roujas qui m’avait dit que pour réussir en politique, il fallait trouver un équilibre entre la famille, les amis et l’engagement. Et rester proche des gens. »
Terre à terre
Déjà président du Comité des fêtes, où on le surnommait playboy plus jeune « parce qu’il aimait charmer », glisse son copain Jean-Louis Rémy avec lequel il faisait les grillades, il ne manque plus que l’écharpe de maire pour compléter le tableau. Mais Sébastien Vincini a la lucidité, en 2008, de sentir que son tour n’est pas encore venu. C’est en 3e position sur la liste de Rémy qu’il entre dans le Conseil municipal de Cintegabelle.
Acculturé à la fonction publique, Sébastien Vincini se démarque par une approche rationnelle : « Je sais ce qu’il y a à faire, qu’il faut installer l’assainissement à Picarrou, construire un collège à Cintegabelle, etc. Je suis très terre à terre dans mes propositions.»
Les nuages font néanmoins leur apparition dès le premier conseil municipal lorsque l’équipe fraichement élue découvre l’état des finances de la commune. « On avait 6 mois pour redresser la barre au risque d’être mis sous tutelle. » Après avoir hésité à rendre leur tablier, les nouveaux élus relèvent le gant tout en nourrissant une colère sourde contre la gestion de Christian Brunet. « On se rend compte que des services ont été créés sans faire payer le juste prix, en puisant dans les réserves de la commune. Sans parler du PLU qui avait été fait n’importe comment. »
L’équipe se met au travail et Sébastien Vincini ne laisse pas sa part au chien, prend en charge le PLU, avance sur l’assainissement à l’échelle de l’Interco… « Je me légitime auprès de mes pairs de Cintegabelle et des villages alentour » résume-t-il. En 2011, il songe à se présenter aux cantonales face au conseiller sortant qui n’est autre que… Christian Brunet qui a gagné de quelques voix en 2004 contre Jean Delcassé. Face au même adversaire, qui est le médecin respecté de la ville, Vincini et ses amis pensent que cette fois-ci, il va perdre. Après avoir passé l’été 2010 à consulter, depuis les figures locales jusqu’à Pierre Izard, il se lance dans la bataille. Sinon que Christian Brunet ne l’entend pas de la même oreille. Très vite, le duel tourne à l’affrontement générationnel. À l’issue d’une campagne interne violente, le verdict des urnes est sans appel. Avec 75 % des suffrages, Sébastien Vincini est désigné par les militants pour défier le médecin Delcassé.
Mais loin d’apaiser les esprits, le résultat divise les Cintegabellois, d’autant plus que Christian Brunet, loin de s’avouer vaincu, décide de partir en dissidence. Très vite, la campagne dégénère : « Des cons m’agressent dans la rue, je me fais insulter, on me traite de petit Sarkozy. Plus grave, les familles se déchirent, y compris la mienne. » À l’issue d’une campagne où il ne pense pas une seconde à jeter l’éponge, Sébastien Vincini termine 3e avec 18,5 % des voix. Une claque pour celui qui, avec le recul, reconnaît « n’avoir absolument pas vu venir la rouste. Il a joué sur l’affect et ça a marché. J’ai pourtant mouillé la chemise. » Et de se rappeler le hameau de Gaillac-Tolosa où il est rentré dans toutes les maisons- « j’ai même bu de la prune ! » -pour… 0 voix ! « Il a mené un travail de sape, à coup de promesses d’embauches, d’aides à la pierre, de rumeurs. J’ai eu droit à tout. Et ça a fini par marcher. Des gens qui m’avaient poussé ont fini par me trahir. Jusqu’à Izard qui soutenait, en sous-main, la dissidence parce qu’il fallait que notre génération perde. »
Anéanti à l’annonce du résultat, « dans notre propre mairie », il se ressaisit dès le lendemain et appelle à voter Brunet pour empêcher le canton de basculer à droite et ne pas compromettre les municipales d’après. À ses côtés durant cette période, Matthieu Sauce se souvient : « Le jour de la claque, il a séché ses larmes très rapidement. Cette capacité de rebond m’a impressionné. »
Le principal intéressé explique : « Sur le coup, je le vis comme un rejet de ma personne. Donc c’est dur. Quand on fait de la politique, on cherche à être aimé. Le seul truc qui me raccroche, c’est d’arriver en tête à Picarrou, où les gens me connaissent. Et puis j’ai la rage de continuer à faire de la politique. C’est d’ailleurs ce que me dit Izard quand je l’appelle pour lui faire part de ma décision de soutenir Brunet. » En dépit des trahisons, il s’accroche et accepte, dès le lendemain la proposition de Sébastien Denard, premier secrétaire fédéral du PS 31, d’organiser les primaires du PS.
