DJ Mayday : Un mec en platine
- Orane Benoit

- 5 avr. 2024
- 5 min de lecture
Il connaît le hip-hop local sur le bout des doigts. Depuis plus de 20 ans, Mehdi Maghjouj alias DJ Mayday , fait tourner ses vinyles à Toulouse pour les rappeurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Début mars. Les fenêtres sont ouvertes, le soleil est doux. Sur la table du salon, Mehdi Maghjouj déballe méticuleusement ses platines. Autour de lui, tout un tas de babioles qui prennent la poussière. Au mur, des étagères croulent sous le poids des vinyles. Il est souriant. « Comme toujours », diraient ses amis. Depuis plus de 20 ans, il fait danser les Toulousains et briller les vedettes locales du hip-hop. Il est né d’une histoire d’amour entre une Parisienne et un étudiant marocain qui a rompu avec les traditions : « En France, mon père est vu comme un bon samaritain, mais pour sa famille au Maroc c’est un rebelle. » Mehdi a le sentiment d’avoir entretenu cette rébellion en devenant notamment DJ.
Cette idée germe dans sa tête dès la fin de la maternelle, lorsqu’il se fait happer par les clips diffusés à la télévision. À Jolimont, ses copains jouent au foot, commencent à faire des bêtises, tandis que Mehdi, lui, reste scotché à la télévision. « Elle a été un de mes éducateurs pendant les heures creuses. Mes parents voulaient m’écarter des mauvaises fréquentations, donc je suis devenu un geek. La musique occupait tout mon temps libre. Je rêvais musique. » Un ami de son père, qui vendait des vinyles aux puces, fait office de déclic : « L’été quand il rentrait au bled, il demandait à mon père de garder son stock. C’est comme ça que j’ai commencé à décortiquer des vinyles. Il y en a toute une partie qu’il n’a jamais récupérés et que j’ai saignés… des Marley, Renaud, Jackson, du funk aussi avec Kool and the gang. » Les vinyles ne le quitteront plus. Il en fera même sa marque de fabrique. « Les nouvelles technologies ont du mal à imiter ce résultat, ce toucher, qui a transformé la platine en instrument de musique, entre la percussion et l’arrangeur. »
Se prépare alors dans sa tête d’ado un « projet secret » : acheter des platines et devenir DJ. Après avoir usé celles du salon familial, il finit par acquérir en 1999 sa première platine de DJ et son premier vinyle de rap, Dr. Dre - Still D.R.E. « Au début, je mixais en catimini. Et je stockais mon matériel et mes vinyles chez ma mère pour ne pas que mon père s’inquiète. » Au lycée Raymond-Naves, il se fait un groupe de potes épris, comme lui, de culture hip-hop. Avec son crew de breakeurs, ils passent tout leur temps libre dans un vieil algeco promis à la destruction, pour s’entraîner à danser et écouter des sons. Là, il rencontre DJ Ritmin, qui deviendra un de ses meilleurs amis et un mentor.
« On était le groupe de hip-hoppeurs gentils qu’on peut présenter à sa belle-mère »
Rêves de ciné
À force d’arriver en retard en cours, il est convoqué par la Vie scolaire et se retrouve face à Gilles, le pion, alias Ethik, qui anime une émission sur Radio Campus. Ils engagent une conversation sur le hip-hop. Ethik teste sa culture musicale, qui s’avère immense. Il finit par l’inviter dans son émission. C’est à cette époque que Mehdi crée, avec DJ Ritmin, DF le Mr Chill, Mr Han’s et Malick Simple, le groupe I2C. « On était le groupe de hip-hoppeurs gentils qu’on peut présenter à la belle-mère ». C’est le début de DJ Mayday qui commence à se sentir « activiste du hip-hop ». « Je voulais m’appeler DJ Mehdi, mais c’était déjà pris par une légende… Un jour, en enregistrant chez moi mon ami DF, il m’a demandé comment je voulais être crédité. Je lui ai dit DJ Mayday ? Il m’a dit. Oui, c’est bien ça. Je n’ai jamais changé. »
Il fait ses débuts alors qu’il n’a même pas 18 ans, dans les bars, les petites salles et les discothèques comme l’Aposia, la plus grande boîte de nuit d’Europe à l’époque. Alors qu’il n’est même pas encore majeur.
