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Jean Couderc

L’autre monde – Ethiquable

Dernière mise à jour : 10 janv.


Des matières premières payées au double du marché et des salariés associés aux grandes orientations stratégiques, tel est le credo de la Scop gersoise Ethiquable, 3e marque du rayon bio en grande surface. Depuis 20 ans, elle démontre que l’on peut être rentable et créer de l’impact sans se renier. Explications avec Rémi Roux, l’un de ses 3 cofondateurs.



Le 1e juillet 2023 naissait Ethiquable. Pourquoi vous être lancés dans cette aventure entrepreneuriale ?

Nous avions l’intuition qu’il manquait en France une marque de commerce équitable susceptible de fournir la grande distribution. Vu que j’avais l’habitude de travailler avec elle dans mes précédents jobs, je sentais que le commerce équitable allait se développer, comme le bio 20 ans avant. Mais pour le rendre accessible à un plus grand nombre, il ne fallait pas limiter l’offre aux magasins bio. 


Quel est l’intérêt de travailler avec la grande distribution ?

On s’utilise tous les deux : eux pour notre image et pour répondre à la demande des consommateurs ; nous pour leur réseau. Il y a aujourd’hui 10 000 magasins en France qui vendent nos produits. Et puis le fait que nous soyons une Scop, une entreprise agréée solidaire, fait qu’ils ne peuvent pas se comporter trop mal avec nous. 


Pourquoi une Scop ?

Déjà parce qu’il s’agissait d’un projet collectif pensé et mené avec deux amis, Stéphane et Christophe chacun très compétents dans leur domaine, l’agronomie pour l’un et l’appui au développement pour l’autre. Ensuite parce qu’en étudiant la question, on s’est aperçu que le mouvement coopératif et le commerce équitable, c’est la même chose. 


C’est-à-dire ?

Dans les deux cas, il s’agit de remettre l’humain au centre des valeurs. Et puis la base du commerce équitable, c’est de travailler avec des coopératives de producteurs. Chez Ethiquable, notre règle est qu’au lieu d’acheter le moins cher possible pour revendre le plus cher possible, on achète le plus cher possible en veillant à ce que le prix final soit abordable. Notre objectif est juste d’équilibrer les comptes. Par ailleurs le commerce équitable permet aux paysans de continuer à travailler même quand les cours mondiaux s’effondrent parce qu’ils savent qu’une partie de leur production sera vendue à un prix raisonnable. Enfin le modèle coopératif garantissait notre avenir.


Un producteur de cacao au Pérou
Un producteur de cacao au Pérou © D.R.


Pourquoi ?

On a très vite compris que si le concept marchait, on allait atteindre un certain niveau et devenir un acteur national. L’objectif initial que l’on s’était fixé (15 millions d’euros de chiffre d’affaires) a d’ailleurs été atteint en 3 ans et demi au lieu de 5. L’avantage du statut coopératif, c’est que l’on ne peut pas revendre l’entreprise. Et c’est ce qui fait que l’on est encore là 20 ans après. Toutes les autres boites créées à l’époque comme Michel et Augustin ou Alter Eco ont été revendues dès qu’elles ont progressé, par des actionnaires financiers. Chez nous, il arrive qu’on s’engueule pour des histoires d’emballage, de conneries, mais pas pour des histoires de pognon. 


Comment démarre-t-on une activité de commerce équitable ?

Nous recherchions des coopératives, au départ essentiellement en Amérique Latine, au fonctionnement vraiment démocratique. Puis il a fallu tester le concept vu l’on n’avait pas la chance d’avoir un référencement national comme Alter Eco. On est donc allés voir chaque magasin avec une gamme de 15 produits dont un café d’Équateur, un sucre du Pérou, du thé et du jus de fruits, etc. 


Pourquoi avoir fait le choix de ne pas faire de référencement ?