Coup de fil de Jojo
S’il vit l’annonce des résultats devant les conseillers généraux réélus triomphalement la veille (et dont il comprend alors la trahison) comme une humiliation, le plus important est ailleurs.
« Le système Izard n’a pas réussi à me mettre la dernière balle », image-t-il.
Pour panser ses plaies, il s’investit comme un fou dans l’organisation des primaires et tire les enseignements, à froid, de la séquence difficile qu’il vient de vivre : « La politique, c’est le temps long. J’ai blessé un homme, déçu des copains du lycée, divisé ma propre famille. La politique ne doit pas amener ça, il y a eu une incompréhension, je n’étais pas là au bon moment. »
Actuel premier secrétaire fédéral du PS 31, François Briançon se souvient d’un jeune qui digère vite : « À la différence de beaucoup de sa génération, il a compris qu’il fallait être présent, écouter, emmagasiner de l’expérience. Et d’une certaine façon attendre. C’est un vrai signe d’intelligence. » Romain Cujives, qui a toujours eu, au sein du PS, la réputation d’être trop pressé, est bien placé pour juger celui avec lequel il a fait ses classes au MJS. « J’ai toujours été plus ambitieux que lui. En revanche, quand il a quelque chose en tête, il décide de s’entourer en conséquence, et met tout en œuvre pour y arriver. » Son compagnon de route Matthieu Sauce souscrit : « On avait le manche au sein du MJS, mais arrivé au PS, on n’a pas grillé les étapes, on a respecté les anciens. Et cela s’est fait naturellement. »
Reste que la claque de 2011 va profondément changer l’homme pour Nadia Pellefigue : « C’est un tournant. L’échec et la manière dont ça s’est passé l’a marqué au fer rouge et l’a amené à changer son rapport aux autres, à devenir plus prudent. »
En pleine réflexion après sa déconvenue aux cantonales, Vincini reçoit un appel de Georges Méric, conseiller général socialiste du canton de Nailloux, qui lui propose un déjeuner. Celui que ses proches appellent encore « Jojo » vient d’échouer dans sa tentative de déstabilisation de Pierre Izard menée avec d’autres, dont Alain Fillola et Claude Raynal. Au cours du déjeuner au Pastel, celui qui a perdu sa place de vice-président dans la manœuvre ne cache pas son intention de repartir à l’assaut de la forteresse. Mais cette fois, en s’y prenant autrement : « Il faut mettre la main sur l’appareil politique. Et pour prendre la Fédé, j’ai besoin de toi », résume Sébastien Vincini.
