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Fred Menuet : Blague à part

Dernière mise à jour : 1 févr.

Auteur prolifique et comédien fou de scène, Fred Menuet est au cœur de la mécanique du trio Les Toulousains, qui fait marrer la ville et le web depuis 12 ans. Voici l’histoire de ce Vendéen qui a force de blagues, est devenu le plus toulousain d’entre nous. 



Ça ne se voit pas vu d’ici, mais cet homme assis qui se ronge les sangs est l’un des mecs les plus drôles qu’il vous sera donné de croiser à Toulouse. Et endurant, avec ça. Ses proches vous le diront : « Fred n’arrête jamais. » Il est connu pour débiter blagues, vannes et calembours à la chaîne, et jusqu’à épuisement. Il partage ce penchant avec les deux autres membres du trio Les Toulousains : Pat Borg, son copain du Club Med, et Mélissa Billiard, sa partenaire de scène qu’il a fini par épouser. C’est vers elle, d’ailleurs, qu’il tend son regard anxieux sur la photo. C’était fin février pendant une répétition de Parents, leur dernier spectacle. On était à quelques jours de la première, au Studio 55, dans ce théâtre de 240 places dont ils sont à la fois résidents et directeurs artistiques. À cet instant précis, pendant qu’elle ajustait sur scène une intonation, un geste, une phrase, il murmurait des vannes l’air inquiet, et les notait consciencieusement dans son smartphone.


Les voir répéter est un spectacle en soi, une symbiose comme on en voit dans les documentaires animaliers : chêne et cèpe, mangouste et phacochère, ou anémone et poisson-clown. Leur metteuse en scène Aude Gogny-Goubert, qui en a pourtant vu d’autres (Palmashow, Golden Moustache…) est la première à le souligner : « Ils se règlent instantanément sans même se parler. Il n’y a qu’eux qui sachent faire ça ! ». Il est vrai qu’aucun des deux n’empiète jamais sur l’autre, chacun se faisant un devoir de mettre son alter ego en lumière, dans un tempo parfait.


Fred, le fils de paysan vendéen du Club Med, et Mélissa, la Parisienne normando-libanaise du cours Florent, se sont donc bien trouvés. Rencontre au théâtre des 3T à Toulouse au début des années 2010. Premiers frôlements dans la coulisse et les vapeurs éthyliques. Et puis cette fameuse nuit scellant leur idylle : « La romance toulousaine typique, annonce Fred. On se roule une pelle à l’Ubu, et en sortant au petit matin, je m’aperçois que j’ai perdu ma carte bleue. Impossible de payer le taxi. À la place, j’ai hélé un camion-poubelle, qui s’est arrêté pour nous prendre. On est rentrés comme ça, tous les deux, en camion et en amoureux. » Il en rajoute pour faire marrer, mais personne n’est dupe. Fred Menuet est un romantique. « Un amoureux de l’amour ! » hâble-t-il. En aparté, Mélissa glisse : « Il est très fleur bleue. Il assume ses émotions, et je trouve ça chouette. Tout mon contraire. On est parfaitement complémentaires. C’est un petit être sensible ! ». On les croit sur parole, mais on se méfie : on sait que Mélissa et Fred adorent Éric et Ramzy, en particulier pour leur tendance à raconter des craques en interview.


Rire et Challans

Une chose est sûre, Fred Menuet est Vendéen. Né en 1979 à Challans, à 60 km de Nantes et 15 km de la côte. « Ça fait de moi un Vendéo-Toulousain, ce qui n’est pas banal. C’est pour ça que je me sens vraiment à ma place devant un plateau d’huîtres à Victor-Hugo. » Enfance heureuse dans la ferme familiale, même si l’agriculture n’est pas à son goût : « Dès que je pouvais, j’allais prendre l’air. À 15 ans, je me levais aux aurores pour aller vendre des huîtres sur la côte. »


À l’école, il est le copain rigolo : « J’étais petit pour mon âge. Mon arme, C’était l’humour. J’ai tout de suite adoré faire rire. » Première prestation en public à cinq ans dans un costume de poussin. Premier texte au CM1 en Frédo-le-Clodo, le Monsieur Loyal du spectacle de fin d’année. Premiers frissons quelques années plus tard à la foire de Challans, en récitant Le corbeau et le renard en patois sur la place de la mairie noire de monde.


