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Sens enfant

Les enfants c’est pour quand ? » À cette question, Delphine 31 ans, interprète en langue des signes, ne souhaite plus y répondre. « J’ai l’impression qu’il faut se battre pour avoir le droit de dire : “Je ne suis pas sûre d’en vouloir” ». Plus d’un demi-siècle après l’autorisation en France de la contraception par la loi Neuwirth, le non-désir d’enfants ou le choix de ne pas en avoir reste encore majoritairement incompris. « Dans les générations antérieures, l’enfant était la conséquence des mariages, mais aujourd’hui l’évolution des lois et de la médecine permettent de penser l’enfant », résume Gérard Neyrand, sociologue, professeur émérite à l’Université de Toulouse et spécialiste des mutations sociales sur les sphères intimes. Dès l’âge de 16 ans, lorsque ses copines s’imaginent déjà en taties idéales, Louise, animatrice de 23 ans, ne se voit pas du tout mère. Mais sa réflexion autour de la parentalité se précise surtout lorsqu’elle entame ses études en psychologie de l’enfant et a à cœur de le voir comme « un être à part entière, pas comme une chose à façonner ou comme une extension de soi. »  C’est également l’envie de vivre sa vie en n’étant responsable que d’elle-même qui motive Louise, en couple et polyamoureuse (orientation sentimentale et sexuelle fondée sur les relations multiples), à ne pas avoir d’enfants : « J’aime pouvoir me bourrer la gueule jusqu’à 4h du matin et, sur un claquement de doigts partir en voyage ! » se réjouit-elle, bien décidée à vivre toute sa vie comme ça. Un choix, d’après Gérard Neyrand, plus difficile à assumer dans les pays occidentaux, où l’enfant est « valorisé, appuyé par un discours social qui a tendance à le sacraliser et où ne pas avoir d’enfants, c’est sortir de la norme commune ». En travaillant la journée avec des enfants, l’animatrice qui mène « une vie de bohème », y trouve son compte. « Semer des graines, qu’elles prennent ou pas avec les enfants que je côtoie au quotidien ça me suffit ! ». Un constat partagé par Delphine, en couple avec un homme déjà père : « Pourquoi faire un enfant alors qu’il y en a déjà plein dont on ne prend pas soin collectivement ? »


Boudu-magazine-68 @ Orane Benoit

Considérer que s’abstenir de faire des enfants contribue à assurer l’avenir de la planète est un point de vue auquel se rallient de plus en plus de jeunes. On les appelle les Ginks : Green Inclination No Kids. « Une préoccupation, rappelle Gérard Neyrand, qui n’était pas évoquée il y a 50 ans chez les personnes qui ne faisaient pas d’enfants ». À 30 ans, Maxime, technicien du son, s’inquiète du monde à venir, de la surpopulation et de la pollution : « Ne pas faire d’enfant, c’est le premier geste écologique que l’on puisse faire. La vie est compliquée, on a de moins en moins de liberté. Même en lui donnant les meilleures armes ça va être dur et je n’ai pas envie de lui imposer ça. » Tout comme Louise qui pose sur la table le fait que « rajouter des êtres-humains qui vont prendre l’avion, manger de la viande et acheter des vêtements, participe à la pollution » et Delphine à qui cela parait insurmontable, « d’avoir une conscience écologique et se rajouter cette contrainte énorme qu’est d’avoir un enfant. » Maxime évoque aussi la question de la transmission : « J’attache une grande importance à mon nom et à ma lignée, d’autant plus que j’ai perdu mon père il y a quelques années. Mais je crois qu’on entre dans une dimension ou ne pas faire d’enfant est un choix humaniste. » Lorsqu’il rencontre sa copine, il lui présente directement son point de vue : « Je veux être avec quelqu’un qui m’aime pour ce que je suis. Au début, elle pensait sûrement qu’on en rediscuterait, mais aujourd’hui elle a compris que je ne voudrai jamais d’enfants. » En pleine mutation, la société d’aujourd’hui est « plus permissive » analyse le sociologue. « Il y a une évolution globale de la société vers plus d’acceptation des comportements familiaux et sexuels différents ». Pourtant, Delphine est encore souvent confrontée au jugement des autres : « Si tu ne veux pas d’enfants, tu peux rapidement être perçue comme la rebelle, la féministe qui ne veut pas d’enfant. Ce n’est pas simple. » Mais Gérard Neyrand reste positif : « Je pense que dans les générations contemporaines le non-désir d’enfants va être sans doute plus fréquent et peut-être mieux accepté même si la diminution d’une population d’un pays est vécue de façon négative ».

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