Recoller les morceaux
Séduit par la hauteur de vue de Méric, qui lui fait lire René Char, il relève le défi. Il comprend également que pour maitriser son destin, et éviter les mauvaises surprises, il doit devenir le chef. Ce qui est en passe d’arriver dès l’année d’après, en 2012, quand son courant, les Aubrystes, devient majoritaire. Convaincu d’être l’homme de la situation -« je connaissais cette fédération mieux que personne,»- il est néanmoins contraint de s’effacer au profit de Joël Bouche, par le jeu des courants politiques. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il accepte d’être secrétaire fédéral adjoint. Loin de trainer des pieds, « Numerobis » joue au bon soldat et profite d’être dans l’ombre pour continuer à tisser sa toile tout en apprenant à travailler avec des gens qui ne l’aiment pas. « J’apprends à faire le distinguo entre l’affect et la politique. » Alors élu à la mairie de Toulouse, Romain Cujives mesure alors la mue de son camarade : « Il a beaucoup bossé et prouvé qu’il était capable de dépasser le côté “homme du NPS”. »
Au lendemain de la déroute municipale, la pièce en 3 actes se déroule, de manière implacable. Premier acte : l’élection de Claude Raynal aux sénatoriales, contre toute attente, où Vincini expose au grand jour qu’il est passé maître dans l’analyse des tableurs Excel.
Deuxième acte : son accession à la tête de la fédération après la démission de Joël Bouche et sa décision de promouvoir de nouvelles têtes provenant d’autres courants que le sien comme Sabine Geil-Gomez, une proche de Bertrand Auban ou Christophe Lubac, identifié comme l’héritier de Cohen : « Je construis mon équipe en complexifiant, en brouillant le jeu. J’ai toujours fait ça, pour ne plus jamais être enfermé dans un clan ou une seule vision. »
Troisième acte : son élection en tant que conseiller départemental qui précède celle de Georges Méric à la tête du Département. Depuis sa défaite en 2011, Sébastien Vincini s’est employé à recoller les morceaux. Tout sauf une sinécure : « Il a fallu se réconcilier avec tout le monde, ça a pris du temps. Mon boulanger ne voulait plus me vendre de baguettes. Même ma femme se demandait s’il ne fallait pas partir. » La réélection de Jean-Louis Rémy lors de l’élection municipale en 2014 le remet définitivement en selle. Et quelques mois plus tard, il s’attaque aux départementales, sur un canton élargi.
La partie s’annonce loin d’être gagnée. En décembre, à seulement trois mois du scrutin, une projection de la Dépêche du Midi annonce des duels LR/FN partout. Pour éviter le fiasco, Vincini décrète l’union sacrée et décide de tout diriger, ou presque, depuis la rue Lancefoc : « On pilote toute l’expression médiatique, avec un programme unique, on mutualise les coûts. »
À l’issue d’une campagne de terrain menée tambour battant, le PS et ses alliés font mentir les sondages. « Tout le monde a eu tellement peur de perdre, que chacun s’est mis en sacrifice collectif. » Quelques semaines plus tard, Georges Méric devient président du Conseil départemental, conformément au pacte scellé quatre ans auparavant. « Il fallait quelqu’un de différent pour ne pas retomber dans les vieux travers. Et je n’ai jamais trahi un deal politique. »
Au côté du nouvel homme fort de l’exécutif départemental, qui lui ouvre l’esprit « sur un tas de choses comme la philosophie pré-socratique », Sébastien Vincini, malgré la frustration de ne pas être nommé vice-président, se voit confier le budget, le syndicat des eaux et la gestion du personnel, domaine ô combien important dans une collectivité habituée jusqu’alors à ce que soit le président Izard qui s’en charge. Pas simple surtout « quand il y a une promesse à honorer de favoriser plus de dialogue », éclaire Henri Mateos, l’homme de l’ombre du Parti socialiste.
Mais Sébastien Vincini n’a pas peur du combat. Et le monde syndical ne lui est pas étranger depuis qu’il a créé la section CGT au Conseil régional. Délégué social territorial CFDT au CD 31, Hugues Bernard témoigne : « Il ne faut pas oublier qu’il est ingénieur territorial. Échanger, débattre, ça ne lui fait pas peur. Il est ouvert au dialogue. Ce qui ne l’empêche pas de trancher. Et d’assumer ses choix. »
© R.benoit
Des choix d’autant plus faciles à assumer que le champ d’action laissé par Méric est considérable. Au point que certains se demandent même qui tire les ficelles dans le binôme Méric-Vincini ? La question divise autant qu’elle alimente les fantasmes dans le Landerneau politique.
