Le pyrénéisme parle-t-il aux jeunes ? Pour répondre à cette question, je me suis tournée vers l’un d’entre eux, Romain. « Pour comprendre, il faut que tu le ressentes ». Alors j’ai préparé mon sac à dos, et je suis partie le rejoindre au pied des Pyrénées ariégeoises.
Le pyrénéisme ? Soyons honnête, je ne connaissais pas avant de me pencher sur le sujet. Alors j’ai contacté mon ami d’enfance Romain Pintat, instructeur fédéral du club alpin français qui me prévient tout de suite : « Difficile de décrire l’esprit du pyrénéisme par téléphone ». Soit. Pour comprendre, il faut ressentir. Et pour ressentir, il faut le vivre. Il me propose donc de l’accompagner en montagne. Equipée de mon DVA, détecteur de victimes d’avalanches, et de vêtements chauds je mets le cap sur Bonnac en Ariège où mon guide m’attend. Sur la route, je rêve déjà de cascades de glace et de falaises, mais Romain m’a prévenu, c’est la météo qui décide ! Tout juste rentré de montagne, il fait sécher tous ses équipements. « On va surveiller mais ça ne s’annonce pas terrible pour demain ». Du coup, avant de m’endormir, mes aspirations de nouvelles pyrénéistes sont un peu revues à la baisse. Mais le montagnard de 25 ans me rassure : « Ce n’est pas forcément dans la difficulté de la pratique que tu pourras ressentir l’esprit du pyrénéisme ». Sur son application météo, la pluie est annoncée en haute altitude. Pas top. Mais la destination est fixée, nous irons voir les orris de Belcaire, des anciens abris de bergers, au-dessus d’Artigues.
@Jules Boesh
Le lendemain, réveil en douceur vers 8h00. Dans notre sac à dos, gants, k-way, thermos, raquettes et bâtons. Avant de partir, Romain me montre quelques topos dans le livre du guide de montagne et pyrénéiste de 82 ans, Patrice De Bellefon. « Les anciens ont démocratisé la pratique en ouvrant des voies, ces chemins qui permettent d’atteindre les sommets. Avec le matériel de l’époque, ce n’était pas donné à tout le monde et il n’y avait pas autant de sécurité qu’aujourd’hui. Ils ont eu un rôle important ! » Un topo, c’est la feuille de route d’un grimpeur. Sous forme d’un dessin, d’une photo, d’un schéma, les voies sont détaillées et répertoriées. Des noms classiques, cheminée nord, éperon sud-ouest, face sud, parfois à l’effigie des grimpeurs comme les voies des frères Ravier et aujourd’hui des noms plus « inspirés » me dit Romain le sourire aux lèvres. Sa dernière voie, il l’a appelée « Hold up sans docteur » en référence à une journée d’escalade ensoleillée sans le docteur de sa bande.
Les affaires chargées à l’arrière du camion, c’est parti pour une bonne heure de route, le moment où Romain choisi d’aborder sa passion pour la montagne. Originaire du Comminges, il a grandi aux pieds des Pyrénées. « Je ne leur portais pas un regard particulier. Elles étaient juste là, à côté de moi, tout simplement. » Son envie de gravir, c’est sa mère qui la lui communique : « Elle était au club de randonnée et moi c’était l’époque où je faisais de la clarinette. Je n’aimais pas du tout ça et en plus je n’ai pas le rythme, c’est une catastrophe. Donc, ma mère m’a proposé d’intégrer son groupe dont elle était la plus jeune. Ils étaient super sympas, ça m’a beaucoup plu. Alors au collège j’ai fait de l’escalade en salle et j’ai fini par rejoindre le club alpin français en arrivant à la fac. »
Sur la route, la pluie vient tapisser le pare-brise et j’aperçois entre les va-et-vient des essuie-glaces les sommets enneigés. Les virages se resserrent, les habitations se font de plus en plus rares. Il est 10h00 et nous arrivons au point de départ de la randonnée. Les couleurs sont froides, le paysage écrasant et la pluie toujours là. La capuche sur la tête et les chaussures de randonnée aux pieds, la balade commence par un petit chemin de pierre. Romain étant chargé des sélections des jeunes pour le groupe espoir du club alpin français en Occitanie, je profite de ce démarrage plutôt calme pour évoquer les aspirations de ces montagnards en herbe. Il douche quelque peu mon enthousiasme : « Avec l’ouverture, ces dernières années, des salles d’escalade, il y a eu un boom de la pratique chez les jeunes. Maintenant qu’ils savent grimper, ils veulent découvrir la montagne ! » Le brouillard se répand tout autour de nous et masque une partie des crêtes enneigées. Juste avant de sortir les raquettes, une petite pause boisson chaude s’impose, surtout pour moi.
Pour que je comprenne l’importance de l’engagement en montagne Romain profite de notre arrêt pour se confier sur un incident marquant de janvier 2020 : « J’étais sur une crevasse qui a cédé sous mes pieds. Je me suis retrouvé coincé avec le vide juste en dessous de moi. Je me tenais gainé, mais je sentais la neige craquer sous ma nuque. J’ai demandé aux copains de m’envoyer la corde. Mais avec le vent je n’ai pas réussi à l’attraper et j’ai fait 30 mètres de chute. Je me suis arrêté sur un bouchon de neige, ça faisait peur mais c’était beau, très beau. Je pensais vraiment que j’allais mourir, je me suis fait une très grosse frayeur. Les secours m’ont sorti de là en hélicoptère, j’étais juste en hypothermie. Maintenant, je vois les choses différemment, je suis plus prudent mais je n’arrêterai jamais. Ça fait partie de mon équilibre, j’en ai besoin. » Je le sens encore très ému et reconnaissant envers ses compagnons : « Même si c’est une pratique qui paraît solitaire, en fait tu ne peux pas évoluer tout seul. Tu as forcément un compagnon de cordée ».
Nous reprenons notre marche les raquettes aux pieds. Les nappes de neige laissent apparaître les traces de quelques animaux. Puis vient un petit passage les pieds dans l’eau pour traverser un ruisseau au milieu des sapins. La pluie s’intensifie. « On vient de prendre un but météo ! » me dit Romain en souriant avec des gouttes sur les sourcils. Prendre un but dans leur jargon, c’est devoir redescendre d’une voie sans avoir pu atteindre son sommet. Nous voilà partis pour rejoindre plus vite que prévu le camion. À l’amorce de la descente, Romain insiste pour que je passe devant « Tu vas voir ! », se contente-t-il de me dire. Et en effet, c’est une sensation unique de se sentir seule au milieu de cet espace et de marquer temporairement la neige de ses pas. Mon guide du jour, qui a repris la tête, se confond presque avec le voile blanc du brouillard. Je marche, je glisse, ce n’est pas évident mais je me sens bien, « Cette sérénité, je ne la trouve que dans les Pyrénées » me souffle Romain.
Je vois au loin les deux maisonnettes du départ, la balade touche à sa fin. Nous sommes trempés, l’eau voyage sur nos k-ways et tente de s’infiltrer. Je profite une dernière fois de l’air frais de la montagne, je photographie dans ma mémoire ce doux moment puis je rejoins Romain dans le camion. « Tu vois, c’est ça être pyrénéiste. Le respect de la montagne, le respect des anciens. Tu te sens petit, tu te sens bien, émerveillé, libre mais fragile. Tu es forcément humble. » Le retour se fait dans le silence.
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