Pourtant, à ce stade il n’envisage toujours pas d’en faire son métier. Il rêve de faire du cinéma et se met en tête d’intégrer l’École Nationale Supérieure de l’AudioVisuel, (ESAV). « Personne à Toulouse ne vivait du métier de DJ, et je ne voulais pas compromettre ma passion. » Pour ça, il lui faut un bac+2. Il se lance dans des études d’histoires, et accomplit son cursus de 2 ans… en 4 ans. Entre son activité de DJ, l’animation de battles de break internationaux [« Je me souviens avoir animé une prestation d’Abdul Djouhri à l’occasion d’une inauguration dans le métro à Jean-Jaurès. C’était la mode de la tecktonik. Je passais des sons pour que les breakeurs et danseurs de tecktonik s’affrontent. »], son groupe I2C qui fait de plus en plus de concerts, le graff, les cours de théâtre et l’écriture d’articles pour le journal culturel de son quartier, le temps lui manque pour potasser ses cours.
En 2009, il intègre l’Esav. Il s’intéresse à la photo, à la vidéo, et passe ses soirées à la Cinémathèque. À l’école, il reste discret sur ses activités hip-hop « pour ne pas être identifié comme le rappeur de service ». Il est pourtant démasqué par un étudiant qui l’écoute sur Campus. En 2010, alors qu’il anime une après-midi au centre culturel de Bellefontaine, deux enfants se présentent à lui avec un CD gravé. Les prods créées sur garage band, l’appli musicale d’Apple, le laissent au départ perplexe et pourtant : « J’envoie la première musique et je prends une claque. Ils étaient meilleurs que tous les rappeurs qu’il y avait autour de moi. J’ai su dès la première fois qu’ils allaient devenir importants. Ils avaient une fougue, une patate qu’ils ont su conserver. » Ces deux gamins, ce sont BigFlo et Oli.

Triste SMS
Deux ans plus tard, Mehdi devient leur DJ officiel. Dans la foulée, il est repéré par la Dynamo et en devient le DJ résident. De même Au cri de la mouette. Cette fois, c’est sûr, il est DJ. Il est pointu, et reconnu. Les concerts avec I2C s’enchaînent, et Mehdi envisage de rejoindre d’autres groupes, mais pas sans l’accord de ses potes d’I2C : « Je les considère comme ma famille. Je leur ai demandé l’autorisation avant d’aller voir ailleurs. »
En novembre 2013, il reçoit le SMS qui va bouleverser sa vie. « Arthur est mort ». Arthur Maillard, c’est DF Le Mister Chill. « Ça me paraît surréaliste. Je perds mon meilleur ami, mon confident. »Faubourg- Bonnefoy, un chauffard l’a renversé dans la nuit avant de prendre la fuite. À mesure que le train roule en direction de Toulouse, Mehdi réalise. Il ne quittera plus Toulouse pendant 5 ans. « En rentrant, j’ai accepté d’être résident dans une petite boîte qui s’appelait l’Electro. C’était un contrat que DF avait négocié pour moi. Il y avait un côté testament... » Arthur venait de terminer un album solo qui sortira à titre posthume. Quelques semaines après, I2C lui rendra hommage en première partie d’IAM au Bikini.
À Toulouse, les salles qui n’ont pas reçu DJ Mayday sont rares. À 37 ans, il se fait un devoir de faire profiter les jeunes de son savoir et de sont expérience, comme à L.i et Oskur, deux étudiants tarnais. Le plaisir qu’il prend à transmettre trahit une autre aspiration inassouvie du DJ qui voulait être cinéaste : « J’aime la pédagogie, déconstruire, prendre du recul et expliquer. Je crois qu’une partie de moi voulait être enseignant. »