Pas de bile
Sur sa relation avec Méric, Sébastien Vincini conteste vivement les soupçons de manipulation : « C’est vrai qu’il me concède une partie du pouvoir. On nous appelait d’ailleurs Dupond et Dupont. Mais chaque fois que j’ai senti que j’allais un peu trop loin, je me suis mis en retrait. »
Il n’en est pas de même à la Fédération du PS 31, où il a les coudées franches. Tout en renouvelant les têtes au sein de l’exécutif haut-garonnais, il ne se livre cependant pas à une chasse aux sorcières, comme le souligne Pierre Cohen, ancien maire de Toulouse, qui se rappelle qu’il a « toujours été respectueux et attentif à ce que je représentais, même si on était très opposé politiquement. Il n’avait pas envie de tout casser. Et quand nous avons décidé de quitter le parti à la fin du mandat de François Hollande, il a été très respectueux de notre décision. » Matthieu Sauce décrypte : « Il a besoin de débattre, d’ouvrir les portes, c’est sa marque de fabrique. »
Aude Lumeau-Préceptis en est le parfait exemple. Transfuge du PC où elle évoluait au sein du bureau national, elle est regardée de travers à son arrivée au PS 31 jusqu’à ce que Vincini lui demande de la rejoindre à la direction. « Mais ce n’est pas pour autant qu’il voulait mettre des coups de pied et tout foutre en l’air. Il est très attaché à l’héritage de son parti et il veut s’entourer de gens qui respectent ça. » Lorsqu’il a décidé, en revanche, la conseillère départementale de Castanet-Tolosan admet qu’il vaut mieux éviter de faire obstruction : « C’est un homme qui tranche. Et il assume même s’il est capable d’évoluer. » L’homme n’est toutefois pas du genre à se fâcher : « Même après les ruptures politiques, il fait toujours attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Particulièrement avec ceux qui ont milité avec lui. Il ne tue jamais personne. Il n’a pas de bile, c’est une grande richesse dans le monde politique où l’affect prend souvent le dessus. »
Pour Nadia Pellefigue, Vincini a ses convictions… jusqu’à la lecture du rapport de force : « Et il a une bonne capacité à le lire. Il préfère être le faiseur que le perdant. » Un côté stratège qui peut l’amener à décevoir, y compris ses plus proches comme Romain Cujives lorsqu’il décide pour les dernières municipales de ne pas suivre le choix des militants PS pour faciliter l’émergence de la candidature Pellefigue. Sous couvert d’anonymat, un membre influent du PS déplore : « Le problème de Vincini, c’est qu’il a de la constance dans le travail mais qu’il peut être inconstant sur la ligne politique. » Un autre membre historique du PS, qui préfère lui aussi témoigner à couvert, enfonce le clou : « Il sait manœuvrer mais il n’abat jamais ses cartes. Ce qui l’anime, c’est l’ambition, le pouvoir. » Même son de cloche du côté d’un vice-président du CD31 pour qui l’homme de Cintegabelle « est tout le temps dans la stratégie, le coup du moment, sans regarder les conséquences à moyen et long terme ».
