Sa présidente n’a eu de cesse de le marteler lors du précédent mandat : d’ici 2050, l’Occitanie veut devenir la première région à énergie positive d’Europe (RéPOS). Alors que les derniers points de passage révèlent un léger retard sur le scénario RéPOS, Boudu a voulu faire un état des lieux de la filière pour comprendre pourquoi ça bloque (encore) alors que de l’avis de tous, l’Occitanie dispose de tous les atouts pour y parvenir.
« Avec du vent, du soleil, de l’eau et même de la mer pour faire du flottant, l’Occitanie est bénie des dieux ». Cette assertion de Jean-Marc Bouchet, l’un des pionniers des énergies renouvelables en France, a beau être partagée par l’ensemble des acteurs de la filière, les faits sont là, têtus : l’Occitanie n’est pas à la place qu’elle devrait occuper même si la part d’énergies renouvelables dans la consommation régionale s’élève lors du dernier pointage en 2019 à 22,5 %. « Mais quand on a le premier gisement éolien et le second solaire de la Métropole, on doit faire mieux, considère David Augeix, qui a récemment créé Incidences, nouveau venu sur l’échiquier des développeurs d’énergies renouvelables après avoir été directeur régional d’EDF Renouvelables pendant plus de 15 ans. La région Occitanie est très loin d’être équipée comme elle devrait l’être. » Cet ingénieur diplômé de l’Insa, qui a commencé en tant que professeur en lycée technologique avant de rejoindre Jean-Marc Bouchet lorsque celui-ci créa Energies du Midi à la fin des années 90, n’en mesure pas moins le chemin parcouru. Lorsqu’en 1995, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) lance l’appel à projet Eole 2005, le tout premier du genre dans l’Hexagone, l’objectif affiché est de sortir de terre 500 mégawatts d’éolien. Une broutille avec nos yeux d’aujourd’hui, mais une montagne pour l’époque, comme le rappelle Jean-Luc Sanchez, chargé des affaires et relations extérieures pour TotalEnergies Renouvelables Occitanie : « En 1995, c’était la préhistoire. On n’avait, en France, absolument aucune conscience des EnR, on nous prenait pour des farfelus qui voulaient faire tourner le pays avec du vent et du soleil. Sans parler des délires fantasmagoriques autour de l’éolien à qui l’on reprochait de faire tourner le lait aux vaches ou de rendre les femmes stériles. »
Centralisme énergétique Pour celui qui créa l’un des premiers parcs français (5 éoliennes pour un projet de 3 mégawatts) à Donzère dans la Drôme, le problème est avant tout culturel. Si l’on est en retard par rapport à nos voisins européens, tant dans les chiffres, que dans le déploiement des différentes technologies, c’est le fait de la non-culture de l’énergie. Un rapide cours d’histoire énergétique s’impose : « L’Allemagne ayant été interdite de nucléaire après-guerre, elle a dû trouver des solutions : d’abord dans le charbon, puis rapidement dans les énergies renouvelables, en particulier dans la moins coûteuse et polluante : celle que l’on ne consomme pas. C’est ainsi qu’ils ont été les précurseurs dans l’isolation thermique ou les bâtiments à haute performance énergétique. » Aujourd’hui directeur de l’Arec, l’agence régionale énergie climat, après avoir installé des éoliennes pour le compte de la Compagnie nationale du Rhône au début des années 2000, Stéphane Péré s’efforce de mettre les choix français en perspective : « Lorsqu’on a pris de plein fouet le choc pétrolier, la France a fait le choix du nucléaire, une énergie abondante et bon marché. Et en grande partie décarbonée. Ce n’est que lorsque est apparue la question du stockage, couplée à celle des risques industriels, que l’on a entrepris d’équilibrer l’électron avec du renouvelable. Mais on vient d’un monde extrêmement centralisé en matière énergétique… » Et c’est précisément ce centralisme qui est, encore aujourd’hui, la source des problèmes/freins selon David Augeix, à l’origine de l’un des premiers parcs éolien en Occitanie à Oupia, dans le département de l’Hérault. « Jusqu’à la fin des années 90, c’était l’État, via