Notre leitmotiv, depuis le début, c’est de faire autrement. Au lieu d’acheter le moins cher possible, ça sera le plus cher possible, sur la durée, avec le nom du producteur et de la coopérative sur le packaging pour prouver notre engagement. Idem pour la pub qui coûte trop cher. On a donc fait en sorte d’être invités régulièrement dans des émissions radio ou TV. On a également été aidé par DDB, l’une des plus grandes agences mondiales qui avait une fondation pour aider les entrepreneurs sociaux. C’est toujours plus simple quand on a des choses à dire. Résultat ? Au bout de 20 ans, on a plus de 20% de notoriété sans avoir jamais fait du pub.


Pourquoi avoir fait le choix de vous installer dans le Gers ?

On aurait pu s’installer n’importe où en France mais il se trouve que j’y vivais depuis quelques années. Et que j’avais découvert, à mon arrivée, que ma grand-mère était gersoise. C’était donc un retour aux sources ! Et puis cela avait beaucoup plus de sens de créer une entreprise qui fait de l’agriculture paysanne dans un milieu rural et de créer des emplois dans une petite ville, Fleurance, de 6000 habitants, plutôt que d’aller à Labège où nous aurions été une entreprise parmi tant d’autres. 


Justement, vous dites souvent qu’une Scop, ce n’est pas une entreprise comme une autre. Pourquoi ?

Parce qu’il s’agit d’une boite qui appartient aux salariés. J’estime que l’on est plus intelligent dans l’économie sociale et solidaire que dans l’économie conventionnelle parce que l’on a compris que le profit n’était pas un but mais un moyen. Le but d’Ethiquable, c’est de faire du commerce équitable et de toucher le plus de producteurs. Quand il y a du profit, la moitié est reversée aux salariés en participation bénéfice-donc ils ont la patate-, l’autre moitié est en réserve impartageable, et on investit 10% de tous nos profits dans des projets de développement au Sud. 


Les trois associés historiques d’Ethiquable : Rémi Roux, Stéphane Comar et Christophe Eberhart

Les trois associés historiques d’Ethiquable : Rémi Roux, Stéphane Comar et Christophe Eberhart © D.R.


L’ambiance est-elle particulière chez Ethiquable (165 salariés) ?

Je crois que la différence se ressent sur l’implication. Nos commerciaux sont majoritairement des jeunes désireux de travailler dans un projet qui a du sens, quitte à gagner moins. Pour les autres salariés, ceux qui travaillent à Fleurance, c’est un peu différent. Beaucoup ne connaissaient ni le commerce équitable, ni les Scop, ni le chocolat en arrivant. On les a embarqué avec nous, au bout de 2 ans d’ancienneté, ils sont devenus sociétaires, ce qui leur permet d’être associés aux grandes décisions stratégiques. Et ils sont tous allés au moins une fois pendant une semaine dans les pays du Sud pour découvrir les coopératives. 


Parvenez-vous à mesurer l’impact social sur les pays partenaires ?

Oui, au travers des revenus des producteurs qui ont augmenté d’au moins 20% depuis le lancement d’Ethiquable. Aujourd’hui, on fait vivre 46 000 familles de petits producteurs dans le monde. On a 8 agronomes installés aux 4 coins de la planète qui suivent chacun une dizaine de coopératives. Et il y a des projets de développement un peu partout : pendant que l’on créait notre chocolaterie dans le Gers il y a 2 ans pour relocaliser notre chaine de production, la coopérative avec laquelle on travaille au Pérou en faisait de même en construisant une usine pour nous vendre de la pâte de cacao plutôt que la fève nue. Et ainsi se passer de certains intermédiaires. 


Quel est l’intérêt de cette démarche ?

Le commerce équitable, ce n’est pas de la charité. On aide des communautés paysannes à accéder à des marchés plus rémunérateurs, à s’organiser pour que le jour où l’on ne sera plus là, ils puissent se débrouiller et vendre à d’autres. Il faut bien comprendre que l’objectif final est de les autonomiser. Le commerce équitable, c’est de l’appui au développement. 