Adolescent, il se passe en boucle les VHS des comiques de l’époque. Le soir, il s’endort en écoutant Raymond Devos. Après le bac, il se cherche : « Mon talent, C’était d’être rigolo. À Challans, il n’y avait pas de BTS Rigolo. Alors j’ai fait Commerce. »


Après l’école de commerce, il décroche son premier job au Club Med de Val-d‘Isère. À sa grande surprise, ses parents l’encouragent. Ils organisent même une petite fête pour son départ. Conforté dans son choix, il prend la route, confiant : « En partant, je me voyais déjà animateur comme Lagaf’. En arrivant, ils m’ont mis à la réception, comme tout le monde. » Depuis ce poste d’observation, il apprend, écoute, scrute, observe, et fait de son mieux pour faire plaisir. Les choses sérieuses commencent au Maroc l’année suivante, au Club Med d‘Al Hoceïma. Cette fois, il est animateur : « Lever 7H, coucher 4H. Écriture, animation et vannes non-stop. Pas de filtre, pas de temps mort. Le rêve. »


Au foot, sans ses crampons, à Beauvoir-sur-Mer en 1989.

Au foot, sans ses crampons, à Beauvoir-sur-Mer en 1989.


Huître et bingo

Sur place, il sympathise avec le chef des sports, un certain Pat Borg : « Cela faisait dix ans que j’étais au Club, narre ce dernier. J’avais un gros vécu là-bas mais j’avais jamais vu un mec pareil. Ça a marché tout de suite. On faisait des apéros-jeux, des bingos à 2H de l’après-midi ! On était toujours partants pour ambiancer. C’était un ping-pong incessant. Avec Fred, on s’alimente en connerie. C’est à qui fera la vanne en dernier, le meilleur jeu de mots. Maintenant, avec le théâtre, les enfants et tout, on fait moins la bringue, mais on a toujours ce truc du Club, cette petite adrénaline à l’heure de l’apéro… et cette façon de ne jamais s’arrêter. C’est pénible pour les autres. Même Mélissa, parfois, est saoulée ! »


Et Pat Borg de raconter ce voyage en voiture de Toulouse à Paris, avec le patron de l’agence de production audiovisuelle toulousaine Pinka Nova : « On montait proposer des sketchs en vidéo. Sept heures de route. Sept heures de vannes. Des blagues sur les panneaux qu’on voyait, les villes qu’on traversait, ce qu’on apercevait au bord de la route. Sept heures plus tard, à Paris, le gars qui nous accompagnait était fou, et a demandé grâce ! »


Au Club Med, à Val-d’Isère, en 2001.

Au Club Med, à Val-d’Isère, en 2001.


Retour au début des années 2000. Après le Club, Menuet migre à Bordeaux dans les bagages de sa petite amie, puis atterrit à Toulouse. Pour trouver un boulot dans cette ville inconnue, il valorise son pédigrée de Vendéen marchand d’huîtres au comptoir de la poissonnerie Belloc de Victor-Hugo. Mais la scène lui manque. Un soir, il se présente à la Rose Noire, un cabaret de la rue Bayard. Son directeur artistique et comique attitré, Michel Peña, est un ancien du Club Med. Chaque soir sur scène, avec sa femme Mélanie qui campe Dalida, il fait défiler, entre deux sketchs, danseuses, fakirs, magiciens, sosies de Johnny et imitateurs.