son instrument EDF, qui construisait les barrages, les centrales nucléaires. Bref qui s’occupait de l’énergie. Avec l’apparition des énergies renouvelables, pour la première fois, c’est l’investisseur privé qui entre en jeu. Cela a constitué une véritable révolution culturelle dans le pays. » La France n’a pourtant pas toujours été en retard en la matière comme le rappelle Jean-Marc Bouchet : « Jusqu’au début des années 70, la France était très en pointe sur le solaire et l’éolien. On était même très en avance par rapport au reste de l’Europe. Mais en 1974, tout s’est arrêté du jour au lendemain quand la France a décidé de se lancer dans le nucléaire. Dans le même temps, les Danois ont fait le chemin inverse. » Et ce sont précisément les Scandinaves que celui qui sillonne alors l’Europe pour construire des centrales hydroélectriques pour le groupe Vinci Energies, décide de visiter, au mitan des années 90, pour comprendre le phénomène. Une révélation : « Je découvre qu’ils ont réussi à faire avec l’éolien ce que l’on ne parvenait alors pas à faire avec l’hydraulique : industrialiser. Les éoliennes, ça poussait comme des poireaux au Danemark ! En comparaison, nos centrales hydrauliques, c’était de l’épicerie fine. »
Panorama de la production d’électricité en Occitanie – Sources Arec, données 2019-2020.
Du vent, du vent, du vent Convaincu par l’efficacité de cette filière, l’ancien capitaine au long cours dans la marine marchande crée Energies du Midi à Béziers en 1998 « avec une planche et deux tréteaux ». Rapidement, il parvient à développer ses premiers projets. « Le début de l’électricité, c’était un truc de passionnés, on se connaissait tous, on se marrait bien même si c’était dur. » Son compagnon de route de l’époque David Augeix approuve : « Au début, on n’était pas nombreux à faire ce métier et à 90 %, c’était des gens engagés qui étaient là pour construire ensemble une brique dans la lutte contre les gaz à effets de serre. » Jean-Luc Sanchez se souvient pour sa part de la rapidité d’exécution des projets : « Il n’a, par exemple, fallu que 2 ans entre le début des études et la mise en service du parc de Donzère. Il faut dire qu’à l’époque, une étude d’impact, c’était l’équivalent d’une déclaration préalable, quelques simulations paysagères faites sur photoshop. C’était instruit comme si vous mettiez un mobil-home dans un camping. Et il n’y avait aucune concertation. » Jean-Marc Bouchet reconnaît aisément l’imperfection des premiers projets tant les centres d’intérêt ont changé avec le temps : « Au départ, nos préoccupations étaient techniques. Point. Puis on a découvert que sur les terres, il y avait des oiseaux. Donc on a pris en compte l’environnement au sens de la biodiversité et on s’est mis à observer les chauves-souris des nuits entières. Puis on a découvert qu’il y avait des gens qui habitaient. Et on a appris à concerter. » Revers de la médaille, l’encadrement règlementaire étant alors proche de zéro, la concurrence fait rage entre des acteurs qui recherchent un prix au kilowatt le plus bas possible. Ainsi pour la plupart des développeurs, rentabiliser un projet d’EnR « il fallait du vent, du vent, et encore du vent, au détriment de toute considération de concertation, de respect de l’environnement ou d’insertion paysagère », résume Jean-Luc Sanchez. Une sorte de Far-west sans règle, ni code de (bonne) conduite, où « des opérateurs peu scrupuleux démarchaient des maires qui avaient des terrains à l’arrière de la commune, dont la limite était la crête qui donnait sur la commune d’à côté. Et les projets se sont faits sans concertation. Et à juste titre l’opposition s’est fait jour. » Pour tenter d’apaiser les esprits et assainir le marché, la mise en place d’un tarif d’achat de l’énergie éolienne par EDF, bloqué sur 15 ans, est décidée en 2001 par Dominique Voynet, alors ministre de l’Écologie du gouvernement de Lionel Jospin, tout comme l’instauration d’une enquête publique ou des études d’impact sur la faune, flore, etc.
