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Furax Barbarossa : Contre-courant

  • Photo du rédacteur: Orane Benoit
    Orane Benoit
  • 6 avr. 2024
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 nov.


Furax Barbarossa / Photo : Orane BENOIT
Furax Barbarossa / Photo : Orane BENOIT

Le regard est fort, appuyé, rageur, sensible… comme son rap. Il est grand, en impose mais s’épanouit à l’écart du feu des projecteurs… comme son rap. Depuis 20 ans, Furax Barbarossa, le rappeur à la barbe rousse, échafaude une œuvre exigeante avec sa voix grave et ses textes tranchants.

Son enfance est rythmée par les mutations de son père militaire. Adolescent, il est batteur dans un groupe de rock agressif et écoute beaucoup de rap. Sa première cassette est pourtant un album de rap de LL Cool J.À 18 ans, il débarque à Toulouse et se fait mettre à la porte par son père. Suivent des années d’errance à bord de son camion. Les arrêts se font au gré des rave party. Furax, vit à l’excès, de drogue, d’alcool, de fête... Mais sur la route, il écrit. Il traduit dans ses textes son regard sur le monde, son histoire, et son désir de bouffer la vie : J’ai quitté la tempête, sur le radeau du rap / J’suis un rescapé, j’empeste / J’ai la dalle et je veux du rab. (Extrait de J’oublierais pas)


Il finit par jeter l’ancre à Toulouse où il rappe avec le groupe Section Marécage de Plaisance-du-Touch et plus tard avec Polychrome 7, groupe de ses premiers succès.

Le Pirate sort huit albums, crée Bastard Prod avec Toxine, Abrazif et Sendo. Il collabore avec Scylla, 10vers, Jeff le Nerf, Hexaler, et prête sa plume à SCH pour les interludes de son album JVLIVS.

« Je fais du rap, comme je l’écoutais quand j’étais petit »

Furax  Barbarossa dans son studio chez lui à Toulouse / Photo : Orane BENOIT
Furax Barbarossa dans son studio chez lui à Toulouse / Photo : Orane BENOIT

1979 : naissance à Vesoul

1998 : arrivée à Toulouse

2006 : État des Lieux, premier album

2019 : signature avec le Label toulousain indépendant  Jardins Noirs


Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez pris le micro pour rapper vos textes ? 

J’ai commencé dans les teknivals, mais c’était un peu à l’arrache. Des gribouillis sur du papier. C’était une sorte de bar perdu dans la campagne. Ce jour-là, il n’y avait pas de public, seulement des MC… C’était éclaté au sol. Aucune ambiance. Et puis, à l’époque, c’était un peu la guerre.


Votre rapport au rap a-t-il changé depuis  ? 

Il n’a pas changé. J’ai toujours autant envie d’écrire des morceaux. Même si l’argent est entré dans l’équation, ça ne change rien. Si demain je n’ai plus d’auditoire, je continuerai. Ma discipline c’est le rap, mais je ne me suis jamais dit : « Ça y est, tu es un rappeur. » Je suis un artiste, conscient qu’il fait de la musique et qu’il crée.


On qualifie votre rap de rap « conscient ». Vous partagez cette définition ? 

Je ne comprends pas. Rap conscient, rap inconscient ?C’est abstrait. Je fais du rap. Je fais du rap, comme je l’écoutais quand j’étais petit. Je vois ce qu’ils veulent dire. J’aborde des thèmes sociétaux, je parle de la vraie vie. L’autre rap, ça doit être l’ego trip, mais on en fait tous. Donc, c’est sûrement ce rap festif qui ne demande pas forcément de thèmes profonds. 


Comment écrivez-vous ?

Ça va vite. Je ne reviens jamais sur mes textes une fois qu’ils sont posés. Si je passe au texte suivant, c’est que le précédent me semble définitif. J’écris chez moi dans mon studio, ou en voiture sur la route. J’aime être seul. Je ne vois pas l’écriture autrement. 


L’écriture est-elle un exutoire ? 

Non, aucune thérapie pour moi là-dedans. Aucun pouvoir exutoire. Ça, ce sont des phrases de poètes. Je raconte des choses, mais ça n’a aucun pouvoir libérateur.


