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  • BOUDU

Alain Di Crescenzo : Droit au but

 Comprenez-vous la défiance, voire l’exaspération d’une frange de la population à l’égard des patrons ? Je rappelle qu’il y a un patron voyou sur trois millions. N’oublions pas que le salaire moyen d’un chef d’entreprise est inférieur au salaire d’un employé sur le plan national… Donc il faut relativiser. J’ai plutôt l’impression que la cote du chef d’entreprise augmente. Aujourd’hui, quand on demande aux jeunes ce qu’ils veulent faire, ils ne répondent plus « fonctionnaire » comme il y a quelques années mais « entrepreneur ». À quoi attribuez-vous cette évolution ? D’abord à la communication positive qui a été faite sur les start-up. Ensuite aux aspirations profondes des gens, qui ne veulent plus avoir un patron sur le dos.

Et vous, qu’est-ce qui vous a conduit à opérer ce choix ? Un modèle familial ? Non. Pour mon père, la vraie réussite, c’était d’être fonctionnaire d’État. Quand je suis rentré en école d’ingénieur, il l’a vécu comme un drame parce qu’il considérait qu’instituteur, c’était mieux. Peut être parce qu’il n’avait, lui-même, pas eu la chance d’aller à l’école. Quel métier exerçaient vos parents ? Des petits boulots. Mon père était coursier la journée et transportait des fruits et légumes le soir. Ma mère, qui était couturière, travaillait également beaucoup. Du coup, c’était mes grands-parents qui me gardai

ent, en particulier ma grand-mère. Quel était le décor de votre enfance ? Je suis né à Marseille dans un quartier populaire près du Vieux-Port, où vivaient beaucoup d’Italiens, Espagnols et Portugais. J’allais à l’école dans la montée des Accoules, dans le quartier du Panier. C’est la rue que descendent Belmondo et Delon dans Borsalino. Pour des raisons économiques, nous vivions dans le même appartement avec mes grands-parents. Comme on peut le voir dans les films de Pagnol, ils allaient pêcher du poisson et le vendre sur le port de Marseille, comme leurs parents avant eux à Naples. La sardine de Marseille, c’était nous ! Je ne prenais pas en compte la rémunération : je me posais seulement la question du plaisir et de la vie. Vous avez souffert des difficultés économiques du foyer ? Je n’en avais pas conscience. La différence avec aujourd’hui, c’est qu’il n’y avait pas de télévision et que les gens vivaient dans les quartiers. Donc on ne voyait que des gens comme nous. Certes, on ne partait pas en vacances, mais les autres n’ont plus. Et puis par-dessus tout, il y avait de l’amour, parce que je suis fils unique et petit-fils unique. En plus j’étais un mec, ce qui est important. Le dernier des Di Crescenzo. Mon grand-père avait peur que le nom s’arrête. Heureusement depuis, j’ai eu trois fils ! Ce fut donc une enfance heureuse ?

Oui, parce que mes grands-parents étaient des pâtes : mon grand-père m’a appris à pêcher, à jouer aux cartes, aux dames. C’était les pépés gâteaux. Je me souviens de cette odeur du repas de midi qu’il y avait tous les matins quand je me levais : ma grand-mère, que j’accompagnais parfois pour lever les filets de pêche vers 5 heures du matin, n’avait pas le temps de cuisiner après le marché. Je n’ai pas eu le sentiment de manquer. Ce sont donc des souvenirs extrêmement heureux ! Sauf qu’il fallait aller à l’école. Et ce n’était pas votre truc, l’école ? Personne dans ma famille n’allait à l’école. Tout le monde apprenait un métier. Du coup, je voulais faire pareil. Je voulais passer un CAP de mécanique et me payer une mobylette. Mais mon père, qui travaillait si dur, jour et nuit, ne voulait pas que je connaisse la même chose. Il voulait que j’aille à l’école. Moi, j’étais rebelle, je refusais d’apprendre. Alors après m’être fait virer de deux écoles, je me suis retrouvé en école privée en 8ème (CM1, ndlr). Et vous êtes rentré dans le rang ?

