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Sans regret - Ferme d’en Herré

Jean Couderc

Artisan dans le terrassement jusqu’à ce qu’une hernie discale le contraigne à la reconversion, Nicolas Faure a créé avec son épouse la Ferme d’en Herré au Castéra (31), où il démontre qu’il n’est pas illusoire de vouloir concilier agriculture et vie de famille.

Nicolas Faure, agriculteur de la Ferme d’en Herré au Castéra (31) - Photo : Rémi BENOIT
Nicolas Faure, agriculteur de la Ferme d’en Herré au Castéra (31) - Photo : Rémi BENOIT

Chez les Faure, l’agriculture a beau être dans les gènes, ce n’est pas pour autant que l’on souhaite à sa descendance de persévérer. Lorsque les grands-parents, agriculteurs dans le maraîchage et les vaches laitières, quittent, dans les années 1970, Gagnac pour Le Castéra sous « la pression urbaine », les voyants ne sont déjà plus tous au vert. D’autant que toute la famille doit vivre de la même exploitation. C’est dans cet environnement que Nicolas, le petit dernier, grandit dans une maison sans téléphone où il joue à la ferme, va à la pêche « et aide quand il y a besoin ». Une existence simple où l’on ne part pas en vacances avec ses parents. « Vu que mon père devait rester pour la traite, je partais avec ma mère. Ce n’est qu’à la retraite qu’il a commencé à prendre du bon temps. »

Sans se plaindre, les Faure ne conseillent toutefois pas à leur rejeton de suivre leur chemin. À l’adolescence, il intègre donc le lycée Saint-Joseph à Toulouse pour suivre un CAP-BEP, puis un bac Pro, dans l’idée de « partir dans la maintenance puisque j’étais très bricoleur ».

A la fin de son cursus, il effectue un stage au sein d’une blanchisserie industrielle qui lui propose un poste « alors que je voulais faire un BTS ». Faute d’un salaire convenable, il en part au bout d’un an et demi pour entrer en tant que mécanicien avion chez Airbus. Jusqu’en 2006 où, lassé de voir les syndicats faire la pluie et le beau temps, il décide de monter son entreprise dans le terrassement : « J’ai acheté une pelle, un camion, et j’ai proposé mes services à des particuliers. »

Nicolas Faure, agriculteur de la Ferme d’en Herré au Castéra (31) - Photo : Rémi BENOIT
Nicolas et Isabelle - Ferme d’en Herré au Castéra (31) - Photo : Rémi BENOIT

Si le job est lucratif, il sollicite toutefois durement son corps. Et lorsqu’il doit passer sur le billard en 2016 pour l’opération d’une hernie discale, l’homme ne mesure pas suffisamment que la cote d’alerte est atteinte. Deux ans plus tard, c’est le coup de semonce avec une seconde opération et un diagnostic imparable : il est urgent d’arrêter. « Le médecin du RSI m’a vraiment fait peur. » Il décide alors de prendre un salarié mais s’aperçoit très vite que l’affaire n’est plus assez rentable. Sans attendre, il ferme en 2019 pour se consacrer pleinement à sa deuxième activité, initiée en basse intensité depuis 2015 où il récupère une partie des terres de ses parents pour produire de la céréale. Un changement de vie que celui qui décrit son

cerveau comme « toujours en ébullition. J’avais envie d’apprendre autre chose, j’ai besoin d’être nourri. Au bout d’un certain temps à faire le même métier, je ressens le besoin de changer. Le TP, j’en avais fait le tour, comme Airbus auparavant. »

Sinon qu’à partir du moment où il ne peut plus compter que sur l’activité agricole pour se dégager un salaire, Nicolas Faure comprend qu’avec 70 hectares, ce n’est économiquement pas viable de continuer à vendre sa production à la coopérative. « Même une personne seule ne peut pas s’en sortir. »

Lors d’une formation de trois jours dispensée par le CD31, un agriculteur lui vante les mérites de la transformation. Le déclic. « Je comprends qu’il faut que je produise de la valeur ajoutée. C’est-à-dire que du blé, j’en fasse de la farine, que je dois trier et mettre en sachet les légumes secs pour les vendre dans le commerce. Et que je ne vende à la coopérative que le surplus de ma production. »

Sans avoir établi de business plan, il achète un moulin, met ses premières lentilles en sachet et va les proposer au supermarché du coin. Voyant que cela prend, il intensifie son effort sur le démarchage commercial, convainc de nouveaux clients et s’ouvre à la vente aux particuliers. L’activité devient assez stable « sans pour autant imaginer pouvoir vivre à deux dessus ».

