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Jean Couderc

Toujours plus – Sami Ariech

Dernière mise à jour : 19 janv.

Fauché en pleine vitesse à l’âge de 25 ans, Sami Ariech a d’abord cru sa vie irrémédiablement détruite. Avant de décider de se reconstruire pas à pas porté par l’idée que rien n’est impossible. Même pour une personne en situation de handicap.



La vie était belle jusqu’alors. « Insouciante » même selon Ingrid, qu’il a épousée quelques mois auparavant. Alors certes, il n’a pas réalisé son rêve d’enfance de devenir footballeur professionnel. Mais un passage rapide au sein de la réserve du PSG où il côtoya certaines stars de l’époque comme Raï, Valdo ou Ginola lui suffit pour se faire une raison. « Ça me titillait de faire carrière, mais le jour où il a fallu faire un choix entre les études et le foot, je savais que je n’avais pas le niveau pour percer. Tu te crois bon, mais quand tu joues un peu avec des pros, tu redescends vite sur terre. »


Une vie Pas passionné par les études, Sami fait cependant ce qu’il faut pour ne pas perdre de temps en chemin… ni s’attirer les foudres de son paternel. Après s’être imaginé archi, il décide, bac B en poche, de partir en fac de droit à Sceaux où il obtient une maitrise de droit public. Recruté par une filiale d’Andersen consulting pour faire du développement auprès d’avocats, il se régale dans un rôle de meneur d’hommes qui lui sied à merveille. Mais la mutation de son chef pour Toulouse assombrit son horizon parisien : « Je m’entends moins bien avec son successeur, j’en parle à mon ancien boss qui me propose de le rejoindre. » Du jour au lendemain, Sami quitte sa vie dans les Hauts-de-Seine pour les bords de la Garonne où il ne connaît personne, à l’exception de quelques collègues mutés quelques mois auparavant. À 25 ans, le jeune homme est plutôt du genre « rieur et léger » d’après Ingrid, qu’il vient de rencontrer et qui ne le rejoindra que deux ans plus tard. Entretemps, il s’installe en colocation et change de job pour rejoindre un cabinet de recouvrement. Le 22 mai 1999, Sami et Ingrid se jurent fidélité à la mairie de Blagnac. Avec des projets plein la tête, d’enfants, de maison, sans se prendre la tête : « Nous étions un jeune couple dans une bonne dynamique », résume Ingrid. Jusqu’à ce fameux 27 juillet 1999. Ce jour-là, comme tous les autres depuis qu’il a démarré une mission chez Ikéa quelques semaines avant, Sami chevauche son deux-roues pour se rendre à Roques-sur-Garonne. Par dépit plus que par plaisir : « Mon père était formellement opposé à ce que j’en ai un depuis qu’il avait lui-même été percuté par une voiture. Du coup, je n’avais jamais eu l’envie d’en avoir une. » Sauf que les transports en commun toulousains n’ayant pas grand-chose à voir avec leurs pendants franciliens, pour venir de son domicile blagnacais, le jeune homme n’a guère le choix. Cette après-midi-là donc, Sami prend la direction du sud de l’agglomération. Arrivé à proximité du lac de la Ramée, il emprunte une route départementale, direction Cugnaux. Puis c’est le trou noir. La suite, c’est en consultant les procès-verbaux qu’il l’apprendra. Une voiture, conduite par une infirmière, a traversé la route pour venir le faucher en pleine face. « Apparemment, les témoins ont d’abord cru que c’était un gros oiseau qui s’envolait, avant de comprendre que c’était moi qui avais atterri dans l’arbre d’une propriété. » Les branches ont eu beau freiner sa chute, les blessures sont terribles : une jambe arrachée sur l’impact, l’autre écrasée (qu’il ne pourra pas récupérer), des fractures ouvertes sur tout le corps : « C’est bien simple, il n’y avait que le tronc qui n’avait pas été touché ». Placé dans un coma artificiel, il met plusieurs jours avant de réaliser ce qui lui est arrivé. Et comprendre qu’il ne retrouvera plus l’usage de ses jambes. « La première amputation, je l’ai assimilée très vite. Mais la seconde, il a fallu une visite de ma cousine pour que j’en prenne vraiment conscience. » Dévasté par cette nouvelle qui enterre définitivement le maigre espoir qui lui restait de rechausser les crampons – « C’est la première chose à laquelle j’ai pensé »-, Sami s’effondre. « Je réalise que c’est la catastrophe, que ma vie ne sera jamais plus comme avant. » Au fond du trou, dans sa chambre d’hôpital, il exhorte sa femme à l’abandonner à son triste sort : « Je me disais que ce n’était pas une vie de vivre avec quelqu’un en fauteuil. Je ne supportais pas l’idée d’être un poids pour elle. » Sinon que la principale intéressée ne l’entend pas de cette oreille : « Quand il m’a demandé de partir, j’étais déjà ancrée dans la réalité. Parce que la décision de rester, je l’ai prise dès le 28 juillet, le lendemain de l’accident. » Reboosté