Il m’a fallu du temps. Je ne voulais pas faire de longues études. Mon but était d’être rapidement opérationnel et autonome afin de ne pas coûter d’argent à mes parents. Vu qu’ils refusaient que je m’oriente vers un CAP mécanique, j’ai pensé au sport. J’aimais bien le contact humain. Quand je voyais les profs d’EPS, je trouvais ça plutôt sympa. Et puis je ne prenais pas en compte la rémunération : je me posais seulement la question du plaisir et de la vie. L’argent était-il important pour vos parents ? Ce qui était important pour mon père n’était pas la rémunération mais les études. Bien qu’au fil du temps, sa situation professionnelle ait évolué, puisqu’il est devenu directeur d’une agence de transport, tout ce qu’il a obtenu l’a été à la force du poignet car il n’avait que le certificat d’études. Aussi, son obsession, était que j’aie « un vrai métier ». Comme mon grand-père, d’ailleurs, qui a pleuré quand il a cru que j’avais loupé le bac alors qu’il n’avait pas versé une larme lorsque sa mère est morte. À quel moment s’est opérée votre prise de conscience ? En troisième, lorsque je me suis fait virer du lycée huit jours. Alors que je m’attendais à prendre une belle fessée, mes parents ne m’ont pas adressé la parole pendant une semaine. J’étais tout seul comme un idiot chez moi à ne pas savoir où me mettre. Quand j’ai enfin compris l’effort que faisaient mes parents pour que j’aille à l’école, je me suis senti merdeux. J’ai eu honte. Et je me suis dit que cela ne pouvait pas continuer. Dès l’année suivante, je suis passé de dernier à premier. À tel point que lorsque j’ai ramené le certificat d’excellence à mon père à la fin du 1er trimestre, il a cru que c’était un faux ! Moi j’étais plutôt geek au bar et à la planche à voile ! C’est à ce moment là que vous décidez de devenir ingénieur ? Même si je m’étais mis à travailler, et même si j’étais doué en mathématiques, je voulais toujours devenir prof d’EPS. Jusqu’en première où un accident de moto m’a contraint à tout arrêter. Sur les conseils de mon prof de maths, j’ai alors présenté avec succès toutes les grandes prépas. Mais je ne voulais pas quitter Marseille, le bord de la mer, la planche à voile. J’ai donc choisi l’école des Arts et Métiers à Aix-en Provence. Qu’est ce qui vous reste de cette enfance dans les quartiers populaires de Marseille ? Vivre dans des quartiers où on se frottait un petit peu, où c’était assez physique, m’a appris beaucoup de choses. Quand on vit dans un quartier populaire, on voit la violence. Les voyous, c’était mes potes. J’avais un copain avec lequel j’allais à l’école qui a pris 30 ans pour French Connection. Un autre qui a tué quelqu’un. Contrairement à aujourd’hui, ils ne se mêlaient pas à la population. À l’époque, les problèmes étaient contenus. Et il y avait de la solidarité. C’est-à-dire ?