Isabelle, qui partage sa vie depuis 1998, caresse pourtant le rêve de travailler avec son époux. Après 20 ans au service social de la mairie de Toulouse, puis 7 ans dans une entreprise aéroportuaire en tant que secrétaire de direction, elle a déjà à son actif une première reconversion puisque elle a ouvert, en 2011, un salon d’esthétique à Lévignac. Depuis qu’elle l’a revendu, en 2018, elle travaille à mi-temps dans une école pour enfants handicapés, ce qui lui permet, lorsque survient l’épidémie de Covid, d’être aux côtés de son mari pour répondre à la demande.

Nicolas raconte : « Je venais d’achever la fabrication de mon second moulin, et ça a été de suite la folie : 400 kg de farine par jour, travail non stop de 7h à minuit, les gens avaient tellement peur de ne pas avoir à manger que les demandes, autant de particuliers que de commerces, ont explosé. »

Isabelle - La Ferme d’en Herré - Photo : Rémi BENOIT
Isabelle - La Ferme d’en Herré - Photo : Rémi BENOIT

« La farine n’arrivant pas à rentrer de certains pays, les gens cherchaient des petits producteurs pour s’alimenter au plus près. De mars à juin, on a travaillé à fond, c’était hyper compliqué avec les enfants qui n’avaient pas école », complète Isabelle. Harassant certes, mais aussi exaltant. Et lorsque l’école rouvre en mai, l’Aveyronnaise a fait son choix : elle veut continuer à travailler avec son époux. « C’était l’occasion de sauter le pas. » Même si cela revenait à mettre tous leurs œufs dans le même panier : « C’est un risque de changer de métier mais il faut parfois oser le prendre. Au pire, si cela n’avait pas marché, j’aurais recherché du travail ailleurs. Et puis dans notre organisation, notamment avec les enfants, c’était mieux. À choisir, ils préféraient que je travaille à la maison. »

Quatre ans après, la Ferme d’en Herré a atteint son rythme de croisière avec une production 100 % bio aussi variée (blé, orge, pois, maïs, lentille verte, pois carrés, pois chiche, sarrasin, petit épeautre, tournesol) que sa clientèle (supermarchés, collèges, lycées, épiceries fines, particuliers). « On est arrivés à un bon équilibre, estime Nicolas. On ne veut pas trop grossir pour ne pas avoir à embaucher de salariés. » Conscient que le consommer local a le vent en poupe, il mesure toutefois que rien n’est jamais acquis en matière d’agriculture, surtout quand les aléas climatiques s’en mêlent : « Cette année, par exemple, on a eu des petits rendements. Il faut donc que l’on fasse attention. Heureusement qu’il y a la vente directe, sinon on serait cuits. »

À l’heure du bilan, le couple Faure ne regrette pas son choix. « C’est vrai qu’on bosse beaucoup, même parfois le week-end vu que l’on est à flux tendu, reconnaît Nicolas. Mais quelle liberté ! Aucun jour ne se ressemble. Entre la production, la transformation et la commercialisation, c’est extrêmement varié. » Et de penser à ses copains restés chez Airbus par crainte de ne pas être capable de faire autre chose. « La peur de ne pas savoir faire, moi, ça ne me nourrit pas ! Quand c’est trop répétitif, il n’y a plus d’envie. Sans compter que quand je vois les bouchons à l’entrée de Toulouse le lundi matin en amenant ma fille au lycée agricole de Castelnaudary, je me demande vraiment comment font les gens. C’est atroce ! »

Isabelle approuve : « Même si on gagne moins bien notre vie, pour rien au monde on ne reviendrait en arrière. Et puis Nicolas, avec ses anciens métiers, il sait tout réparer ce qui nous fait faire beaucoup d’économies sur le matériel et les travaux. » Une débrouillardise qui lui a notamment permis de construire à moindre frais un nouveau hangar. Mais l’homme aujourd’hui âgé de 48 ans a de la mémoire.

Contrairement à ses parents, Nicolas met un point d’honneur à partir en vacances tout le mois d’août avec sa famille. Et contrairement à ses parents, il n’a pas l’intention de dissuader sa fille de reprendre le flambeau : « Au contraire, ça donne du sens à ce que nous faisons »

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