Désormais rangé de la scène, Peña vit à Salou, sur la Costa Daurada. Un coup de fil suffit à raviver le souvenir de Fred Menuet : « Il avait une énergie incroyable, peut-être un peu trop calée sur les stars de l’humour de l’époque, mais il avait déjà un vrai truc en lui. À force de voir des artistes, je sentais, rien qu’en regardant quelqu’un entrer dans une pièce, s’il était fait pour la scène. Incontestablement, Fred était déjà fait pour ça, mais il n’était pas mûr. »


En pleine répétition.De dos, la metteuse en scène Aude Gogny-Goubert.

En pleine répétition. De dos, la metteuse en scène Aude Gogny-Goubert.


Ticket 3T

Avant de lui ouvrir le rideau de la Rose Noire, Peña l’oriente donc vers un ami de Tarascon-sur-Ariège qui cherche « un mec complet capable de déconner, d’être drôle et sympa », histoire de doter son camping d’une animation digne du Club Med. Camping à Tarascon plutôt que cabaret à Toulouse… certains l’auraient mal pris. Pas Fred Menuet. Peña, qui fut le manager d’Art Mengo, y voit la marque des grands : « Le drame quand on est directeur artistique, C’est qu’on se doit de dire la vérité aux artistes. Hélas, ils ne sont pas tous faits pour l’entendre. Fred, lui, avait les écoutilles grandes ouvertes à la vérité. Il voulait progresser. »


L’expérience à Tarascon dépasse les attentes de Fred : « C’est là que j’ai appris mon métier. Cet endroit compte beaucoup pour moi. J’y ai épousé Mélissa. » Il enchaîne alors étés à Tarascon et hivers sur les scènes de la Rose Noire, du Hibou Fou et du Moulin des Roches où il retrouve Pat Borg, régional de l’étape, qui se régale : « On devient hyper potes. On teste des sketches devant des gens qui ne nous attendent pas et qui sont venus pour les danseuses. Très formateur ! » Dans la foulée, les deux copains vendent à Canal J une série sportive de 80 mini-épisodes baptisée Zéro-Zéro.


En 2010, Fred arrête le cabaret : « J’ai 30 ans. Je sens qu’il faut passer à autre chose. » Il répond à une annonce des 3T, LE café-théâtre de Toulouse. Gérard Pinter, le directeur et cofondateur du théâtre, l’auditionne : « Il me dit : “Tu as du potentiel, c’est vrai… mais tu vas commencer par couper les tickets…” »

Les Airbusiens, les Ariégeois et sa mère


Même aux tickets, il séduit. Spectateurs, techniciens, et comédiens… tout le monde est sous le charme, Mélissa Billiard en tête. Très vite, Pinter lui confie le rôle du chauffeur de salle dans la pièce de Laurent Baffie Sexe, magouilles et culture générale. Le voilà comme un poisson dans l’eau, accueillant les gens comme à Val-d’Isère, les faisant marrer en improvisant comme à Al Hoceïma, et jouant la comédie comme au cabaret. Mélissa découvre alors le phénomène : « Ce qu’il aime, C’est rire avec les gens, qu’ils se sentent à l’aise et mis en valeur. Dans nos spectacles, encore aujourd’hui, il choisit un spectateur dans la salle pour rire avec lui, mais jamais à ses dépens. Il en fait le héros de la soirée ! Je ne sais pas comment il fait. Il a ce truc en plus, ce contact évident. »


C’est le début d’une période dorée. Fred et Mélissa, bientôt rejoints par Pat Borg, deviennent les piliers des 3T. Ils enchaînent les spectacles originaux et les buzz sur les réseaux sociaux avec leurs vidéos qui moquent les travers toulousains. Vidéos qui inspirent un spectacle, Toulousain, vu à ce jour par 60 000 spectateurs. Fred écrit pour lui, Borg, Melissa ou les trois, croque les travers des gens du coin, Toulousains, Airbusiens, Tarnais, Andorrans, Ariégeois… avec deux interdits : ne pas blesser les gens, et ne pas choquer sa mère. Recette imparable pour écrire des spectacles familiaux.


