Née à Washington en 1943, Maria Clemow quitte les États-Unis pour l’Irlande à l’âge de 5 ans. De retour dans son pays natal pour les études, elle rejoint le mouvement des Droits Civiques en 1963. Le 28 août de cette même année, elle assiste au discours de Martin Luther King à Washington. Un grand moment de l’Histoire sur lequel cette membre des Democrats Abroad, aujourd’hui basée dans le Gers après avoir sillonné l’Europe, revient.
Vous étiez à Washington pour le discours de Luther King en 1963. Aviez-vous conscience d’assister à un événement historique ?
J’étais à l’université à l’époque. On savait que c’était un événement important. Avec quatre amis, nous avons roulé depuis New York pour y assister. Mais on ne réalisait pas à quel point ce discours allait marquer l’histoire. Je ne suis pas sûre que beaucoup de gens l’ai compris à l’époque.
Quels souvenirs en avez-vous ?
C’était un jour d’été chaud. Des milliers de personnes étaient assises sur l’herbe, face au Lincoln Memorial, pendant des heures. Les gens avaient ni chapeaux ni bouteilles d’eau… Il n’y avait pas de stands avec de la nourriture et chacun avait apporté son sachet en papier marron avec son sandwich et une pomme. C’était très simple. De nombreuses personnes, importantes à l’époque, ont pris la parole ce jour-là et plusieurs groupes ont joué entre les discours – Joan Baez, Peter Paul & Mary. L’ambiance était festive mais la cause était sérieuse. Et d’ailleurs, tout le monde était bien habillé, les femmes en robe… La majorité des personnes étaient noires, évidemment. Tout était très bien organisé mais c’était une époque différente. Parmi ses mots, je me souviens notamment qu’il a dit qu’un jour, noirs et blancs s’assiéraient ensemble.
Quel impact a eu ce discours ?
On savait que ce serait une marche importante car la plupart des organisations noires se battaient depuis des années pour les droits civiques. Des bus étaient venus du Sud pour amener des milliers de personnes. Parmi tous les discours, celui de Martin Luther King est vraiment sorti du lot, déjà à l’époque. Il a eu un impact rapide et, même s’il a été assassiné quelques années plus tard, le président Johnson a promulgué la loi sur les droits civiques.
Personnellement, c’est quelque chose qui vous marque à vie. Pour le 50e anniversaire, un événement avait été organisé à la cinémathèque de Toulouse et, en revoyant les images, j’ai été étonnée de la réaction des gens quand j’ai dit que j’y étais. Je ne sais pas si je réalisais à quel point ce discours était mythique dans le monde entier, à quel point cela avait été un privilège d’y assister.
Vous étiez déjà en faveur des droits civiques. Étiez-vous déjà démocrate ?
Pas techniquement, car j’avais 20 ans à l’époque et il fallait attendre 21 ans pour s’inscrire sur les listes électorales. Mon premier vote est donc intervenu pour la présidentielle après l’assassinat de Kennedy, l’année suivante. Mon père était républicain et ma mère démocrate, mais à l’époque démocrates et républicains pouvaient travailler ensemble. Certains étaient même amis.
Je me souviens d’ailleurs que le jour du discours de Martin Luther King, l’un de mes frères travaillait pour mon oncle, membre républicain du Congrès. Il lui a dit d’aller à la marche pour les Droits civiques. Beaucoup de républicains étaient alors en faveur des Droits civiques, alors que les démocrates du sud n’y étaient pas forcément favorables. C’est très différent d’aujourd’hui.
Justement, 60 ans plus tard, que reste-t-il de ce discours dans la société américaine ?
Quand on voit que des livres sont brûlés dans certains États ou que l’avortement est remis en question, j’ai l’impression qu’on est en train de revenir en arrière. Bien sûr, beaucoup de choses se sont passées depuis lors, des hauts et des bas. Aujourd’hui, il y a une telle hostilité entre démocrates et républicains, qui sont tellement extrêmes dans leurs positions… Après, c’est toujours difficile de juger depuis la France. J’observe cela à distance et il y a plein de choses du quotidien que je ne vois pas. Mes deux frères vivent toujours aux États-Unis mais nous évitons de parler politique…
Quel regard portez-vous sur la présidence de Barack Obama ?
Symboliquement, c’était très fort car il a été le premier président noir de l’histoire et, pour les démocrates, il reste une figure importante. D’autant plus car il y a eu, ensuite, le désastre Trump. Mais je pense que tout le monde attendait trop de lui. Son prix Nobel de la paix est arrivé beaucoup trop tôt. On croyait presque qu’il allait marcher sur l’eau, alors qu’au final, il n’a pas pu faire tant de choses que cela en raison du blocage systématique des républicains. En ce sens, Joe Biden est beaucoup plus habile et fait passer davantage de lois, sans doute en raison de sa grande connaissance du Sénat, où il a passé 30 ans.
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