par cette déclaration d’amour, il décide de relever la tête. Après trois mois d’hôpital et plusieurs interventions chirurgicales, il part en rééducation à la Clinique des Cèdres où les moments d’abattement, comme les nouvelles opérations, sont fréquents. « Je souffre, c’est dur, je pleure, je remonte la pente, je rechute. C’est vraiment les montagnes russes. Mais je m’accroche comme un fou à la vie. Parce que le personnel soignant est bienveillant. Et que ma femme est là, qu’elle se bat, qu’elle me montre qu’elle m’aime, on reprend une activité sexuelle à l’hôpital. » Plus jamais Sami n’aura d’idées noires : « J’arrive à me dire qu’il y a toujours pire. » De cette épreuve, il va tirer une philosophie de vie. « J’ai toujours considéré que n’ayant qu’une vie, chacun doit vivre celle qu’il souhaite. C’est ce qui m’a permis de rebondir. Car il y a deux manières de réagir : soit tu te laisses mourir, soit tu avances. Et j’aime trop la vie pour baisser les bras. Donc je décide de faire tout ce qui est possible pour réaliser mes rêves. » Et de décréter que dorénavant, personne ne lui fixera de limites. À ses côtés, sa femme, Ingrid, suit le rythme : « Très vite, on marche dans la même direction. Dès que l’on redevient acteur de votre vie, on met les bouchées doubles. En particulier Sami qui développe une boulimie de faire, dans tous les sens. » Le bout du tunnel, il finit par commencer à l’apercevoir, lorsqu’il est autorisé à rentrer chez lui le week-end, puis le soir. Et enfin tout le temps. Signe que la vie a repris le dessus, le 24 mai 2002, moins de trois ans après son accident, son premier fils, Yanis, naît. Une revanche ? Même pas ! « Je l’ai vécu comme n’importe quel père. Le fait de ne pas se poser la question signifie pour moi que je suis comme tout le monde. » Et être comme tout le monde, le jeune homme y tient plus que tout. Même si le retour à la maison n’est pas de tout repos. « Il y a tout un tas de choses à mettre en place, pour prendre la douche, pour se déplacer dans les différentes pièces de la maison, pour que je puisse m’occuper des enfants. Ce n’est pas évident mais on y arrive. » Pas question de solliciter une aide extérieure pour l’aider psychologiquement à mieux accepter la situation : « À l’hôpital on m’avait envoyé un sophrologue, mais chaque fois qu’il venait, je m’endormais. Je n’avais pas envie de parler de mon accident parce que je n’en ressentais pas le besoin. Je voulais avancer seul, avec ma famille. » Et son fauteuil désormais devenu son plus fidèle compagnon. « Je ne me pose pas la question, c’est comme ça. » Désireux d’avoir la vie la plus normale possible, il entreprend de rattraper le temps perdu. Après avoir passé le permis sur une voiture adaptée avec freins et accélérateur à la main, il se met en quête d’un emploi. « Financièrement, j’aurais pu m’en passer. Mais il était hors de question que je ne retravaille pas. » Trois mois après être devenu père pour la deuxième fois d’une petite Tess, en 2004, il se présente à un rendez-vous « Cap’Emploi » où on lui propose un CDD au service gestion administrative de 6 mois au Crédit Agricole. Le monde bancaire lui est étranger ? Qu’importe, Sami relève le défi. Et il ne lui faut que quelques jours pour être adopté au siège de la banque coopérative, n’hésitant pas à manier l’humour pour briser la glace : « J’ai été super bien accueilli. À aucun moment, je n’ai senti de regards gênés, j’ai vraiment senti de suite de la bienveillance. » Stéphane Piovesan, qui travaillait alors avec lui aussi au siège du CA 31, reconnait être vite tombé sous le charme de cette bouille enthousiaste : « Il avait l’air plus heureux que le commun des mortels. » À l’issue de sa première mission, il lui est proposé de rempiler, cette fois au sein de l’agence Jeanne-d’Arc. Un nouveau métier dont il s’empresse d’apprendre les rouages : « Je sens que j’ai toujours besoin de prouver plus que les autres. Pour effacer le handicap et prouver que je ne suis pas là pour remplir des quotas. Je suis là parce que j’ai des compétences et parce que je suis capable. » Un jusqu’au-boutisme qui le conduit à gravir tous les échelons au sein du Crédit Agricole jusqu’à devenir chef d’agence à La Salvetat-Saint-Gilles, formateur national et membre du jury d’examens bancaires. En dehors du travail, Sami avance aussi, tout en se construisant une sorte de bulle pour se protéger du regard de la société : « Quand je suis dans la rue, les gens qui sont avec moi constituent comme une protection. Je ne supporte pas le regard des gens, surtout la pitié. C’est le pire. Avec le temps, je m’y fais. Mais ça reste douloureux. Quand il arrive que je perçoive ce petit regard, j’ai presque envie de défier l’autre. » En mode : « C’est quoi le problème ? »