C’était un autre monde, plus humain, qui évoluait beaucoup moins vite : les gens vivaient davantage ensemble, se parlaient. On était altruistes. Par exemple, ma mère tenait un kiosque à sandwiches. Il y avait tellement de malheureux qu’elle les donnait. Du coup, on n’a jamais fait un euro de bénéfice ! On organisait aussi le repas de noël des clochards dans un bistrot près de chez nous. Ma mère faisait la cuisine, on achetait des huîtres, du saumon. Ils offraient des fleurs à ma mère, nous embrassaient pour nous remercier. Je me souviens qu’on allait dans l’arrière-cuisine avec ma mère, pour chialer. Voilà qui ressemble à de la charité chrétienne. Quel rapport entretenez-vous avec la religion ? Enfant, j’avais droit à l’église le mercredi, le samedi et parfois le dimanche matin. Je le vivais comme une contrainte : c’était des messes qui duraient très longtemps. Quand vous êtes gosse, vous ne tenez pas en place. Et puis je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas droit à l’ostie. Plus tard, j’ai été dans une école de curés, avec la prière tous les matins, et des cours de religion jusqu’en terminale où j’ai opté pour l’option bonnes œuvres plutôt que cours de religion. Aujourd’hui, je ne pratique pas mais je suis très attiré par les églises. Je me sens par exemple très bien dans le cloitre de Saint-Bertrand-de-Comminges. Et plus on avance en âge, plus on réfléchit aux choses. En quoi consistaient ces bonnes œuvres ? J’allais voir des gens malheureux, seuls. Quand on a 17 ans, ça fait bizarre de rencontrer des messieurs suicidaires qui se sont fait plaquer par leur femme. On discutait. C’est un très bon souvenir. J’ai d’ailleurs continué après le lycée. Un jour, on m’a demandé de m’occuper d’un drogué. Mon rôle consistait à lui parler et à l’accompagner se faire shooter à la méthadone. Je le portais sur ma moto. La fin a été tragique car il s’est suicidé alors que j’étais en vacances. Pourquoi faisiez-vous cela ? Pour donner un coup de main. À l’époque, j’étais heureux, j’avais 17 ans, mes parents étaient en bonne santé, j’étais en classe préparatoire. Et puis on a toujours vécu comme ça : on rendait service, on donnait de la considération à des gens qui en avaient besoin. Ça doit s’appeler la charité. C’est un principe de base : ne pas laisser crever les gens dehors. Reprenons le fil de votre parcours. Qu’avez-vous fait après les Arts et Métiers ? La dernière année avait lieu à Paris. J’ai donc découvert la capitale. C’était vachement sympa. Je me baladais beaucoup. On m’appelait « l’homme à la valise molle » : j’avais une vieille voiture, et une valise assez souple, dans laquelle il n’y avait presque rien, que je trimballais d’un appartement à un autre. Et puis je faisais beaucoup la fête : Paris, c’était facile pour rencontrer des gens, draguer, communiquer. Cette ville m’a tout de suite plu.