Temps fou Mais le mal est fait. L’opposition s’organise et les recours deviennent systématiques. Les projets éoliens, dès lors, mettent un temps fou avant de voir le jour comme à Roquefort-des-Corbières (voir reportage p.30). En parallèle, les projets photovoltaïques se multiplient, l’acceptabilité de la population sur le solaire étant meilleure et les tarifs ayant rapidement diminué dans des proportions spectaculaires : « On ne s’attendait pas à ce qu’elle baisse autant, reconnaît David Augeix. Aujourd’hui, l’énergie solaire est la plus compétitive du marché. » Mais le marché demeure une jungle dans laquelle les élus ont bien du mal à se retrouver. D’où l’émergence, à la fin des années 2000 de Cémater, le premier réseau régional d’envergure qui fédère les entreprises des secteurs des énergies renouvelables et de la construction durable. Stéphane Bozzarelli, son président depuis 5 ans, raconte : « Face à un marché pollué par des éco-délinquants, des élus nous ont demandé de créer une association dans laquelle ils étaient sûrs de trouver des boîtes sérieuses. » Une boîte sérieuse, pour celui qui a créé en 2020 sa propre société, Dev’EnR, après avoir travaillé pendant vingt ans pour des grands comptes du secteur (EDF, Total Quadran, Eolfi-Shell…), c’est avant tout une entreprise qui prend son temps : « Si on veut s’inscrire dans la durée, il ne faut pas vouloir faire un gros coup. Il ne faut pas être aveuglé par le gisement. C’est un paramètre parmi tant d’autres. » Savoir co-construire le projet avec le territoire constitue la deuxième qualité requise pour rassurer les élus : «Il faut leur faire confiance car c’est eux qui connaissent leur territoire. On s’aperçoit, par exemple, lorsqu’il y a un sentier GR, que certains veulent valoriser l’installation EnR alors que d’autres, au contraire, cherchent à la masquer. » Pour Daniel Oustrain, spécialisé dans l’accompagnement territorial des projets EnR, les projets doivent, pour avoir une chance de se concrétiser, qu’il s’agisse d’éolien, de solaire ou de petite hydroélectricité, être ancrés localement et avoir du sens pour les parties prenantes : « Concilier énergies renouvelables et territoires, tendre vers une appropriation locale de ces projets nécessite de porter une réelle attention aux personnes concernées et aux enjeux locaux, d’être dans la coopération, de rechercher des synergies. Au-delà des aspects techniques, financiers et règlementaires, c’est le facteur humain qui est la clef du succès… ou de l’échec. »
Mâts éoliens et puissance installée en Occitanie – Sources 2021 IGN, DREAL
Les banques s’y mettent Aider les uns et les autres à travailler en étroite collaboration, c’est précisément la raison d’être de l’Arec, l’agence régionale énergie climat créée en 2018 par la Région Occitanie pour accélérer la transition énergétique. « Devenir une Région à énergie positive demande d’armer les territoires pour atteindre cet objectif, argumente Stéphane Péré, son directeur. La transition énergétique n’ayant émergé que très récemment dans la tête des politiques, les territoires disposent de peu d’ingénierie. D’où la nécessité de les aider à fabriquer leurs solutions de déploiement des EnR en les dotant d’outils de compréhension, financiers, juridiques. Mais aussi qu’ils soient dans la gouvernance pour qu’ils soient écoutés et entendus. » Un point crucial tant les énergies renouvelables requièrent une très forte acceptabilité sociale. De plus en plus, l’Arec incite les territoires à entrer dans la gouvernance des projets, et même à associer des citoyens via le financement participatif (voir reportage La Baradée, p.40). L’idée maitresse de l’Arec ? Tout faire en co-développement. « Notre principal atout est d’être à l’intersection des opérateurs et des territoires. Lorsque je fais du conseil, je ne rémunère pas un actionnaire. Et je ne vends pas une solution plutôt qu’une autre, explique Stéphane Péré. En jouant ce rôle de tiers de confiance, on participe à une pacification de l’espace. Parce que seuls les projets qui émanent du territoire sont acceptés aujourd’hui. » Pas question non plus d’opposer petits et grands projets : « Si l’on veut massifier, on aura besoin d’éoliennes en mer, de solaire