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Ceux qui restent

En mars 2018, un terroriste exécutait quatre personnes et en blessait quinze autres à Trèbes et Carcassonne. Parmi les victimes, le colonel Arnaud Beltrame, tué après s’être offert en échange d’une hôtesse de caisse retenue en otage dans un supermarché. Sept ans après ce geste qui a élevé ce gendarme au rang de symbole universel de bravoure et de don de soi, Boudu revient sur ces événements et la vie de ceux qui restent, à travers le point de vue de la caissière, Julie Grand, éclairé par un entretien et par son livre Sa vie pour la mienne, paru en 2024.


Livre de Julie Grand : Sa vie pour la mienne
Livre de Julie Grand : Sa vie pour la mienne

Après avoir déposé sa fille chez la nounou, Julie Grand se rend au travail. Elle est agent d’accueil au Super U de Trèbes, à dix minutes de Carcassonne. Sur le parking, le vent souffle. Pas l’habituel autan, qu’on dit « vent des fous », mais un air de nord-ouest froid et transparent.

Elle aime bien son travail. Répondre aux sollicitations, gérer les mécontents, écouter, renseigner et rendre service. Elle est pourtant surdiplômée pour ces tâches, titulaire d’un DESS d’ingénieure en qualité-sécurité-environnement, et d’une maîtrise en biologie cellulaire végétale. À 39 ans, elle a occupé des postes à responsabilité dans le conseil en protection de l’environnement, et acquis une grande expérience dans la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Après des années pied au plancher, elle s’est mise en quête d’un job alimentaire. Juste un an ou deux, histoire de prendre du recul et d’accompagner les premiers pas de sa fille. Elle s’attendait à trouver rapidement, mais il n’est pas aisé de décrocher un emploi pour lequel on est trop diplômée. Les employeurs se méfient. Ils craignent les démissions, le manque d’implication ou, au contraire, qu’on leur fasse de l’ombre. Elle a finalement déposé un CV au supermarché où elle fait ses courses. Quelques jours plus tard, elle signait un CDD.

C’est ce qui explique sa présence au Super U ce vendredi 23 mars un peu avant 10h40, quand un djihadiste surgit, arme au poing, et exécute à bout touchant le chef boucher Christian Medvès, 50 ans, et un sexagénaire, Hervé Sosna, qui se tient à la caisse.

Les deux hommes ne sont pas les premières victimes du terroriste. La folie meurtrière de Radouane Lakdim, 25 ans, un dealer fiché S depuis 2014, a commencé plus tôt à Carcassonne. Après avoir déposé sa sœur à l’école, il a commencé par rôder devant une caserne militaire avant de gagner le parking des Aigles de la Cité. L’endroit abrite, à certaines heures, des rendez-vous homosexuels. Armé d’un pistolet automatique, il a ouvert le feu sur Renato Silva, qui survivra, et abattu un vigneron à la retraite, Jean Mazières, avant de s’installer au volant de sa voiture. Il s’est ensuite attaqué à quatre CRS de retour du footing, blessant grièvement deux d’entre eux.


Un petit bureau sans fenêtre

Quand les premiers coups de feu claquent, Julie Grand est au téléphone dans le kiosque d’accueil. Elle croit d’abord entendre des palettes qui tombent, puis lève la tête : « Des clients crient. Je vois un poing qui brandit une arme. Quelqu’un tire en l’air en criant “Allah Akbar ” »

Une vingtaine de personnes parvient à prendre la fuite. D’autres se réfugient dans la chambre froide. Le terroriste lance une grenade en direction du seul caissier masculin du magasin. Elle n’explose pas. Pendant ce temps, Julie Grand gagne à quatre pattes un petit bureau sans fenêtre. Le terroriste l’aperçoit. Il s’avance, arme à feu dans une main, couteau de chasse dans l’autre. Elle se souvient du ton sans hostilité avec lequel il s’adresse à elle : « Ah ! ben voilà mon otage. Allez, c’est bon, sors de là, je te ferai pas de mal. Viens, on appelle les flics ! »

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