Illustration de l’influence du Stade Toulousain dans la ville, on ne compte plus les bars ou restaurants ouverts par les anciennes gloires du ballon ovale. Exemple avec Jean-Marie Cadieu, l’un des pionniers du genre, qui a contribué, au mitan des années 1990, à faire aimer le Pays Basque à toute une génération
Sous une montagne de muscles, l’homme est un sensible. Il n’est certes pas le seul dans le monde du rugby mais Jean-Marie Cadieu n’en est pas moins un beau spécimen de ce que ce sport viril de prime abord peut engendrer de douceur et de sensibilité. Il suffit pour s’en convaincre de l’avoir croisé, les yeux rougis par l’émotion, alors qu’il était sur le point de baisser le rideau de son restaurant Los Piquillos en 2015.
« Fabuleuses ». Voilà comment l’ancien deuxième ligne des Rouge et Noir qualifie ces deux décennies passées derrière le comptoir de son restaurant-bodega situé au 90 route de Blagnac, au beau milieu d’un quartier un peu enclavé, mais à proximité de l’ancien théâtre de ses exploits sportifs, le stade Ernest-Wallon. Tout sauf un hasard tant il intègre très vite les bénéfices qu’il peut tirer de sa notoriété rugbystique. Trouver un emplacement à proximité pour travailler en étroite collaboration avec les partenaires, supporteurs et joueurs du Stade, telle est l’idée. « Je savais que j’allais pouvoir tabler sur un certain flux. Quand on démarre une affaire, c’est plutôt rassurant. Et puis en ville, les fonds de commerce étaient beaucoup trop chers ! » Le projet à beau comporter certains risques, il tente l’aventure flanqué d’un autre ancien joueur, Jean-Manuel Forteza. D’un bistrot de quartier moribond, ils vont en faire une bodega séduisante. Une transformation en profondeur qui nécessite un lourd investissement (250 000 francs). Mais là encore, la notoriété va donner le petit coup de main salutaire : « C’est sûr que cela a aidé dans l’obtention du prêt, tout comme le fait que la cuisine, c’était ma formation initiale. »
C’est d’ailleurs pour terminer son école hôtelière qu’il décide de quitter sa ville natale de Tulle en 1983 pour rejoindre Toulouse et le Stade Toulousain en junior. « Même si rugbystiquement c’était séduisant, à l’époque, il n’y avait pas forcément de résultats. » À son arrivée, Jean-Marie Cadieu découvre une ville où « l’on respire, pense et parle rugby en permanence ». Même si à l’époque, on en est encore au stade de l’amateurisme pur et dur. Du club, le joueur ne peut attendre que le paiement du loyer de son studio, rue Saint-Roch dans le quartier Saint-Agne, et… une mobylette. « On n’était pas malheureux pour autant ! » Pour gagner « trois ronds », le club le met en relation avec le traiteur qui prépare les repas de joueurs avant-match. Mais dans un coin de sa tête, le jeune homme rêve de nouveau monde. « J’avais envie de voyager grâce au rugby, en Australie ou Nouvelle-Zélande, pour découvrir une nouvelle culture, tout en trouvant un métier. Car à l’époque, une formation dans l’hôtellerie-restauration française ouvrait pas mal de portes. »
Les performances sur le rectangle vert vont en décider autrement. « Rapidement, on a obtenu des résultats et je me suis pris au jeu. » La nécessité de subvenir à ses besoins étant toujours prégnante, André Brouat, l’adjoint aux sports de la mairie, ancien capitaine des Rouge et Noir lors du dernier sacre de 1947, le fait entrer au service des sports de la Ville où, après avoir passé les diplômes requis, il encadre des jeunes sur des stages multisports : « J’ai commencé par la planche à voile sur le lac de la Ramée ! » Sportivement, le déclic intervient en 1985 lorsque le Stade Toulousain met fin à 38 ans de disette en triomphant de Toulon en finale du championnat de France. Un succès inattendu qui modifie le regard des Toulousains sur leur équipe de rugby. « On était des sans grade, qui avions certes une idée du rugby davantage basée sur la reconquête que sur la conquête, contrairement à Béziers. Mais nous n’étions pas favoris. » À leur retour, les jeunes stadistes comprennent qu’ils ont réalisé quelque chose de grand, qui remplit de fierté le peuple toulousain.
Le statut des joueurs change. Et les marques de reconnaissance se multiplient : « Quand tu vas faire tes courses au marché, les gens te saluent. Tu sens qu’il se passe quelque chose. » Ce succès valide également, pour l’ancien international aux 12 sélections, l’approche visionnaire du président Jean Fabre qui comprend l’intérêt de nouer des partenariats avec le monde politique, universitaire et économique. « C’est l’un des premiers à avoir passé des accords avec des grosses entreprises comme Airbus, Matra, pour placer des joueurs qui avaient le bagage pour intégrer ces entreprises-là comme Joël Dupuy, Stéphane Ougier, Didier Lacroix ou Thomas Castaignède… » Titulaire lors de la Coupe du Monde 1991 après avoir soulevé le Bouclier de Brennus pour la 3e fois en 1989, Jean-Marie Cadieu est brutalement contraint de mettre un terme à sa carrière, à l’âge de 30 ans, à cause d’une blessure aux cervicales. Un coup d’arrêt difficile à encaisser pour le joueur qui se rêvait en pionnier du professionnalisme : « On voyait bien que le rugby n’était pas loin d’y arriver. Mais le sort en a décidé autrement. Cela a été compliqué à accepter. » C’est alors qu’il décide de retourner à ses premiers amours, la cuisine, pour continuer à faire vivre les valeurs du rugby auxquelles il est si attaché : « le partage, la convivialité, l’échange et la joie de vivre ». Aux Piquillos, le succès est immédiat. Comme prévu, nombreux sont ceux qui poussent la porte pour approcher l’ancienne gloire du Stade.
Un avantage… mais pas que : « Quand tu es un peu à l’écart du centre-ville, les gens font la démarche de venir jusqu’à toi. Donc tu n’as pas le droit de ne pas te trouver sur place. Si tu n’es pas là, on te le reproche. Sans oublier que les choses vont très vite et qu’au bout de 2-3 ans, les gens t’ont oublié. » Alors l’homme paie de sa personne dans un environnement festif conforme à l’état d’esprit du Pays Basque. Et au final, les (bons) souvenirs l’emportent, même s’il finira par jeter l’éponge au bout de 20 ans : « J’ai vécu des moments intenses, reçu des témoignages incroyables de clients, j’ai eu le sentiment d’accompagner les gens dans une tranche de leur vie, parfois bonne, parfois moins bonne. Mais j’ai vécu avec eux, en étant parfois leur confident, autant auprès des hommes que des femmes. » Désormais reconverti dans l’intérim, Jean-Marie Cadieu n’a pas oublié ce qu’il doit à son passé de joueur. Aussi, lorsque l’opportunité se présente, en 2022, d’intégrer l’association des amis du Stade Toulousain (propriétaire des terrains, ndlr), il n’hésite pas longtemps : « Parce que je veux tout faire pour que notre modèle perdure, et inscrire le club dans l’avenir. »
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