sur les toits, au sol, de gaz vert, de méthanisation, etc. Et de toutes les tailles ! » Accompagner la transformation énergétique nécessite également de mettre la main au portefeuille. Depuis sa création, l’Arec a déjà investi 40 millions d’euros. Bien, mais insuffisant pour son directeur qui se félicite de la naissance d’Occte, un fonds nouvellement créé pour trouver de nouveaux investissements. Objectif affiché ? Lever entre 100 et 150 millions d’euros sur les 18 prochains mois pour continuer ce rôle d’amorçage. « Il y a beaucoup de projets à développer et à financer », justifie Jérôme Lavinaud, gérant du fonds de transition énergétique, qui se réjouit de voir les établissements bancaires de plus en plus enclins à financer les EnR. « Pour que les investisseurs viennent, il faut amorcer la pompe par du financement public. C’est aussi à ça que l’on sert, complète Stéphane Péré. On a par exemple pris 5 % des éoliennes en mer. Idem sur la question de l’hydrogène où l’on porte des risques parce que ce n’est pas encore complètement mâture. » Pas question néanmoins, pour le directeur de l’Arec, de jeter l’anathème sur les opérateurs, partenaires indispensables à la massification souhaitée. « Si on veut être résilient, il faut accepter que celui avec lequel on travaille ne soit pas parfait dès le départ. Mais à partir du moment où l’on sent qu’il y a l’envie de bien faire, on accompagne. Et puis les opérateurs ont bien compris qu’ils n’obtiendrait rien s’ils brusquaient trop les choses.» « Il faut être droit dans ses bottes, parce que l’on construit quelque chose qui va durer. Et on le fait devant chez nous, rappelle Jean-Marc Bouchet, aujourd’hui à la tête de Qair. Il faut donc l’assumer. » Directeur régional d’EDF Renouvelables depuis 6 mois, Antoine Hantz est bien conscient des enjeux : « Notre travail, c’est de convaincre. Et de trouver des projets utiles au territoire. » Reste qu’il considère, comme l’ensemble de ses confrères, les délais d’instruction trop longs : « 7 ans pour du solaire et 10 ans pour de l’éolien, c’est trop long. Il faut vraiment travailler sur l’optimisation des projets. Et la simplification administrative. »
Centrale photovoltaïque sur le site de l’ancienne usine AZF
Impossible planification La simplification administrative, tous l’appellent de leurs vœux. David Augeix, par exemple, regrette le manque de coordination de la politique publique : « L’État n’instruit que par le prisme de la contrainte au lieu de le faire par celui de l’opportunité. Et la réglementation n’a évolué que de cette manière-là. Or même s’il y a eu quelques ratés, quand on fait le bilan de ce que les EnR ont apporté, il n’y a pas de débat possible. Le problème est que l’État n’examine pas ce que cela apporte à l’échelle de l’Occitanie. » Antoine Hantz, son successeur à la tête d’EDF Renouvelables en Occitanie pointe quant à lui certaines problématiques contradictoires. « Les services de l’État ont une politique énergétique à appliquer tout en veillant à préserver la biodiversité. Ce n’est pas toujours évident… » Jean-Marc Bouchet, pour sa part, regrette que l’on ne se soit pas davantage inspiré du modèle allemand en matière de planification : « Chacun fait ce qu’il veut, on n’arrive pas à planifier. Il y a biendes schémas mais ils ne sont pas vraiment appliqués. L’absence de politique claire pénalise l’éolien en France. On est marginalement toléré. On est un vieux pays shooté au nucléaire qu’il faut désyntoxiquer… » Conscient de ses freins, Jean-Luc Sanchez se veut néanmoins confiant sur l’avenir : « On voit bien que la souveraineté énergétique, c’est un enjeu de guerre. En Espagne ou en Allemagne, on a très tôt compris que ce n’est pas demain la veille que l’on verra des chars débarquer pour piquer le soleil, le vent ou l’eau. Ce sont des ressources intrinsèques propres, renouvelables, qui fonctionnent sans rejet de la moindre pollution, qui ne nécessitent aucune extraction de ressource fossile et qui seront démantelées en ne laissant aucune dette aux générations futures. Il ne nous reste plus qu’à intégrer, comme dans ces pays, que l’énergie demande des sacrifices, et peut avoir un coût visuel… »
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