Beau joueur, Romain Cujives assure pourtant ne plus lui en vouloir, allant même jusqu’à lui reconnaître une grande utilité dans le rassemblement des forces de gauche dans l’entre-deux tours : « Sans lui, on n’y serait pas arrivés. Il est convaincu, comme moi, que la gauche n’est pleine et entière que lorsqu’elle est rassemblée. »
Reste la méfiance que suscite la relation quasi fusionnelle qu’il entretient avec ses amis d’enfance, Matthieu Sauce, secrétaire général du PS 31et surtout Éric Daguerre, ancien directeur de cabinet de Méric, avec lequel il a gravi tous les échelons et que certains n’hésitent pas à qualifier de « mauvais génie » de Vincini. « On ne part pas en vacances ensemble, on ne se reçoit pas le week-end, se défend l’ancien directeur de cabinet de Cohen au Capitole. C’est plus un compagnonnage intellectuel et politique qu’amical. Quant au plan de conquête, c’est avec Roujas, Méric et Raynal qu’il l’élabore. Pas avec moi. »
Il n’empêche que la décision de Vincini de le nommer Directeur général des services (DGS) en pleine tempête médiatique avec la révélation par Médiacités, début 2023, de l’espionnage téléphonique des directeurs administratifs du conseil départemental de Haute-Garonne (du temps où il était dir cab de Méric) interroge. « Dans une collectivité où il y a 6500 personnes qui travaillent, c’est imprudent, observe un cadre du parti. Ce qui est troublant, c’est que Vincini semble prêt à accéder à toutes les requêtes de Daguerre. Et l’image que ça renvoie est très clanique. Mais on ne sait pas ce qu’il y a dans la balance bénéfices-risques… »
Qu’importe, Sébastien Vincini avance tel un rouleau compresseur. Et depuis 2017 et la déroute des présidentielles/législatives, c’est vers Paris que son regard se tourne avec un objectif : prendre d’assaut Solférino. Convaincu qu’il faut que la nouvelle génération prenne le pouvoir, il se dépense sans compter, rédige des notes, rencontre les figures montantes du parti, enchaine les réunions, les allers-retours à Paris sur ses propres deniers. À la fois étonné d’être mis sur le devant de la scène et déterminé à franchir les étapes. Encore et toujours. « Quand on perd en 2017, tous les cadres du parti sautent. Il ne reste que les nouveaux premiers fédéraux, nous, les jeunes, propulsés en première ligne. Ce n’était pas prévu. Il a fallu mettre le costume. » Encore faut-il se sentir légitime. « C’est sûr que quand on voit qui il y a eu avant, ça donne le vertige. À ce moment-là, il faut péter les plafonds de verre. »
À force de réunions de travail, avec des pointures, il finit par se convaincre qu’il « tient la route ». Et le complexe lié à ses origines, disparaît. « Parce que visiblement, j’ai du bon sens. » Et qu’à Paris, ils en ont besoin. Comme Anne Hidalgo, qui finit par faire appel à lui, en bout de course, pour l’aider dans sa campagne présidentielle. « Quand elle me propose de rejoindre son équipe, j’accepte à condition de pouvoir lui parler cash, comme sur sa proposition d’abaisser la vitesse à 110 km/h. Je lui dis qu’elle a besoin de s’entourer de cons à la vue basse, de gens qui ont le bon sens paysan. Comme moi. »
Teignous
Pas si complexé finalement l’homme de Cintegabelle. « Je n’ai pas d’états d’âme à dire les choses. Il y a toujours 5 minutes, au début, où je suis impressionné mais avec le temps j’ai dépassé mon complexe d’infériorité. C’est l’avantage d’être petit…»
« Quand tu es fils de modeste, toute ta vie, tu te demandes si tu es à ta place », comprend Kader Arif. Pour Henri Mateos qui connaît bien Vincini pour l’avoir vu arriver à la section V de Toulouse, le terme de complexe est inapproprié : « Il est davantage dans la recherche de la démonstration qu’il peut réussir malgré ses origines. Ce qui peut l’amener à avoir toujours envie de se fixer des défis. Et à user tout le monde. » Mais aussi à courir plusieurs lièvres à la fois comme lorsqu’il décide de se faire élire, en 2020, à la mairie de Cintegabelle où il laisse le souvenir d’un homme talentueux… mais pressé. Monique Courbières, sa première adjointe avant de lui succéder lors de son élection au CD31 raconte : « Ce n’est pas facile d’être son adjointe parce qu’il prend beaucoup de place et qu’il n’arrête pas. Ici, il était un peu à l’étroit entre les problèmes de voisinage et les décès. Il n’est pas fait pour être maire mais davantage pour fréquenter les hautes sphères. Car au fond, il est très politique. »
Une affirmation partagée par tous. Au point que l’on n’est même pas surpris qu’il réponde sans ambages par l’affirmative à la question que tout le monde se pose : a-t-il une ambition nationale alors même qu’il vient juste d’accéder à la présidence du Conseil départemental de la Haute-Garonne ?