Sami Ariech
Photo : Rémi Benoit

Aucune limite Pas question néanmoins de vivre à l’abri des regards. Flanqué de son nouvel ami Stef, « qui m’a tout de suite considéré comme un mec normal », il mène la même existence que les autres, sort dans les bars, va au stade, croque dans la vie sans rien se refuser. « Dans sa tête, il n’est pas handicapé, il a juste une gêne. Du coup, il ne veut pas qu’on le plaigne », éclaire son ami banquier. Sa soif de normalité l’amène jusqu’à traverser l’Atlantique pour découvrir New York. « J’en rêvais depuis toujours mais je n’avais jamais été capable de mettre de l’argent de côté pour y aller. Là, je me sentais en confiance avec Stef, ma femme comprenait que j’avais cette soif de liberté. Et j’ai sauté le pas. » Un premier grand voyage en guise de renaissance pour celui qui parlait pourtant un anglais très approximatif à son départ. « Mais l’accueil que je reçois aux States, moi, jeune handicapé français, a été super. » Stéphane Piovesan, qui jure n’avoir pas hésité une seconde avant de s’embarquer dans cette aventure qui en aurait fait fuir plus d’un, acquiesce : « Tout a été génial. Même sous la pluie, il avait une banane de malade. Je crois qu’il a vécu sur place une sorte de rêve éveillé. » Au pays de l’Oncle Sam, il se rend compte du retard de la France en matière de handicap : « Là-bas, tout est beaucoup plus facile, les trottoirs, bus, commerces, monuments… » Après l’accident, Sami s’était rapproché de l’association des paralysés de France (APF), autant pour rencontrer des gens qui avaient vécu la même chose que lui que pour faire avancer la cause du handicap. Pas au point toutefois de s’en faire des amis. Trop peur, toujours, de se retrouver enfermé dans un costume trop étroit pour lui… Son engagement à l’APF lui permettra toutefois d’intégrer le CCAS de sa commune, Seilh. Puis de rentrer en politique en devenant, en 2008, adjoint au maire en charge des finances et de la sécurité. Pour se rendre utile et continuer (surtout) à explorer de nouveaux terrains. Une obsession pour son ami Stéphane qui avoue le trouver fatigant par moments : « Il n’est jamais rassasié et ne veut jamais s’arrêter. Il a tellement envie qu’on le regarde pour d’autres raisons que son handicap qu’il cherche en permanence à prouver qu’il est le meilleur. » Un avis partagé par Ingrid, sa femme, un peu inquiète, parfois, de le voir ne pas se ménager : « Au boulot, il ne s’arrête jamais, ne tient pas compte de sa fatigabilité. Même quand il ne dort pas à cause de ses douleurs fantômes, il y va sans broncher. Il ne veut pas qu’on ait pitié de lui. » Un sentiment qu’il reconnaît ne pas beaucoup ressentir à l’égard des autres depuis le 27 juillet 1999. « J’entends que l’on puisse avoir des problèmes mais je ne supporte pas les gens qui s’apitoient sur leur sort. » Stéphane Piovesan décrypte : « Il n’en veut à personne, il est ni frustré, ni aigri. Mais ce n’est pas quelqu’un qui regarde derrière lui. Et il est capable d’être dur, parfois même un peu excessif. » Un trait de caractère que le principal intéressé balaie d’un revers de main : « J’aurais pu devenir un petit con, un branleur. L’accident m’a donné l’envie d’y arriver. Mais pas pour que l’on me voit comme un type en fauteuil. » Ne comptez pas sur lui pour réduire la voilure : « En restant humble, je suis assez fier de mon parcours. Mais je pense pouvoir en faire plus. Je ne sais pas jusqu’où je peux aller, je n’ai pas de limites. »




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