Vous vous laissiez vivre, en quelque sorte ? Disons que je n’avais pas de plan de carrière. Les choses se sont décantées lorsque j’ai fait mon service militaire. À l’époque, je n’aimais pas l’informatique. L’ordinateur plantait tout le temps et ceux qui en faisaient étaient des geeks. Je partageais ma chambre avec l’un d’eux. Quand je rentrais de fêtes, j’avais un mal fou à dormir parce que son Atari faisait beaucoup de bruit. Moi j’étais plus geek au bar et à la planche à voile ! J’étais néanmoins conscient qu’il fallait que je m’améliore. C’est pour ça que j’ai souhaité faire mon service dans un centre de recherche informatique. Et vous avez contracté le virus de l’informatique ? J’ai passé un DEA d’algorithmique et d’informatique graphique. Ça m’a plu. Je suis tombé un peu amoureux de la recherche. À la fin de mon service militaire, le centre de recherche m’a proposé de m’embaucher pour faire une thèse, et vu que j’étais très orienté recherche, j’étais intéressé. Mais ça ne s’est pas fait à cause du salaire. C’est-à-dire ? Je m’étais fixé un salaire pour être embauché en tant qu’ingénieur thésard, à 15 000 francs par mois. Or, on me proposait 14 500 francs. C’était pas mal mais j’avais décidé que je ne travaillerais pas pour moins de 15 000. J’ai donc refusé. Ce n’était pas irrationnel : j’avais décidé que je valais 15 000 balles. Ça s’appelle un seuil psychologique. C’est alors que j’ai rencontré le directeur général de XAO Industries qui a accepté de m’embaucher à ce salaire. Comment qualifieriez-vous vos débuts dans la vie professionnelle ? Nous étions de joyeux chercheurs. Mais on pensait à tout, sauf au client ! Ce n’était pas le monde de l’informatique mais celui de la start-up au début de l’informatique. C’est-à-dire que c’était du bricolage. Parfois on livrait un produit qui n’imprimait pas les plans, on disait « c’est pas grave ». Et le client ne se formalisait pas. Dans le même temps, j’avais créé ma société dans le domaine des télécoms, à une époque où l’on sentait que les portables n’allaient pas tarder à arriver. Au moment où j’allais quitter XAO, nous avons été rachetés par une holding de IGE et on m’a proposé d’en prendre la direction générale. C’est comme ça que je suis devenu patron à 29 ans. Le soir, à Paris, les gars étaient dans les embouteillages, tandis qu’ici ils buvaient le pastis. Qu’est ce que ça fait de devenir patron si jeune ? Je n’avais pas beaucoup d’ambition étant jeune, mais je voulais être directeur général pour le sens et la responsabilité de l’engagement. Je voulais être capitaine du bateau. J’avais donc atteint mon objectif. Après, l’enjeu, c’est qu’il ne coule pas. Et c’est là qu’on entre dans l’engrenage, dans une spirale infernale qui s’appelle le travail. À l’époque, le bateau n’allait pas très bien. Parfois j’arrivais à peine à payer les gens. C’est une sacrée responsabilité quand on a 29 balais de faire vivre 30 familles. La fonction vous a tout de suite plu ? J’étais très heureux dans cette position de capitaine, à montrer l’exemple. C’était beaucoup de travail mais dans un univers passionnant, celui des nouvelles technologies. C’est un peu l’équivalent des objets connectés aujourd’hui. On inventait des choses tous les jours avec une entreprise qui commençait à marcher. C’était un peu comme une drogue. Même si le poids des responsabilités était tel que je n’ai pas pris de vacances pendant trois ans.  Votre ascension est alors fulgurante… À partir de 1991, je deviens patron de la branche parisienne et directeur commercial du groupe. Puis en 1995 directeur général du groupe. La logique professionnelle aurait voulu que j’habite à Toulouse dès 1991 mais ma femme vivait à Paris. J’ai donc fait les aller-retour jusqu’à notre séparation en 1999, et ma décision de venir m’installer ici. Dans une entreprise présente à la fois à Toulouse et à Paris, existe-t-il des différences de mentalité d’un site à l’autre ? À Paris, c’était un peu plus sérieux. À Toulouse, il y avait un bar dans l’entreprise. Du coup le soir, à Paris, les gars étaient dans les embouteillages, tandis qu’ici ils buvaient le pastis. Idem pour les codes vestimentaires : à Paris, c’était chemise cravate en clientèle alors qu’à Toulouse, ils y allaient en jean. Ici, j’ai vraiment retrouvé le Sud. C’était hyper cool. Diriez-vous qu’il existe une mentalité toulousaine ?