« Je suis là pour changer la vie des gens. Dans le mandat que j’occupe pour l’instant. Je suis convaincu que le bas nourrit le haut : ce que je vis ici sur la question du numérique alimente la réflexion nationale. Idem sur la question de l’eau. Mais ce n’est pas un aboutissement. Je veux faire de la Haute-Garonne un laboratoire de ce que pourrait faire la gauche. D’où ma volonté de m’engager à fond, notamment dans la création de la Nupes. Mais mon ambition est collective. Je veux faire partie de l’équipe qui va partir à la reconquête. »
Et pour y arriver, il en est convaincu, il faut travailler, sans relâche. « Je suis affligé par la classe politique actuelle, par ses ministres qui peuvent se permettre d’être approximatif sur les chiffres. Il y a 20 ans, ils auraient été obligés de démissionner dans l’heure. La classe politique est devenue grossière, mensongère, on peut dire tout et son contraire en 15 jours. »
Sera-t-il amené à prendre plus de responsabilités dans les mois à venir ? Il ne l’exclut pas. D’autant que ses camarades au bureau national du PS lui reconnaissent de nombreuses qualités, dont celle de leur « faire du bien ». Stéphane Troussel, porte-parole du PS et président du CD 93 : « Il a une personnalité qui permet le dialogue. Même dans les moments un peu compliqués, il est là pour détendre l’atmosphère par son côté très convivial et son sens de l’humour. » Un avis partagé par Johanna Rolland, la mairesse de Nantes et numéro 2 bis du PS : « C’est un homme authentique qui a une bonne perception de l’état de la France. Sur l’accord Nupes, il a compris que l’aspiration à l’unité était forte. Il contribue à reconnecter la voix des gens du bas. »
Des éloges qui n’étonnent pas Kader Arif pour qui « Vincini, c’est teignous, ça s’accroche, ça ne lâche pas. C’est pas soumis aux effets de mode. Dans un monde comme le nôtre, on a besoin de gens comme ça »
Même ses plus proches collaborateurs, comme Aude Lumeau-Préceptis, semblent s’être fait à l’idée de le voir partir, à plus ou moins long terme : « Il a beau vouloir prendre le temps, si on parvient à reconquérir le pouvoir, c’est un ministrable en puissance. Il en a en tous les cas les qualités. »
Un avis partagé par François Briançon, le premier secrétaire du PS 31 qui en a vu défiler suffisamment pour savoir que Vincini n’est pas une « météorite » : « On a affaire à un très bon. Son parcours peut paraître plus laborieux que d’autres mais s’il le veut, il ne s’arrêtera pas là. Il en a beaucoup sous la pédale. » L’ancien directeur de cabinet de Carole Delga Laurent Blondiau confirme : « C’est un besogneux, au bon sens du terme, il n’exprime pas de grandes ambitions. Mais s’il peut continuer à monter l’escalier, il le fera. » À condition, pour celui qui travaille, dans l’ombre, à la destinée nationale de la présidente de Région, de démontrer sa capacité à être un bon président de Département. « C’est l’heure de vérité. Jusqu’ici, il s’est très bien débrouillé. Mais il était un peu caché. Il va devoir faire une révolution intérieure parce qu’il est historiquement très lié à un parti alors que dans une collectivité, il faut savoir fédérer. Et les n°2 ne font pas forcément de bons n°1… »
Une réserve balayée d’un revers de main par Eric Daguerre pour qui cette question n’est déjà plus d’actualité : « C’est quelqu’un qui franchit les étapes et qui se révèle à chaque fois. Dans sa prise de fonction, il est bluffant, dans la clarté de ses décisions et la solidité de son positionnement. Mais je ne suis pas sûr que ce soit un aboutissement. » Vu leur proximité, la remarque n’est sans doute pas à prendre à la légère…
© A.ferreira / CD31