Parce qu’il y a une vie au-delà de l’hyper-centre, Boudu explore chaque mois un quartier de Toulouse, pour en extraire l’essentiel et le superflu.
C’est où ?
On est au sud-est de Toulouse, coincé grosso modo entre Rangueil à l’ouest, Saint-Orens à l’est et Ramonville au sud. La voie ferrée traverse le quartier dans un axe nord-est / sud-est. Au sud des rails, c’est le quartier neuf de la Zac Montaudran-Aerospace. Au nord, le Montaudran historique.
Piste aux héros
Après la guerre, Latécoère cherche de nouveaux débouchés et s’emploie à réaliser ses rêves. Il crée une ligne aérienne transatlantique destinée à la distribution du courrier et au transport de voyageurs. La Compagnie générale aéropostale (ancêtre d’Air France) naît ainsi dans les années 1920. Sa renommée sera mondiale grâce à l’aura de ses pilotes (Guillaumet, Mermoz, Saint-Exupéry…) dont les aventures nourriront le cinéma et la littérature. La piste d’où ils décollaient vers l’Afrique et l’Amérique du Sud est aujourd’hui partiellement protégée au titre des Monuments historiques, et sert de colonne vertébrale à un nouveau quartier éclos au début des années 2010.
Berceau aéro
C’est ici qu’est née l’inclination toulousaine pour l’avion. Par nécessité, et par hasard. Au début des années 1910, Pierre Latécoère fabriquait du matériel ferroviaire près du Pont des Demoiselles. Dès 1914, il participe à l’effort de guerre en transformant son usine en unité de production d’obus. En 17, le ministère de l’Armement lui commande 1000 avions de reconnaissance. Il installe donc en 18 une piste enherbée, et des ateliers industriels dans lesquels il conçoit ses appareils avec le concours d’Émile Dewoitine.
Boules et bulles
La première chose qu’on aperçoit du Beer Social Club, c’est son terrain de boules accolé à sa terrasse. Il faut dire que le spectacle de deux triplettes de pétanqueurs s’affrontant au bord de la piste de l’Aéropostale est cocasse. À l’intérieur, Mickaël Walencik, jeune retraité du SCA Pamiers où il jouait centre, veille sur une cave à bières riche de 300 références, dont l’écrasante majorité brassée en Occitanie. 12 sont disponibles à la pression en permanence, accompagnées de charcut’, et de musique parfois live. Pour ceux qui souhaitent ramener des devoirs à la maison, un système de growler permet d’emporter la bière pression en bouteille. Conservation jusqu’à deux semaines, sans perte de bulles.
Essentiel
Sans doute le commerce récent le plus intéressant du vieux Montaudran. À l’ouverture, voilà un peu plus de trois ans, c’était un restaurant-épicerie : « Je voulais que les clients s’attablent au milieu des produits qu’ils allaient déguster, avec vue imprenable sur la cuisine ouverte » pitche le maître des lieux, Thomas Jouhari. La suite on la connaît : covid, confinements, commerces essentiels etc. Pendant le covid, la boutique est devenue indispensable aux riverains. On venait y chercher des paniers, et profiter de la cuisine populaire à 5 euros. Depuis, l’ancien restaurateur itinérant a inversé la donne : le Bouche à Louche est une épicerie-restaurant. Devant, des étals fournis (du local, du frais) derrière, une petite terrasse planquée pour les jours de concerts. On mange sur place à midi en poussant les cagettes. On emporte les plats le reste du temps. Et comme Thomas Jouhari est catalan, on trouve ici des anchois de Collioure de la maison Roques, difficiles à trouver à Toulouse. Charmant.
Minotaure
En 2018, la compagnie de théâtre de rue La Machine a investi un bâtiment flambant neuf au bord de la piste de l’Aeropostale. Elle y veille sur un Minotaure mécanique de 14 mètres de haut mu par 16 machinistes, qui fait des allers-retours sur la Piste, avec des touristes et des Toulousains sur son dos. Une création de François Delarozières, ancien leader de la compagnie toulousaine Royal de Luxe, qui faisait régner une joyeuse pagaille à Toulouse dans les années 1990, poussant le bouchon jusqu’à faire rôtir à Jolimont un autobus de la Semvat (l’ancêtre de Tisséo) sur un tournebroche mécanique géant.