« C’était une période de grande liberté, d’écriture, de jeu et de fête. On a passé notre temps en mode Friends à la Maison des comédiens, créée par Gérard Pinter rue Valleix. On sortait tout le temps. Au Lime, au Shanghai, au Carnaval, au Saint-Jérôme… » égraine Fred. Au Saint-Jérôme, justement, le patron Christophe Baron assiste aux premières loges à la mue du trio : « Le lien s’est fait par Pat Borg, que je connais depuis 15 ans. Je les ai vus évoluer, grandir, écrire leurs spectacles, devenir des piliers des 3T, et gagner en maturité artistique. J’ai accroché tout de suite à leur humour. Ce sont des éponges. Tout ce qu’ils choppent dehors, ils le mettent dans leurs spectacles. »


Avec Pat Borg dans Zéro-Zéro, leur mini-série diffusée sur Canal J en 2005.

Avec Pat Borg dans Zéro-Zéro, leur mini-série diffusée sur Canal J en 2005.


Numéro Six


Une fois à la tête du groupe de restauration La Food Connection (Canaille Club, L’alimentation etc.), ce même Christophe Baron propose en 2020 au trio de bâtir pour eux un théâtre de 250 places dans les anciennes Halles Latécoère de Montaudran, entre son Canaille Club et son Dumbo : « Nous, on est des restaurateurs. Dans notre modèle économique, le théâtre n’est pas une donnée vitale. Il est là pour enrichir l’offre du resto. Ça leur donne une grande liberté artistique mais beaucoup de responsabilités. »


Le Studio 55 ouvre en novembre 2021. En un peu plus d’un an, dans une saison culturelle mitée par la fin du covid, le trio crée sept nouveaux spectacles en solo, en duo, en trio, et en accueille une dizaine. La salle est comble, remplie d’anciens des 3T et de curieux attirés par les pastilles postées sur internet. La mécanique est bien huilée « Mélissa dans le jeu, Fred dans l’écriture et l’impro, et moi je suis le mec à la guitare, le local qui fait les accents du coin et joue les neuneus », synthétise Pat.


Le rythme est soutenu. Le Studio 55 creuse les visages et met du sel dans les cheveux : « Ce rôle d’organisateur est une angoisse, mais j’apprends. J’essaie d’appliquer la règle numéro 1 de Gérard Pinter : anticiper ! L’écriture à ce rythme, au contraire, C’est génial. L’angoisse, c’est si les gens n’aiment pas. » souffle Fred, qui n’en garde pas moins le sens de la fête, parole de Christophe Baron : « On dit que dans la vie, les comiques sont sinistres. C’était le cas de de Funes, il paraît. Fred, C’est tout le contraire. J’adore le voir déconner avec les gens dans le resto après le spectacle, toujours disponible, toujours disposé… Cela dit, on voit bien qu’au fond, c’est un anxieux… »


En faisant les comptes après douze ans de 3T et un an de Studio 55, on découvre que si Mélissa Billiard et Pat Borg ont chacun joué un seul en scène, (Haut les cœurs pour la première, À’ m’en donné pour le second), Menuet n’a jamais franchi le pas. Il évacue la question dans une métaphore de footeux : « Je n’ai pas envie du solo. J’aime l’esprit copain et couple. Mélissa et Pat, ce sont mes numéros 10. Je suis un 6. Je préfère distribuer le jeu. » Et le Deschamps de la vanne, soudain sérieux, de conclure : « Un jour peut-être, quand je serai mûr. Pour l’instant, c’est impossible : seul, je me sens tout seul. »


Fred Menuet sur scène

Fred Menuet au Studio 55, à Toulouse / Photo Rémi Benoit


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