Travaillez-vous votre façon d’écrire ?

L’apprentissage de l’écriture ne s’arrête jamais. Je ne pense pas que tu puisses te dire un jour : « C’est bon, j’ai fait le tour ». Je ne me suis jamais dit non plus : « Ce soir, je travaille mon écriture. » C’est une gymnastique qui vient naturellement. Aujourd’hui, je la travaille différemment, car j’ai envie d’être un peu plus audible.


C’est-à-dire ? 

Quand j’écoute certains de mes anciens morceaux, je les trouve alambiqués. Je vois où je veux en venir, mais je trouve qu’il y a trop de rimes qui rendent les textes difficilement compréhensibles. Je n’ai jamais fait de musique pour les gens, mais j’aime que ceux qui m’écoutent puissent comprendre ce que je veux dire. Aujourd’hui, je préfère aller droit au but, mais sans dénigrer la technique, sans régresser. 


Votre voix, vous la travaillez ? 

Il y a des gens qui me disent à la fin du concert qu’ils sont déçus. « Mais tu n’as pas la même voix en live ! ». Frérot, je ne vais pas te crier dessus…  Je pousse et mon timbre de voix se casse. Mais ce n’est pas ma voix quand je parle au naturel. Je ne prends pas des cours de chant, mais forcément, à force de chantonner, on apprend des trucs tout seul. C’est comme la rime, on apprend un peu tout seul. 


" C'est terrible ce qui se passe dans la tête quand on rappe "

Furax Barbarossa / Photo : Orane BENOIT
Furax Barbarossa / Photo : Orane BENOIT

Vos textes touchent souvent à l’intime. N’est-ce-pas difficile à assumer sur scène ?

Ça ne me dérange pas. Ce que je n’ai pas envie de dire aux gens… je ne l’écris pas. Bien sûr, certains morceaux ont été compliqués à rapper en public. Il m’a fallu du temps pour les digérer.


Une forme de travail sur soi ?

Tu dois te détacher de ce que tu racontes. Si tu es trop dans l’instant et que tu réfléchis à ce que tu dis, tu ne pourras peut-être pas finir le texte. Tu vas te planter, partir dans tes pensées.

 

Ça vous arrive souvent de partir dans vos pensées ? 

Oui, un concert sur deux. C’est terrible ce qui se passe dans la tête quand on rappe. Le texte est ancré dans la mémoire, et donc tu te permets de penser à autre chose. Par contre, je regarde les gens, je me dis « Il est là lui, il était déjà là la dernière fois ! », « Qu’est-ce qu’il a avec sa sale gueule ? », « Pourquoi il fait ça ? » C’est un enfer. C’est pour ça qu’il faut rester focus. Et parfois, tu penses à ce que tu dis « Pourquoi j’ai fait cette rime, pourquoi j’ai dit ça ? J’ai dit ça… c’est chaud. » Tu peux très vite t’égarer.


Quel lien entretenez-vous avec votre public ? 

J’essaie de le rencontrer au maximum après chaque concert. C’est compliqué de discuter avec tout le monde, mais au moins je signe des trucs, je prends des photos. J’essaie de répondre à tous les messages sur Internet. Je n’aime pas ceux qui mettent de la distance. Si j’avais 10 000 messages par jour, je ne répondrais pas. J’imagine que Beyoncé ne répond pas à ses DM. Certains m’écoutent tellement qu’ils croient me connaître. Ils se permettent des familiarités que je ne me permettrais pas avec eux. Certains, tu leur réponds une fois et ça y est, ils pensent que tu vas partir en vacances avec eux !


Quelle est votre histoire avec Toulouse ? 

C’est ma ville d’adoption. Mon daron était militaire et on déménageait tout le temps. Il a été muté à Toulouse en 98 pour la Coupe du monde, et il m’a mis à la porte. Je me suis débrouillé ici dans le secteur. Plus tard, j’ai vadrouillé et je suis parti en camion. Mais mon port d’attache a toujours été Toulouse. Je me considère toulousain.


Racontez-nous vos débuts.