Bar à jeans
Dans les années 1980, Béatrice Oggero tenait un café-théâtre à Saint-Cyprien. Désormais, elle vend des jeans et ne fait aucune distinction entre ces deux métiers : « Accueillir les gens pour les faire rire ou pour les habiller, dans les deux cas, c’est du théâtre » s’amuse-t-elle en tripotant son bracelet porte-épingles. La boutique, qui répond au doux nom de Génération Jean’s, a été aménagée il y a 40 ans dans les locaux d’un ancien grossiste en vin. En témoigne le mur arrondi du fond du magasin, conçu pour épouser la rotondité des barriques. Depuis un quart de siècle, elle habille ses clients en Levi’s et Lee. Autant dire qu’elle connait les coupes et les morphologies des habitants du quartier sur le bout des doigts. Son bagout est un remède à l’ennui, sa boutique un remède à la fast-fashion, et sa mémoire une machine à anecdotes : « J’ai longtemps servi le responsable syndicaliste de l’usine Airbus du quartier. Il est mort nonagénaire. Tous les ans jusqu’à sa mort, il lui fallait son 501 ! »
Pionniers
On a du mal à imaginer que, dans Toujours en bord de piste, on trouve désormais ce musée de l’Aéropostale qui a longtemps manqué à Toulouse. Baptisé l’Envol des Pionniers, il donne à voir accessoires de pilotes, effets personnels, maquettes, hologrammes, et une reproduction grandeur nature du biplan Salmson 2A2, le premier modèle d’avion qui soit sorti d’une usine toulousaine.
Messidor
Sous la Révolution, on a rebaptisé Montaudran Messidor (littéralement « le don de la moisson »), en référence aux champs de blé qui, au début de l’été, couvraient les étendues de ce qui n’était alors qu’un village. Le quartier a longtemps gardé ce caractère rural, avant que l’aventure aéronautique ne l’efface peu à peu à partir de la Grande Guerre.
Capitole bis
Cœur battant du nouveau quartier Montaudran-Aerospace, la place Bouilloux-Lafont a été pensée par son concepteur, l’architecte et urbaniste David Mangin, pour égaler en surface la place du Capitole. Les habitants ont encore du mal à s’approprier cet espace, mais s’y pressent tout de même, en particulier lors du marché de plein vent hebdomadaire. Son nom immortalise la figure de Marcel Bouilloux-Lafont, banquier flamboyant qui fut actionnaire principal de la Compagnie Aeropostale dès 1927. Passionné d’aviation, pilote amateur formé par Mermoz, il est mort ruiné après une cabale et un scandale politico-financier ourdis par des opposants politiques. Par chance pour sa mémoire, on ne trouve aucune banque sur la place, mais un ciné et des restaurants.
6_questions à Émilion Esnault, maire du quartier Montaudran
Comment qualifier l’esprit du quartier ? Un quartier de pionniers. Pionniers d’hier avec les aventuriers de l’Aéropostale, et pionniers d’aujourd’hui avec le campus d’excellence Toulouse Aerospace.
Ses atouts ? Son pôle culturel inédit formé par la Halle de la Machine et l’Envol des pionniers. Ces équipements existaient avant l’arrivée des habitants, et structurent en cela le visage et les habitudes du quartier.
Un projet emblématique dans les cartons ? La végétalisation de la piste entre l’UGC et le B612. Nous allons creuser de grandes fosses pour déployer différentes strates (strates basses, buissons, arbres de haute tige). Travaux qui auront lieu cette année, et donneront naissance à une grande bande de nature de près d’un kilomètre.
Le moment de la journée pour goûter au mieux l’ambiance du quartier ? La fin d’après-midi, quand les enfants sortent de l’école et montent dans le manège Carré-Sénard sur la place Bouilloux-Lafont.
Votre lieu de promenade favori ? Les jardins de la Ligne, un parc dans lequel ont été plantées des essences venues de pays des trois continents reliés par l’Aéropostale. La végétation a bien poussé depuis les plantations. L’ambiance y est unique.
L’endroit où boire un coup ? Le Beer Social Club. Une cave à bières et un lieu de vie ouvert l’an dernier par un jeune entrepreneur.