Oui, celle de l’accueil et de la convivialité. À Marseille les relations sont plus superficielles. Ici, on s’inscrit plus dans la durée. Mais si je suis tombé amoureux de ce territoire, c’est aussi parce que j’ai été accueilli de façon extraordinaire. Les gens se sont occupés de moi, sans doute parce que ce n’était pas commun de voir un papa seul avec deux bambins de 1 et 4 ans.  Est-ce cet accueil qui vous a conduit à prendre des responsabilités au sein de la CCI ? Oui, même si je me suis trouvé là-dedans par hasard, grâce à François Junca, ancien président de Latécoère et des Arts et Métiers. En arrivant, j’ai trouvé une maison extraordinaire. Vous imaginez : un établissement public, gouverné par des entrepreneurs, dont l’objectif est de soutenir toutes les entreprises, c’est énorme. Donc quand on m’a proposé d’être élu, j’ai accepté, président de commission idem. Et quand on m’a proposé la présidence, je me suis laissé tenter. Votre emploi du temps n’était pas assez chargé ? Si mais cette expérience s’est avérée riche en satisfactions. J’étais peut-être le cador dans les logiciels mais en termes d’aménagement du territoire, de développement durable ou de relations avec les politiques, j’avais tout à apprendre. J’ai donc beaucoup travaillé pour maitriser ces dossiers. Depuis cinq ans, je suis à l’école, j’apprends tout le temps, comme chez XAO. Et j’ai l’impression de redevenir intelligent, rapide dans les raisonnements. Alors au fond, cet engagement n’est pas si désintéressé. Pourquoi ce besoin d’apprendre ? Lorsque je me suis retrouvé jeune directeur d’XAO, j’ai présenté un projet, devant des chefs d’entreprise, pour obtenir une bourse du ministère de la Recherche. Après avoir gagné le premier prix, j’ai été reçu par le président de l’Anvar. Lorsqu’il m’a posé des questions sur le retour sur investissement, les cash-flows, je me suis retrouvé incapable de répondre. Il m’a alors dit : « Tu ne réussiras pas dans la vie parce que tu as beau bien parler, connaître ta technologie et avoir un discours marketing, si tu n’as pas la finance, tu échoueras. » Je suis reparti de là, sonné, et je suis allé directement acheter des bouquins d’expertise-comptable. C’est un élément important de ma vie car je n’en serais pas là aujourd’hui si je ne m’étais pas intéressé à la gestion. Un peu comme avec l’informatique, j’ai fait d’un échec un élément de stimulation. aujourd’hui, ça peut être perçu comme un affront de dire à un jeune qu’on le voit chef, à sa place, dans 20 ans ! Quel plaisir tirez-vous de votre job de chef d’entreprise ? D’abord celui d’avoir créé de la valeur ajoutée. Au départ, on était 3, maintenant on est 400. On était à Toulouse et Paris, maintenant on est dans 21 pays et sur plus de 30 sites. En 1998, on faisait 9 millions d’euros de marge brute, aujourd’hui on en est à 28 millions, on faisait 1 million de pertes, aujourd’hui on fait 5 millions de résultat, et je n’avais plus de trésorerie, et aujourd’hui j’en ai 30 millions. Je n’ai pas vu le temps passer parce que c’est passionnant de voyager et de travailler avec des gens qui n’ont pas les mêmes habitudes. C’est une stimulation intellectuelle permanente. Et c’est ce qui est bien avec cette boite : j’ai donné mais elle m’a beaucoup donné aussi. Les techniques de management ont-elles changé depuis vos débuts ? Avec les jeunes, oui, parce qu’ils sont beaucoup plus tournés vers l’expérimentation alors que nous étions davantage tournés vers la carrière. Ils ne veulent plus forcément évoluer, comme nous, dans l’entreprise : aujourd’hui, ça peut être perçu comme un affront de dire à un jeune qu’on le voit chef, à sa place, dans 20 ans ! Vous avez expliqué, au début de notre conversation, la recrudescence de vocation chez les jeunes par leur envie de maitriser leur biorythme. Qu’entendez-vous par là ? Ils ont la volonté d’être le pilote de leur destin. Mais aussi l’envie de travailler à leur rythme. Ce qui est une erreur. On s’aperçoit vite qu’il y a un écosystème qui vous force à accélérer : vos collaborateurs qui croient en vous, et vos clients qui vous mettent la pression. Donc travailler à son rythme, c’est plus de la croyance que de la pratique. Et puis in fine, c’est la passion qui commande. Parce qu’au fond, l’entreprise, c’est un peu une histoire d’amour. N’est-ce pas cette passion qui conduit de plus en plus de chefs d’entreprise au burn-out ? Ça a toujours existé sauf qu’avant on ne le disait pas. Regardez les nervous breakdown dans les Tontons flingueurs. Je crois qu’aujourd’hui, on est dans une période où l’on est beaucoup plus sensible à la souffrance et où l’on parle de ses maux. Mais la dépression nerveuse a toujours existé. Et si ça se déclare au travail c’est parce qu’on y passe la majorité de son temps.  Vous ne l’attribuez donc pas au contexte, plus anxiogène ?