J’ai commencé le rap avec des jeunes de Plaisance-du-Touch, le groupe s’appelait Section Marécage. On a commencé par de petites dates dans des pizzerias, puis plus sérieusement et régulièrement à la Dynamo. La Dynamo, c’est de là que tout part, c’était un sacré lieu.


Imaginiez-vous remplir un jour Le Bikini ou La Cigale ?

Tout ce qui arrive, ça me tombe dessus comme ça. Mais je suis conscient de tout le travail accompli. On a bossé 20 piges pour arriver là. Aujourd’hui, les mecs, ils veulent faire un tube d’entrée de jeu et aller au Zénith tout de suite. Ils n’ont pas la même notion du temps que nous. Nous, on a bossé 10 ou 15 ans pour réussir à tourner toute l’année. Parce qu’on s’est créés un réseau et pour ça, il faut des gens qui te suivent.


L’effet de groupe est-il important à vos yeux  ? 

Ne rien partager artistiquement, c’est impossible. Je serais tombé en déprime. On a commencé à 12, et au fil des années ça s’est un peu réduit. Avant, j’avais un beatmaker, aujourd’hui, je fais de la musique tout seul. C’est marrant et parfois, ça l’est moins. Il y a des jours sans. Si je veux avancer, je suis obligé de le faire par moi-même. Mais aller en concert tout seul, je ne pourrais pas.  


Pourquoi cela ?

Je suis chez moi toute la semaine. Le concert est ma seule sortie. L’occasion de voir mes potes. On ne se voit que là. Ils ont chacun leur vie. Le concert c’est la colo.


Votre avis sur la scène rap toulousaine ? 

J’ai un peu lâché. Je ne sais plus qui rappe à Toulouse. J’en suis resté à l’époque où les rappeurs étaient un microcosme. Tout le monde se connaissait. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus nombreux. Les jeunes n’ont pas forcément besoin des anciens. Et inversement. On vit dans deux mondes différents. Je ne pense pas qu’ils ont à apprendre de moi.


Dans votre dernière mixtape il y a un clip avec les Indians, vous suivez le TFC  ?

J’ai suivi le TFC pendant une année. J’allais à tous les matchs. Et puis j’ai été interdit de stade pour quelque chose que je n’avais pas fait. Ils m’ont accusé d’avoir brûlé des fumigènes alors que je ne suis jamais rentré avec dans un stade. Donc j’ai été arrêté, la totale… C’était il y a huit ans et depuis je n’y suis pas retourné.



Cette mixtape s’intitule Libérable. Vous êtes-vous toujours senti libre ?

J’ai passé une dizaine d’années en vadrouille dans un camion. Il n’y a pas plus libre que cette vie, même s’il y a des contraintes et des règles à respecter. Après, être libre, c’est quoi ? C’est faire ce qu’on a envie de faire, quand on a envie de le faire. Quand on a un travail qui nous casse la tête, on n’est peut-être pas libre, mais il faut bien gagner son beurre. Moi, je me suis toujours senti libre parce que j’ai toujours fait ce que je voulais. Je fais de la musique tous les jours et j’en vis. Je ne vois pas comment je pourrais être plus libre. Peut-être avec beaucoup d’argent, pour ne plus avoir à réfléchir à l’avenir. 


L’argent, c’est la clé ? 

Je mets beaucoup d’argent de côté pour ma fille. Mais pour tout ce qui me concerne, c’est au jour le jour et j’estime qu’on ne m’enterrera pas avec mes lovés, donc je me fais plaisir. 


Pensez-vous à la postérité de vos morceaux ?

Comme le cinéma, comme les livres, toute forme d’art est vouée à perdurer. Tu laisses une trace dans ton époque, à ton échelle. Dans vingt ans, personne ne se souviendra de nous. Ça va vite la musique. On n’a pas assez marqué les esprits. Des mecs comme Booba par exemple, eux, ils resteront, je pense, dans le Panthéon du rap


J’ai quitté la tempête, sur le radeau du rap / J’suis un rescapé, j’empeste / J’ai la dalle et je veux du rab. Extrait de J’oublierais pas
Furax Barbarossa / Photo : Orane BENOIT
Furax Barbarossa / Photo : Orane BENOIT

Au Bikini le 25 mai

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