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Qu’avez-vous appris au cours de ces 20 années ?

Déjà ce qu’est l’agroforestie tropicale et son importance pour sauver la planète ! Quand on sait qu’il faut 15 kilos de CO2 pour du café conventionnel contre 5 kg en agroforesterie, on comprend mieux pourquoi c’est cette agriculture résiliente qu’il faut que l’on développe si l’on veut réussir la transition écologique. Ensuite, si l’on veut prendre un peu de hauteur, qu’il va falloir faire un choix : entre l’humanité et le capitalisme, il y en a un des deux qui va devoir mourir. 


Pourquoi une issue si radicale ?

Parce que tant que la priorité est le pognon, on ne fait pas bien les choses. Quand on priorise le bénéfice, c’est forcément du court-terme alors que nous avons besoin d’investissements sur du long-terme. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de banquier pour suivre. Donc ce que l’on fait, développer le bio, le commerce équitable, c’est bien mais cela ne va pas suffisamment vite pour être à la hauteur des enjeux. Car aujourd’hui, le gros de la troupe ne suit pas. Et la catastrophe semble inéluctable.


Que faudrait-il faire pour l’éviter ?

On essaie de proposer une alternative, de montrer que ça marche. C’est la raison de mon engagement dans le mouvement coopératif (Rémi Roux est président de l’Urscop Occitanie, ndlr). Il faut être précurseurs parce que la bascule va arriver tant ce que l’on fait aujourd’hui n’a pas de sens. Mais j’ai peur que cela arrive trop tard. A un moment, on risque de vivre la même révolution qu’en 1789 parce qu’il ne peut pas y avoir de plus en plus de riches et de plus en plus de pauvres. Ça va péter ! Et quand ils pendront les chefs d’entreprise, je leur dirais : « attendez, moi j’ai fait une Scop ! ». 


Des motifs d’espoirs ?

Plein. Déjà les relations humaines que l’on crée dans le commerce équitable. Une anecdote : on avait prévu d’intégrer le sucre de la coopérative péruvienne de Norandino dès notre démarrage. Mais nous n’avions plus assez d’argent car il faut savoir que l’un des principes du commerce équitable, c’est le préfinancement. 

Lorsque Christophe a appelé Santiago, le gérant, pour le lui dire, ce dernier n’a pas hésiter à nous envoyer un container. Un tel niveau de confiance, c’est incroyable. Autant dire que l’on est comme les doigts de la main aujourd’hui. 


Si c’était à refaire ?

Je le referais sans hésiter, même si l’on m’avait dit que la boite réaliserait un jour 75 millions d’euros de CA ! Car la Scop, c’est notre réussite et notre fierté. Pour nous, une entreprise normale est une entreprise qui appartient à ceux qui y travaillent. Pourquoi est-ce que ce sont les financiers qui dirigent la planète ? Je suis désolé mais quand la crise arrivera, dans mon village, je préfère qu’il reste le boulanger plutôt que le banquier. Parce que ce dernier ne servira plus à rien. L’argent n’est qu’un outil d’échange. 


20 ans après, vous avez toujours la foi ?

Plus que jamais. Récemment, j’ai fait une intervention dans une école d’agronomie à Montpellier qui nous a choisi comme parrains. C’est encourageant parce que lors d’une intervention sur le bio et le commerce équitable il y a 15 ans à l’école d’agronomie de Purpan, je m’étais fais houspiller par ceux qui allaient devenir nos futurs cadres de l’agriculture. Cela m’avait choqué qu’ils soient si formatés. Heureusement, c’est en train de changer. Moi mon but, c’est que mes petits-enfants, quand ils sauteront sur mes genoux me disent : « Pépé, c’était un résistant. » Parce que quand on lit les rapports du Giec, c’est des millions de morts que l’on aura tous les ans à cause de ce que l’on ne fait pas. 

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