Peut-être, mais cela n’est pas dû au travail. Ce sont les 4 millions de chômeurs, ou la baisse du pouvoir d’achat, qui inquiètent. Remettez de la croissance et baissez le chômage et vous verrez baisser les nervous breakdown. Après, un chef d’entreprise, c’est un combattant. Comme un boxeur, après en avoir pris plein la gueule, il a besoin d’être rassuré quand il regagne son coin. Et ce coin, pour un chef d’entreprise, c’est la famille. Vous n’hésitez pas à tenir un discours que beaucoup qualifient de libéral. À vous entendre, c’est en libérant le marché que tout ira mieux. Quand je vois toutes les contraintes qui pèsent sur la France, j’ai envie de dire que nous sommes le premier pays du monde. Si vous les enlevez, vous en faites un avion à réaction. Il faut simplifier le droit du travail. Aujourd’hui, en France, on préserve les gens en place et on fait en sorte que personne ne rentre dans le marché du travail. C’est tellement difficile de débaucher quelqu’un que l’on n’embauche plus. Le corollaire, c’est la flexibilité du travail qui conduit à une forme de précarisation, non ? Peut-être mais il faut se poser les vraies questions. J’en ai marre de voir nos diplômés, formés dans nos écoles, par nos impôts, partir à l’étranger. C’est une triple peine pour la France et les entreprises. Aujourd’hui, les conditions contractuelles sont les plus strictes du monde et nous avons l’un des taux de chômage les plus élevés parmi les pays développés. Je pense que l’urgence est de libérer le travail. Remettez de la croissance et baissez le chômage et vous verrez baisser les nervous breakdown. C’est votre solution pour réduire le chômage ? Je voudrais que nos dirigeants aient confiance en leur pays, leurs jeunes, en leurs gens. Il y aura peut-être un peu de flottement au départ mais ce qui est sûr c’est qu’à la fin ça paiera. Il faudrait, par ailleurs, rendre l’apprentissage obligatoire. Il faut forcer la rencontre entre l’entrepreneur et le jeune. Je suis sûr que le chef d’entreprise va jouer le jeu parce que la différence, c’est qu’aujourd’hui, le chômeur, c’est son fils, son cousin.  Avez-vous l’impression d’être entendu par les politiques ? On ne peut pas dire que cela n’avance pas. Les politiques ont compris. Maintenant c’est dans l’exécution qu’ils ont peur. Du point de vue électoral, libérer un peu le marché du travail, c’est compliqué. Mais mathématiquement, c’est impossible de faire autrement. On a consommé tous les amortisseurs sociaux. Le problème, comme pour la LGV, est de savoir quand on va réagir : si c’est dans 20 ans, cela risque d’être grave.  En devenant président de la CCI, vous vous êtes engagé pour la collectivité. Pourriez-vous embrasser une carrière politique ? C’est une vraie question. J’ai été beaucoup sollicité, de tous les côtés d’ailleurs, mais je n’y ai, pour l’instant, pas répondu favorablement. Mais je ne dis pas que je ne le ferais pas. Peut être que ce qui a manqué jusqu’à présent, c’était un projet.

Briguerez-vous un nouveau mandat à la CCI ? On a beaucoup créé avec des ressources en moins. J’ai envie que ça continue. Parce que l’écueil du chef d’entreprise, c’est l’isolement. Autant il y a 50 ans un gars seul avec sa petite équipe pouvait abattre des montagnes, aut ant aujourd’hui ce n’est plus possible. Pour gagner ou pour être efficace, il faut être en équipe ou chasser en meute. L’homme que je suis va donc continuer son engagement auprès de son pays et de ses entreprises. Est-ce que ce sera au sein de la CCIT ? On verra. Cet engagement vous a valu la légion d’honneur. Comment l’avez-vous vécu ? Comme une vraie surprise. J’en suis très fier. Quand je vois la légion d’honneur, c’est comme quand j’entends la Marseillaise ou que je vois un drapeau se lever, ça me fait quelque chose. C’est un élan d’encouragement pour faire mieux. Je sais que je ne suis pas le plus méritant. Mais c’est un honneur. Parce qu’au fond, je suis très patriote.

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